Nicolas Bronchart

Ingénieur, CEO de Jema SA

Quand la demande dépasse l'offre

07/12/20
travail

L'entreprise brabançonne Jema compte plus de 80 printemps. C'est Nicolas Bronchart qui dirige ce fleuron, dont la progression compose tous les jours, vaille que vaille, avec la pénurie de talents.

Isabelle Morgante

Le core business de Jema, ce sont les alimentations électriques de hautes performances, un domaine dans lequel l'entreprise brabançonne est particulièrement bien cotée. Jema, dans les grandes lignes, c'est un concepteur et producteur de convertisseurs électriques (de courant alternatif à courant continu), notamment utilisés pour les accélérateurs de particules œuvrant dans le traitement du cancer. Un domaine de pointe, dans lequel évoluent ingénieurs chevronnés et ouvriers très spécialisés, et dont fait partie le nouveau CEO Nicolas Bronchart, ingénieur civil mécanicien et bardé de diplômes complémentaires.

"Ma carrière professionnelle a commencé en 1997, année où j'ai passé les tests pour entrer à la Sabena. J'étais présomptueux à l'époque et je pense avoir pris le jury de haut", avoue Nicolas malicieusement. Bref, l'échec est cuisant.

Puisque son atterrissage à la Sabena est aussi chaotique que celui de l'albatros Wilbur dans "Bernard et Bianca", l'homme s'écarte de l'aviation pour intégrer l'équipe d'ingénieurs de Solar Turbine (filiale de Caterpillar), spécialisée dans la production de turbines à gaz industrielles. "J'ai travaillé un an et demi sur le site de Gosselies avant d'être envoyé à San Diego (Californie) au début des années 2000. J'étais ingénieur de conception dans le département R&D. Juste avant de quitter la Belgique, j'avais rencontré celle qui allait devenir mon épouse et la maman de mes quatre enfants. Après avoir terminé son master en psychologie ici et effectué quelques allers et retours, nous nous sommes installés là-bas pour cinq ans. Gaelle a enseigné dans une école Montessori tandis que je travaillais chez Solar… Nous avions une qualité de vie que nous peinons à retrouver ici. Malgré cet attrait latino-américain, nous sommes revenus car les enfants grandissaient et les grands-parents les réclamaient, à un moment où la vie permet de créer des liens. Nous avons quitté un endroit où nous avions désormais aussi des racines", explique l'entrepreneur.

Autonomie et formation

Revenu à Gosselies, Nicolas Bronchart accepte le poste de responsable des offres techniques et il voyage pour le compte de Solar. Beaucoup. Trop que pour voir ses enfants grandir. Il transite alors à la production chez Caterpillar et gravit les échelons avant d'occuper la direction opérationnelle. Au bout de six ans, il "pilote" 1.200 personnes. Enfin, après quelques années de transhumances professionnelles, Nicolas Bronchart se retrouve responsable R&D pour IBA, l'un des plus gros clients de Jema. Son licenciement chez IBA et les bruits de couloir lui confirmant que Jema cherche un nouveau capitaine termineront de l'asseoir au siège de CEO et de le transformer en chef d'entreprise indépendant voici quelques mois.

"Nous avons travaillé, l'ex-CEO et moi, pendant six mois pour assurer une transition efficace. Ce laps de temps n'était pas inutile pour découvrir l'entreprise, sa gestion et réaliser une passation de flambeau efficace", résume l'entrepreneur. Âgé de 48 ans, Nicolas Bronchart a bénéficié d'un coach en outplacement, une expérience qu'il qualifie aujourd'hui d'intéressante. "Je n'ai jamais eu peur de prendre des responsabilités. Jema compte 35 collaborateurs, j'avais conscience qu'un jour, je serais chef d'entreprise. Je n'avais juste jamais pris le temps de m'informer en détail", confie-t-il.

Pointue, installée dans les hautes sphères d'une activité de niche, Jema subit de plein fouet la problématique des métiers en pénurie. Ses collaborateurs sont pour moitié ingénieurs en électronique (si possible de puissance), et pour le reste techniciens spécialisés… Autant dire que les candidats potentiels ne se pressent pas au portillon.

"Il y a une trop grande disparité salariale entre le software et le hardware, même si cette discipline, maîtresse chez nous, évolue bien. Nous sommes dans l'obligation d'engager des ingénieurs hors Belgique. Souvent, nous ouvrons des postes et il n'y a aucun candidat… donc nous formons à l'atelier et visons l'autonomie de chacun des membres du personnel ! Pour le moment, nous avons engagé un apprenti qui a un très bon esprit. Ce jeune homme a envie d'apprendre et de progresser, c'est un bon ferment pour évoluer, en voyant l'exemple d'en haut. Que faire lorsque des étudiants ont déjà un contrat en 4e année d'études, alors qu'il leur reste dix-huit mois à étudier ?! Sans stigmatiser ni forcer le trait, j'ai tendance à croire que le monde de l'ingénierie se divise en deux profils : ceux qui aiment de bonnes conditions et partent en consultance, et ceux qui vont d'abord donner cours deux ans en Inde, à vélo. Ces jeunes ne sont pas dans le prisme Jema."

Et de poursuivre : "Je pense que la Belgique offre un enseignement très ouvert et ne guide pas assez les étudiants vers les métiers en pénurie. Dans de nombreux pays, ces secteurs font l'objet de campagnes d'information qui attirent les jeunes dans ces branches et dès que l'offre répond à la demande, on limite les inscriptions et on propose des alternatives."

En recherche constante de candidats (actuellement deux ingénieurs et trois techniciens), Nicolas Bronchart regrette également la faible féminisation des métiers d'ingénieur et de technicien. "Nous avons deux techniciennes et aucune ingénieure. Il ne faut pas se leurrer, les femmes qui évoluent dans ces milieux doivent affronter comportements machistes et pression familiale. C'est absurde parce qu'elles ne sont pas moins aptes à exercer ce genre de profession. Mais les idées préconçues ont la vie dure. De même, pour toujours améliorer les conditions de travail de chacun, nous avons demandé à l'une de nos collaboratrices de devenir personne de confiance. Loin de la direction et sous le sceau de la confidentialité, la parole se délie peut-être plus facilement entre collègues."

Aujourd'hui, les bâtiments Jema de Louvain-la-Neuve sont un peu grands, mais ce sera de l'histoire ancienne d'ici trois ans, si l'entreprise suit le développement prévu.

Carte d'identité de l'entreprise

Jema SA

rue de Rodeuhaie 8
1348 Ottignies-Louvain-la-Neuve

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