Philippe Bouillon, nouveau patron de la Fédération nationale des bouchers, est à l'initiative d'un cursus artisan qui débutera en septembre, pour susciter des vocations et moderniser le métier.
Isabelle Morgante
Il a la poigne solide, les épaules bien bâties et derrière ses petites lunettes, on devine un regard franc et curieux. Philippe Bouillon a la stature stéréotypée du boucher mais assez logiquement, il refuse cette idée toute faite. Son parcours dans une profession figurant aujourd'hui au top 10 des métiers en pénurie de main-d'œuvre, il l'a construit au centre de la petite ville touristique de La Roche-en-Ardenne.
Philippe Bouillon est issu d'une famille de bouchers. C'est son papa, Michel, qui trace le chemin emprunté par plusieurs générations. Originaire de Meix-devant-Virton, Michel Bouillon ouvre un premier magasin au milieu des années 50, après avoir consacré son apprentissage à la boucherie et accompli son service militaire. Amateur de salaisons, il se laisse tenter par la reprise d'une boucherie de La Roche. Michel est jeune patron (23 ans) quand il épouse Micheline en 1956. Tous deux travaillent dans le commerce rue de l'Église. Fort heureusement, l'entreprise va bon train et le volume de production ne cesse d'augmenter.
Philippe, leur fils, travaille dès l'âge de 15 ans. "J'étais loin d'être un idiot mais je n'avais aucune envie de passer ma vie dans un bureau. J'ai fait mes humanités à l'Athénée de La Roche avant d'entamer un cursus à l'école de boucherie de Namur. J'en suis sorti technicien agroalimentaire en viande. Parallèlement à ce diplôme, j'ai suivi des cours du soir à l'école de cuisine car l'épicurien que je suis a toujours aimé transformer les choses", résume le nouveau président de la Fédération nationale des bouchers.
Suivront un cycle de deux ans en comptabilité, le passage sous les drapeaux et une formation en restaurateur/organisation de banquets qui ouvrira l'accès à la profession de cuisinier. C'est le 1er décembre 1988 que Philippe enfile définitivement son tablier de boucher et entre dans l'entreprise paternelle à temps plein. La Maison Bouillon & Fils a quitté la rue de l'Église (en 1976) pour son emplacement actuel Place du Marché.
Après plusieurs agrandissements, la PME compte aujourd'hui plus de 1.000 m² d'ateliers, d'espaces de salaison et de magasin. "Nous sommes évidemment spécialisés dans la salaison ardennaise, qui bénéficie définitivement de l'appellation IGP (indication géographique protégée). Nos salaisons sont traitées dans des espaces clos, au sein même de nos ateliers, enveloppées par les fumées de sciure de chêne et de hêtre de Tenneville. À titre d'exemple, nous avons besoin de dix semaines de travail pour un jambon d'Ardenne et d'un an pour le jambon d'Ardenne à l'os. À ces spécialités, j'ai ajouté en 2017 une création en première mondiale : un jambon IGP à base de porc Mangalica." Ce porc hongrois, qui peut atteindre les 150 kilos et présente une toison bouclée, est particulièrement gras mais il s'agit de "bon" gras, bourré d'oméga-3 ! Sa viande persillée donne des résultats particulièrement savoureux et séduit les gourmets, au même titre que le cochon pata negra ou le bœuf Angus. "Il est primordial de continuer à avancer, se moderniser, marquer la différence, amener de nouvelles techniques et se recentrer sur les produits d'exception en abandonnant progressivement les produits à faible valeur ajoutée, explique le chef d'entreprise. Dans le même ordre d'idées, nous nous différencions par nos salaisons et nos charcuteries. C'est notre savoir-faire, combiné à la modernité. Par exemple, dans les années 80, nous avons commencé à travailler la technique du sous-vide. C'était presque de la science-fiction ! Aujourd'hui, c'est une opération incontournable, obligatoire."
Philippe Bouillon et sa maman Micheline, active derrière le comptoir depuis plus de 60 ans !
7 tonnes de saucissons d'Ardenne IGP vendues chez Bouillon par an.
Depuis 2017, l'appellation IGP (obtenue après dix-sept ans de lutte) protège de la contrefaçon le jambon d'Ardenne, le saucisson d'Ardenne et leurs déclinaisons.
Image de marque
Physique par excellence, souvent exercé par des hommes à la carrure d'armoire à glace ou de deuxième latte de rugby, le métier de boucher se féminise tandis que les tâches s'allègent grâce à la technologie. "La boucherie demandera toujours beaucoup de savoir-faire et d'opérations manuelles, inévitablement. Mais nous bénéficions de plus en plus d'automatisation, de facilités techniques, qui nous aident au quotidien et préservent notre santé."
Pourtant, la profession n'est pas très bien vue (c'est presqu'un euphémisme). Les tendances végétariennes inscrites dans la consommation d'aujourd'hui et les actions d'activistes vegan, que Philippe Bouillon considère comme du prosélytisme, n'arrangent rien. "C'est un métier en pénurie, qui traîne une image négative à la base ; cela ne nous aide pas pour le recrutement. Et notre profession ne bénéficie d'aucune personnalité charismatique qui donnerait envie aux jeunes de suivre ses traces comme on le voit avec la cuisine ou la pâtisserie. Les récentes attaques de boucheries ne poussent pas à la reprise d'un commerce ou à l'entame d'études. C'est pour cela que nous travaillons depuis deux ans en étroite collaboration avec le cabinet de la ministre Marie-Martine Schyns, dans le cadre du Pacte d'excellence, pour relancer officiellement un cursus technique. Nous y sommes parvenus : dès septembre, l'école de Namur ouvrira une section “artisan boucher-charcutier” et une autre “artisan boulanger-pâtissier”. Il s'agira de cours généraux, de la 3e à la 6e, avec de la gestion, du marketing, des langues et une partie de stages (à accomplir aussi en Flandre). La Fédération mettra des maîtres de stage à disposition", annonce fièrement le président.
Il en faudra à ces jeunes, des qualités, pour exercer ce métier : conscience professionnelle, courage, méticulosité, une certaine résistance au froid qui aidera à passer une partie de la journée dans des chambres froides à 3 degrés... et de la passion. "Être boucher est un métier prenant, qui rogne sur la vie privée. Ça peut devenir lourd quand les grains de sable s'amoncellent. Personnellement, je me vois continuer encore une dizaine d'années puis lever le pied pour m'occuper de moi", précise Philippe Bouillon.
À cette liste déjà bien longue de critères, ajoutons qu'il faut pouvoir se remettre en question, adapter la manière dont on exerce son métier, qui plus est quand la boucherie est installée dans une des artères névralgiques d'une ville touristique comme La Roche. Très régulièrement, Philippe Bouillon pose ses couteaux pour empoigner sa souris d'ordinateur. "Je suis conscient de l'importance des réseaux sociaux, c'est la raison pour laquelle j'ai suivi une formation en communication. Par exemple, Facebook m'ouvre les portes vers une autre clientèle. Je me dois d'occuper le terrain, d'être proactif. L'absence sur les réseaux est une ineptie car notre siècle est celui de la communication. Il faut être présent car les autres le seront à ma place, surtout pour me couper l'herbe sous le pied. Je suis constamment soucieux de mon e-réputation même si je n'ai pas encore investi dans la vente en ligne."
Élu président de la Fédération nationale des bouchers en février dernier, Philippe Bouillon n'est pas un perdreau de l'année. Les arcanes de cette organisation patronale, il les connaît comme les carreaux rouges du vichy de l'étal de sa boutique. Il a d'ailleurs cumulé les rôles de benjamin des présidents provinciaux du Luxembourg à seulement 34 ans et membre du comité directeur au siège national. Un brin hyperactif, l'homme porte aussi la double casquette de vice-président des fédérations du jambon d'Ardenne et du saucisson d'Ardenne... et il a ouvert un restaurant, mitoyen du commerce. Une belle manière de prouver qu'un boucher n'est pas qu'un vendeur de charcuteries, fussent-elles ardennaises !
Carte d'identité de l'entreprise
Maison Bouillon & Fils
Place du Marché 9
6980 La Roche-en-Ardenne
084/411.880
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