Awans | Benoît Nihant, chocolatier et cacaofèvier"Ça nous paraissait impossible, alors on l'a fait"
Le chocolatier, cacaofèvier et désormais planteur liégeois Benoît Nihant vient d'investir dans l'achat d'hectares au Pérou, en bord de forêt amazonienne. L'objectif est de récréer une culture, et d'y donner du travail à une vingtaine de personnes.
La belle histoire de Benoît Nihant débute il y a une dizaine d'années. Ingénieur commercial, il travaille dans le domaine de l'industrie sidérurgique et de la défense. Mais le trentenaire ne s'accomplit pas, sa vraie passion est le chocolat. Porté et encouragé par son épouse Anne, il abandonne son poste et se lance dans l'aventure entrepreneuriale. Il transforme un garage en atelier dans la maison de ses parents située à Embourg, sur les hauteurs cossues de Liège. Pendant dix-huit mois, il est ouvrier volontaire chez Wittamer pour apprendre les bases du métier. Ses tout premiers clients sont des épiceries fines et des restaurants étoilés. Benoît Nihant fait le choix délibéré de ne produire que du chocolat de très haute qualité, avec très peu ou pas du tout d'ajouts aux ingrédients naturels.
D'ateliers en points de vente en Belgique et à l'étranger, l'entreprise Benoît Nihant grandit... Elle s'installe au printemps 2015 sur plus de 1.300 m² à Awans, dans un parc économique en bordure d'autoroute. Un ensemble atelier et magasin dans lequel le cacaofèvier se sent déjà un peu à l'étroit.
Son regard porte vers le Pérou, où il vient d'acquérir quelques hectares près de la frontière brésilienne. "Nous avons acheté ce bout de terre tropicale en 2015 et planté l'an passé. C'est un projet qui me tient à cœur car c'est la première fois, à ma connaissance, qu'un cacaofèvier devient planteur et recrée un espace de plantation. Les premiers contacts ont eu lieu il y a quatre ans et demi, lorsque nous sommes allés sur place à l'invitation du ministère de l'agriculture du Pérou. Nous étions escortés par des militaires, dans un véhicule médicalisé, équipé pour nous donner les premiers soins en cas d'attaque de narcotrafiquants, qui régnaient en maîtres dans la région. Dans ce lieu très reculé, proche de la Cordillère des Andes, les paysans étaient contraints de cultiver la coca. Le gouvernement voulait mettre fin à ce commerce en construisant des routes qui permettraient de rétablir la légalité des activités. Nous étions sur place avec l'ONG allemande Forest Finest spécialisée dans la reforestation, dont les activités sont de replanter des espèces d'arbres qui attirent les insectes qui pollinisent les cacaoyers, tandis que nous apportions notre expertise. C'était une relation win-win", explique aujourd'hui l'entrepreneur.
Malgré cette amorce, le projet n'aboutit toutefois pas à l'époque, faute de sites intéressants.
À l'ombre des bananiers
C'est finalement le hasard qui donnera un petit coup de pouce. Benoît a un ami d'enfance, Cédric Dieudonné, installé à Bruxelles et qui travaille bénévolement pour l'ONG allemande en question. Les deux hommes se rapprochent pour arriver à la province de San Martin, dans les dernières ondulations de la Cordillère des Andes, proches du Brésil. Le climat y est tropical : 35 degrés toute l'année et quasi 100 % d'humidité, des conditions idéales de plantation et de culture du cacaoyer. "Anne et moi, on a toujours rêvé d'une plantation, nous pensions que c'était impossible car il est très difficile d'acheter des terres en étant certains qu'elles appartiennent bien au vendeur. Le gringo que je suis avait toutes les chances de se faire avoir. Cédric connaissait les gens sur place et nous avions les garanties gouvernementales. Nous pouvions concrétiser ce rêve." Le chantier se met alors en place, de premiers bananiers sont plantés début 2016 afin de procurer de l'ombre salvatrice aux cacaoyers et recréer artificiellement une forêt tropicale, mais aussi procurer une première source de revenus aux villageois.
"Nous avons acheté vingt hectares mais nous n'en avons planté que deux pour le moment. Si tout va bien, le rendement sera de 600 kilos de fèves par hectare, en considérant que le cépage que nous avons choisi est plus fragile et hypothétique. En le cultivant sur une terre argileuse comme là-bas, nous devrions obtenir des fèves avec des notes épicées, florales et de fruits rouges. Toutes les conditions sont réunies pour obtenir un bon résultat", espère ce passionné.
La plantation est cultivée par les villageois et supervisée par un ingénieur agronome. Le premier, de nationalité française, n'a pas résisté à l'extrême isolement des lieux ; c'est aujourd'hui Mary, une jeune ingénieure agro péruvienne, qui veille sur le domaine.
"C'est vraiment un monde différent du nôtre et comme nous avons investi sur trente ans, nous avons à cœur de permettre aux gens de vivre dans des conditions décentes, malgré leur méfiance au premier abord. Nous avons fait construire des douches et veillons à ce que la vingtaine de familles qui travaillent pour nous aient eau courante et électricité dans leurs maisons. Il nous a fallu un peu de temps pour nous comprendre mais Mary nous aide bien."
Commerce équitable
Depuis le début de l'aventure, Benoît Nihant s'est rendu six fois sur place, et a appris à connaître les fermiers. "J'ai coutume de dire que nous avons envie de continuer à apprendre. Nous avons voulu faire du chocolat autrement, en étant précurseurs dans le métier. C'est une véritable passion, qui nous apporte la satisfaction de vivre une expérience unique. Humainement, nous avons appris à rester humbles."
Benoît Nihant s'engage à rétribuer équitablement les travailleurs locaux, cette rémunération fait aussi partie de la "politique" de la maison. "Au lieu d'acheter des fèves au cours de la bourse, nous achetons directement aux fermiers et suivons ce qu'ils demandent. C'est un véritable commerce équitable, sans marchandage, qui permet ainsi aux cultivateurs d'être payés de six à douze fois davantage que le cours de la bourse. De cette manière, la main-d'œuvre est traitée dignement et cela permet de conserver les vieux arbres, qui produisent moins de fruits à l'hectare mais donnent des saveurs très intéressantes."
Le chocolat que confectionne le Liégeois est issu de huit plantations, dont trois (Venezuela, Brésil et Costa Rica) sont depuis peu dans le giron Nihant. Un chocolat qu'il faut aborder comme du vin, en le sentant, le regardant puis en le craquant et en le faisant fondre dans la bouche... un vrai rituel que les puristes accomplissent avec respect !
Aujourd'hui, l'entreprise Benoît Nihant, c'est vingt personnes à temps plein. "Je préfère former les jeunes que nous engageons plutôt que recruter des ouvriers qui ont déjà pris certaines habitudes. Les recettes et les goûts, c'est le travail d'une équipe, tout comme le lancement d'un nouveau produit, qui reste une décision collégiale."
Et de nouveaux produits, il en justement question puisque Benoît Nihant propose les "nomades", des barres chocolatées, les nouveautés de Noël (on parle d'icebergs de chocolat) et trois nouvelles tablettes réunies sous l'appellation "Voyage en terre inconnue".