Pierre Demolin

Avocat associé cabinet DBB
04/05/23

Pierre Demolin est diplômé des universités de Louvain, Saint-Louis Bruxelles et Liège (droit européen). Médiateur civil et commercial, il est avocat aux barreaux de Mons (depuis 1973) et Paris (depuis 1995). En 1986, il créé le cabinet d'avocats DBB (Demolin Brulard Barthélemy) qui aujourd'hui, suite à son groupement avec le cabinet Defenso, compte 54 avocats répartis à Bruxelles et en Wallonie. Il est également membre fondateur du Groupement européen d'avocats Lawrope. Ses matières sont, entre autres, la médiation, le conseil et le contentieux, notamment en droit de la distribution commerciale (franchise, agence, concession). Curateur et liquidateur de sociétés, il est médiateur, conférencier et en charge d'enseignement à l'UMons. Auteur de très nombreux ouvrages et articles de droit, Pierre Demolin est en outre conseiller suppléant à la Cour d'appel de Mons.

La brutalité du dossier Delhaize me rappelle la Sabena

Pierre Demolin est "la" référence en droit de la franchise. L'avocat défend les intérêts de franchisés de chaînes et (parfois) bataille ferme. Il porte un regard expert sur le dossier Delhaize, les syndicats et leur communication, avant de délivrer quelques conseils aux candidats franchisés.

Isabelle Morgante

Le business manque aujourd'hui de respect et d'éthique.
  • - Pourquoi avoir fait de la franchise votre spécialité ?

    - Il y a une trentaine d'années, peu d'avocats travaillaient la matière chez nous. J'étais inscrit au barreau de Paris et avais constaté que plusieurs cabinets d'avocats parisiens se consacraient au droit de la franchise. Je me suis donc spécialisé dans cette matière, et j'ai très vite eu des clients. Cela permet de travailler pour des entreprises de toutes tailles, c'est un réel avantage.

  • - Avec notamment des PME qui grandissent ?

    - Il y a des multinationales actives en franchise. Cela dit, il y a énormément de petits réseaux de quarante ou soixante franchisés qui tournent très bien, dont on ne parle quasi jamais parce qu'ils sont tellement bien qu'il ne faut pas parler d'eux. C'est utile de pouvoir fréquenter des grands, des petits, des franchiseurs qui donnent le droit et des franchisés qui reçoivent le droit et qui exploitent le droit qu'on leur donne.

    Je prône un profit partagé et pas que les miettes au franchisé

  • - Quelle est votre expertise face à un franchisé ou un franchiseur ?

    - Il est de deux ordres. Le premier est très important, il permet de concevoir ou de négocier les contrats de franchise. Ensuite, il faut gérer les problèmes qui peuvent survenir pendant l'exécution du contrat. Je constate, cela dit, une tendance malheureuse des grands franchiseurs multinationaux à ne pas beaucoup respecter le franchisé. Il doit être défendu, je le fais de manière constante. À l'inverse, je défends aussi le franchiseur et le respect du contrat par le franchisé. Ma qualité de médiateur me permet de prendre à bras-le-corps les éventuels problèmes.

  • - La médiation est toujours possible ?

    - Sincèrement oui, en obtenant des résultats tout à fait remarquables, si on se trouve devant un franchiseur ouvert au dialogue. Alors, le franchisé est à même de comprendre où réside son intérêt.

  • - Dans le dossier Delhaize, la tâche du conciliateur a l'air particulièrement compliquée.

    - Absolument. Delhaize a été trop brutal dans ses déclarations.

  • - La communication est-elle bonne ?

    - Non, on a l'impression qu'ils ne respectent pas les travailleurs qu'ils veulent confier à leurs futurs franchisés. Vont-ils donner les informations suffisantes à tous ces candidats franchisés pour qu'ils atteignent une rentabilité correcte dans le cadre de leur activité en maintenant les droits des travailleurs transférés ? À ce sujet, je rappelle que la loi de 2005, transposée dans le code de droit économique, oblige le franchiseur à donner toute une série de renseignements avant la signature d'un contrat de franchise. Une loi existait déjà en France. Nous avons suivi en 2005 pour tenter de protéger les franchisés quand ils négocient leur contrat et qu'ils puissent à ce moment-là être certains que leurs grands investissements seront fructueux. Cette loi a un peu assaini le marché, mais pas complètement. Elle doit être perfectionnée car il y a encore beaucoup d'abus. Je préside la commission d'arbitrage qui évalue la loi et fait des propositions d'amélioration. C'est un dialogue permanent. Nous avons émis une vingtaine d'avis, publiés sur le site web du SPF Économie, dont les juges peuvent s'inspirer, mais aussi les parlementaires s'il faut modifier la loi.

  • - Un exemple parmi d'autres ?

    - La loi de 2005 oblige le franchiseur à donner la liste de toutes les obligations du franchisé, pour attirer son attention notamment sur l'obligation de non-concurrence. Finalement, le document d'information précontractuelle contenant ces informations est tellement compliqué qu'on n'arrive pas au but souhaité. Durant deux ans, la commission d'arbitrage a dressé une liste de points à indiquer dans ce document de manière limitative, en tenant compte de l'évolution des pratiques commerciales, du droit des marques, du droit des enseignes et du droit internet. La liste a été transmise par la commission aux deux ministres compétents, qui jugeront de l'utilité d'en faire un projet de loi et de le soumettre au Parlement.

  • - Craignez-vous une quelconque opposition ?

    - Non, parce qu'ici, la commission fait en sorte que la négociation des contrats soit loyale et que les relations entre franchiseurs et franchisés soient les plus fluides possibles.

  • - Se franchiser, est-ce toujours devenir le pot de terre contre le pot de fer ?

    - Ça peut l'être. Les grands réseaux n'ont pas toujours le respect des franchisés et c'est important de les défendre. Mon travail est de reconstituer les droits de mes clients. Notamment celui d'un de mes clients, mis récemment à la porte de son magasin en quelques minutes. Que deviennent-il lui et ses collaborateurs ? Dans le concept de la franchise, il y a l'obligation pour le franchiseur d'assister le franchisé, de travailler avec lui pour résoudre les problèmes et améliorer l'activité. Lors de la crise énergétique, des franchiseurs ont dit aux franchisés de se débrouiller, alors que la notion d'assistance doit faire partie du contrat.

  • - Un candidat franchisé peut obliger le franchiseur à mettre ces notions d'assistance noir sur blanc ?

    - Il pourrait, mais les contrats sont formatés et lorsque d'autres candidats repreneurs attendent derrière la porte, le magasin lui échappera.

Il est toujours possible de trouver des solutions avec un franchiseur qui dialogue.
  • - Quel regard portez-vous sur le dossier Delhaize ?

    - Ça me fait penser à la faillite de la Sabena, même si le contexte n'est pas le même. Delhaize n'est plus belge depuis un certain temps, mais les gens y sont attachés, comme ils l'étaient pour la Sabena. Je dois, cela dit, préciser que j'ai toujours obtenu beaucoup de concertation avec la direction (d'avant). Je n'ai jamais dû aller plaider au tribunal pour des franchisés Delhaize. Je reste confiant si Delhaize continue de gérer la franchise comme il l'a fait jusqu'à présent. Confiant mais inquiet de la brutalité des communications et de la manière dont il a pris ses décisions. Delhaize pouvait être beaucoup plus doux et coopérant. Mais les syndicats exagèrent aussi. Je crains qu'ils soient là pour préserver leurs postes à eux plus que ceux des travailleurs. Je connais des franchisés qui tournent très bien, où les patrons dialoguent et travaillent avec leurs employés. L'omerta des syndicats sur le concept de la franchise est fondée sur quelque chose d'inexact parce que contraire à la réalité.

  • - C'était plus simple avec l'ancienne direction ?

    - Ce ne sont plus des épiciers mais des financiers, c'est le problème éternel. Si les activités sont partagées dans un réseau, il faut aussi que le profit soit correctement partagé et pas seulement vers le franchiseur et des miettes au franchisé.

  • - Où vous situez-vous dans ce dossier ?

    - J'ai des clients en attente de reprise de points de vente, mais il faut que les contrats se règlent correctement et qu'ils soient complètement informés. Il y a beaucoup de pièges dans la franchise ici. Si, par exemple, un franchisé reprend un point de vente et qu'il y a des travailleurs malades de longue durée, qu'est-ce qu'on fait ? S'il existe, que devient le fonds de pension ? Il faut parler de tout ça. À un moment donné, on doit respecter la loi de 2005 sur l'information précontractuelle.

  • - Avez-vous vu un contrat de franchise ?

    - Non. Mes clients sont tenus par la confidentialité. Je trouve ça un peu étonnant.

  • - Ça vous frustre ?

    - Pas du tout, mais je leur dis "prudence" parce que le franchiseur est obligé de communiquer le projet de contrat au moins un mois avant la signature. Je prends l'exemple des bâtiments. Si Delhaize récupère les bâtiments à la fin de la franchise, que deviennent les investissements du franchisé ? Il doit être indemnisé. Il y a tant d'abus dans la matière que la Région wallonne a légiféré et modifié les règles des baux commerciaux.

  • - Quel est l'état d'esprit de vos clients candidats repreneurs ? Sont-ils confiants ?

    - Quand quelqu'un est sur le point de créer une entreprise, je sens toujours cette espèce d'excitation, d'adrénaline qui masque des choses parfois phénoménales dans les contrats. Le conseil à donner est de consulter un avocat et un comptable pour examiner le dossier. Voir si le plan financier est correct et ce que devient le magasin à la fin du contrat. Quand le contrat est signé, c'est trop tard, sauf clauses nulles. Dans ce cas, on peut demander leur nullité. À noter que s'il n'y a pas eu la communication du document d'information précontractuelle dans un délai d'un mois avant la signature du contrat, on peut dans les deux ans demander la nullité de tout.

  • - Selon vous, y a-t-il un profil idéal de candidat franchisé ?

    - L'essentiel est de savoir faire tourner un magasin, ce n'est pas donné à tout le monde. Il faut notamment gérer du personnel, les commandes et les clients. Celui qui y parvient a de gros atouts mais il doit se faire assister aux niveaux juridique et comptable parce qu'il ne peut pas tout connaître. En plus de vérifier les conditions du contrat, la rentabilité et de connaître le montant des emprunts bancaires, il faut superviser ses collaborateurs. Aux Pays-Bas, le secteur alimentaire repose en partie sur le travail des étudiants. Les syndicats n'aiment pas cela puisqu'ils perdent des postes. Tenons compte de tous ces éléments et soyons modérés. Un étudiant ne connaît pas le magasin comme un employé qui a dix ans de maison. Il faut donc trouver un juste milieu.

  • - Vous êtes avocat au barreau de Paris, le milieu de la franchise en France est-il différent du nôtre ?

    - Les problèmes sont les mêmes. Les franchiseurs manquent aussi de respect et me semblent plus voraces. Il existe des mouvements, presque syndicaux, de franchisés qui se réunissent pour revendiquer leurs droits car ils estiment avoir été roulés par le franchiseur. Personnellement, je suis partisan de la création d'asbl de franchisés. Ils travaillent ensemble pour équilibrer les relations avec le franchiseur. Je suis d'ailleurs conseil de ce type d'asbl, un modèle que les franchiseurs n'aiment guère.

    Omerta et mensonge des syndicats

  • - Delhaize compte environ 600 délégués syndicaux sur 9.200 membres du personnel. Le problème n'est-il pas là ?

    - Effectivement, et c'est dommage que les syndicats soient si excessifs parce que finalement, ils perdent de vue les éléments essentiels : c'est notamment de faire en sorte que le personnel soit bien traité par les futurs franchisés en veillant à ce que ceux-ci puissent respecter leurs droits.

  • - Ils défendent leur propre intérêt avant tout ?

    - J'ai cette impression. Ceci dit, je ne suis pas contre les syndicats. Mais ici, nous avons un souci de représentation. Et puis, les syndicats voudraient que l'on regroupe les points de vente d'un même franchisé pour additionner les collaborateurs. En France, les syndicats ont essayé de faire admettre que tous les travailleurs occupés par un franchisé ayant plusieurs points de vente travaillaient dans une seule unité d'exploitation et devaient être accompagnés par les syndicats. Les tribunaux ont rejeté ce principe car chaque entreprise franchisée gère son activité comme elle l'entend. Elle est une entreprise à part entière, avec ses charges, etc. On ne peut pas faire un amalgame de tout et obliger un "petit" entrepreneur à avoir les mêmes contraintes syndicales qu'une grosse entreprise. Dans le dossier Delhaize, le problème essentiel est là : les syndicats perdent énormément de pouvoir à la suite de cette décision.

  • - On parle beaucoup du nombre de supermarchés au kilomètre carré en Belgique. N'est-ce pas là un problème ?

    - Il y a effectivement un excès d'offre de magasins alimentaires en Belgique, c'est absolument certain. Parce que chaque franchiseur en alimentaire veut garder ses parts de marché. Et c'est là d'ailleurs qu'il y a des dérapages. Un franchiseur qui met son franchisé dehors en introduit un autre le lendemain et garde ainsi ses parts de marché. On sait qu'il y a trop de points de vente et on continue à en ouvrir. Le budget des clients n'est pas extensible ! Pour certaines familles, même le prix le moins cher est trop cher.

  • - Les parts de marché, c'est le nœud du problème ?

    - Le franchiseur gagne sa vie sur les marges arrière et les primes de fin d'année. Le calcul est opéré sur le volume global de livraison fait par les entreprises dans le réseau de franchise, volume sur lequel les franchiseurs peuvent retirer un bénéfice. C'est pour ça que le plan financier est essentiel.

    Contexte

    Informer et conseiller

    L'aventure de la franchise peut être un succès

    Depuis plusieurs semaines, la une de l'actualité sociale belge se décline autour d'un nom : Delhaize. Chère aux Belges, la chaîne au lion a l'intention de réduire la voilure mais se heurte à la colère des syndicats. Au cœur du dossier : la franchise de 128 magasins. Pourquoi ? Dans quelles conditions ? Qui reprendra ? Autant de questions auxquelles les candidats franchisés aimeraient obtenir des réponses avant de se lancer dans la grande profondeur.

    Quant aux syndicats, prêchent-ils pour leur paroisse ou celle de leurs affiliés ?

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