Patrick Dupriez

Coprésident d'Écolo
09/04/18

Patrick Dupriez (50 ans) a passé une partie de sa jeunesse en Afrique. Il s'est engagé chez Écolo à 17 ans. Ingénieur agronome, il a aussi suivi une formation en philosophie. Il a travaillé dans la coopération au développement et l'éducation à l'environnement. Devenu échevin à Ciney, il a été élu député wallon en 2009 et a présidé le parlement régional pendant deux ans. Non réélu en 2014, il est devenu, comme Zakia Khattabi, coprésident du parti en mars 2015.

Favoriser les PME, c'est défendre un PROJET DE SOCIÉTÉ

Selon Écolo, baisser les charges pour favoriser l'emploi est un peu court. Le politique doit donner du sens à l'économie, accompagner les acteurs et les mettre en réseau pour stimuler l'innovation et la transition écologique.

Thierry Evens

Les règles sont souvent favorables aux grands groupes internationaux, qui n'ont pas intérêt à ce que les choses changent.
  • - Écolo, comme l'UCM, défend les "petits" face aux "grands" ?

    - Certainement. Les "grands" ont un rôle à jouer mais quand ils sont dominants, ils soumettent la démocratie à leurs intérêts. Le mastodonte Bayer-Monsanto, par exemple, va gérer nos existences depuis les semences jusqu'au soin des cancers générés par le Roundup. Il faut soutenir les petits acteurs économiques. D'abord parce que nous voulons que chacun puisse choisir sa vie et réalise, s'il le souhaite, son projet d'être indépendant. Ensuite parce que, pour la société, avoir une diversité d'acteurs de taille raisonnable, un tissu de PME, permet de donner du sens à l'activité économique, de créer du bien-être.

  • - Et de favoriser la transition écologique ?

    - Bien entendu. Ce sont les PME qui innovent, qui prennent l'initiative en éco-conception ou en circuits courts. Souvent, les grands groupes internationaux n'ont pas intérêt à ce que les choses changent. Et les responsables politiques n'ont pas la capacité de le décréter. Ils doivent être attentifs aux initiatives, bienveillants, favoriser le changement. Leur rôle est de développer des coopérations entre des acteurs ancrés localement, qui ont une conscience sociétale. C'est plus facile de traiter avec eux qu'avec des oligarques pour qui l'entreprise de tel ou tel coin n'est qu'une variable d'ajustement.

  • - Beaucoup d'entrepreneurs se méfient d'Écolo. Pourquoi ?

    - La transition écologique apporte des contraintes et je comprends que certains craignent qu'on ne vienne les emmerder avec des obligations et des restrictions. Il faut accompagner ce qui est inévitable. Prenez la mobilité. Le "tout à la voiture", ce n'est plus possible. Les villes sont saturées. Il y a des initiatives à prendre, en coworking, en multimodalité... pour réduire le besoin de mobilité avant même de penser aux alternatives. Même chose pour l'énergie. Réduisons les consommations et les coûts pour renforcer nos entreprises. Il n'y a pas que le coût du travail qui handicape les PME. La facture d'énergie pèse également.

  • - Est-ce que la politique économique est trop favorable aux grands acteurs ?

    - Je le crois. Prenez la réforme de l'impôt des sociétés. Parce que l'UCM rapporte à la Chambre le sentiment des chefs de PME francophones, elle se fait traiter de "communiste" par un parlementaire. C'est impressionnant !

  • - Et inexact...

    - Si vous le dites...

  • - Cela dit, la réforme est favorable aux PME, non ?

    - Elle est proche de ce qu'on proposait quant à la baisse des taux. Mais nous voulions la financer par un élargissement de la base imposable. C'est le seul impôt dont les recettes sont inférieures aux déductions. Ce n'est ni juste ni efficace de maintenir de multiples niches dont seuls les gros opérateurs peuvent bénéficier. Il aurait fallu simplifier et aller beaucoup plus loin, jusqu'à 40 %, dans la défiscalisation des investissements favorables à la transition écologique. Encourager le business, c'est bien. Favoriser le business efficace par rapport à la société qu'on veut construire, c'est mieux.

  • - Le contrôle alimentaire a été mis en cause dans le scandale Veviba. Il faut revoir le fonctionnement de l'Afsca (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire) ?

    - C'est clair. Veviba n'est pas la première affaire qui démontre l'incapacité des pouvoirs publics à assurer un contrôle sans faille des grandes entreprises agro-alimentaires. En même temps, j'entends sans cesse des artisans, bouchers, boulangers, traiteurs, restaurateurs qui n'en peuvent plus, non seulement des contrôles, mais aussi des paperasses à remplir. Les règles d'administration et le montant des amendes sont identiques quelle que soient la taille et la réalité de l'entreprise. Ça ne va pas !

  • - La sécurité sociale des indépendants fête ses 50 ans. Fêtera-t-elle ses 100 ans ?

    - Le mot "indépendant" doit garder son sens, mais c'est clair que les différences entre les statuts s'estompent. La protection sociale des indépendants s'est améliorée et doit encore progresser. Le défi, c'est de financer un modèle qui couvre tout le monde de façon correcte. C'est pour ça que nous ne voulons pas de l'exonération de 6.000 euros par an proposée par le gouvernement. Ça fragilise la solidarité.

  • - L'argument est que ça facilite le démarrage d'activité...

    - Nous avons déposé en janvier 2016 une proposition de loi pour créer un statut simplifié. Pendant ses trois premières années d'activité, s'il ne dépasse pas 50.000 euros de chiffre d'affaires ou de marge bénéficiaire, un indépendant paierait un forfait de 20 % qui le libérerait de tout impôt et toute cotisation. C'est lisible, simple et cela permet de se consacrer à son métier tranquillement pendant trois ans.

Embaucher un salarié, c'est changer de métier

  • - Le gouvernement fédéral, c'est "misère, misère, misère" ou "jobs, jobs, jobs" ?

    - Il faut être nuancé. C'est vrai, il y a des créations d'emplois, plutôt moins que dans les pays voisins d'ailleurs. C'est vrai, 10 à 15 % de ces emplois nouveaux sont dus au tax shift, ce qui pose la question du coût de ces emplois. Au-delà de cela, nous avons de graves problèmes : 160.000 chômeurs non indemnisés, 40 % d'augmentation des personnes dépendant des CPAS, un coût de l'indemnisation de l'invalidité qui dépasse celui du chômage. Le gouvernement mène des politiques d'emploi à court terme, sans vision et sans évaluation.

  • - Pourtant, l'exonération complète des charges patronales de base sur le premier emploi...

    - Alors ça, c'est une bonne mesure ! Claire, efficace ! Nous voulons même aller plus loin dans l'accompagnement. L'indépendant qui engage un collaborateur change de métier et plonge dans de multiples charges administratives. La difficulté de la première embauche n'est pas liée qu'au coût.

Les médias privilégient les récits qui peuvent faire du buzz. C'est préoccupant.
  • - Les syndicats mobilisent contre la réforme des pensions. Vous êtes d'accord avec eux ?

    - Sur un point, oui : je ne vois pas en quoi les réformes faites et annoncées vont améliorer la situation pour la plupart des travailleurs. Souvent, il faudra travailler plus longtemps pour de plus petites pensions, alors que nous sommes déjà dans un pays où les montants alloués aux retraités sont faibles. Prenez la question des périodes assimilées (maladie, chômage, prépension...). Je peux entendre qu'on fasse une différence plus marquée entre la personne qui travaille et celle qui ne travaille pas. Mais faut-il uniquement ajuster à la baisse ?

  • - Comprenez-vous que la pension à points soit un espoir de plus d'équité pour les indépendants ?

    - Je comprends que les indépendants souhaitent que leur régime de retraite poursuive son évolution. Il peut et doit encore progresser. Faut-il la pension à points pour cela ? Non. C'est un système nébuleux, qui présente des risques et pousse les gens vers les fonds privés de pension. Or ceux-ci échappent aux contrôles. Ils investissent où, dans quoi, avec quelles limites éthiques ? L'expérience montre que les systèmes publics de pension sont plus sociaux, plus sûrs et moins chers pour tout le monde.

Protectionnisme n'est pas un gros mot

  • - Que pensez-vous du changement de majorité, de PS-CDH à MR-CDH, en Wallonie ?

    - Le nouveau gouvernement a entamé une rénovation des outils économiques. C'est bien, mais je ne vois pas encore en quoi ça va améliorer la vie des entrepreneurs. Nous avons deux priorités. La première, c'est de développer l'accompagnement, en particulier pour les jeunes. Ce n'est pas fait. La seconde, c'est de favoriser l'innovation pour engager nos entreprises dans l'économie circulaire et l'économie de la fonctionnalité. Un opérateur existe : Next. Il n'a pas aidé une seule PME depuis quatre ans et rien ne bouge. A contrario, à Bruxelles, une dynamique s'est mise en place à laquelle l'UCM participe activement. J'attends la même chose en Wallonie, avec aussi un soutien accru au crowdfunding et au financement de proximité.

  • - Vous êtes toujours opposé au traité de libre-échange avec le Canada (Ceta) ?

    - Bien entendu. Cet accord et celui qui arrive avec le Mercosur (Amérique du Sud) favorisent les grands acteurs de l'import-export. Ils sont contradictoires avec les accords de Paris sur le climat et coûtent des emplois. La priorité devrait être de stimuler le potentiel PME du marché intérieur européen.

  • - Vous êtes protectionniste ?

    - Nous sommes favorables à un protectionnisme qualitatif. Ouvrir la porte à des produits fabriqués dans des conditions sociales, sanitaires et environnementales différentes des nôtres crée une concurrence déloyale. Nous devons avoir des règles commerciales qui contribuent au progrès de tous, chez nous et ailleurs.

Travailler avec, pas pour les gens

  • - Quels seront les thèmes portés par Écolo pour les élections communales du 14 octobre ?

    - Nous aurons un fil rouge : les responsables politiques doivent être dans une logique d'écoute et de bienveillance au lieu de vouloir décider pour les gens, ou pour les entreprises. Elles sont agiles, multiformes, innovantes. Ne les mettons pas dans des cases, mais soyons positifs. Par exemple, tous les partis – même le PS ! – veulent favoriser les PME et 90 % des marchés publics leur échappent. Parce que nous n'avons pas le réflexe d'autoriser les groupements, de remplacer la remise d'un dossier par la simple communication du numéro d'entreprise. Il faut être "avec", pas "au-dessus".

  • - C'est plus facile dans les petites communes...

    - Ah ! Pourquoi ?

  • - Si vous voulez rénover la place du village, ce sera plus simple de le faire en concertation que si vous voulez aménager le Grognon à Namur...

    - Pas sûr. Les grandes communes ont davantage de personnel et de ressources financières pour mener une politique de participation. Il y a des modèles de "smart cities" (villes connectées) impressionnants. Barcelone a utilisé la mise en réseau comme moteur de son développement et ça marche. L'activité économique se développe dans tous les quartiers. Insuffler ou accompagner une dynamique est plus facile quand vous avez une diversité d'acteurs. Prenez la rénovation énergétique. En Wallonie, 40 % des logements n'ont aucune isolation. C'est un problème pour l'environnement, mais aussi pour les personnes à faibles revenus qui vivent dans des conditions inconfortables. C'est à l'échelle d'une grande ville ou d'un groupement de communes qu'un mécanisme de tiers investisseur est possible, une coopérative qui va payer les travaux et se rembourser sur l'économie d'énergie.

  • - Votre prédécesseur, Jean-Michel Javaux, a lancé e-change, un groupe de réflexion politique. Vous pourriez y aller ?

    - Ponctuellement, pourquoi pas ? Je trouve toujours positif que des gens de divers horizons réfléchissent aux enjeux de société.

  • - Ce n'est pas aux partis politiques de le faire ?

    - Mais nous le faisons ! Écolo vient de terminer une série de treize Écolabs. Des acteurs de la société civile, des chefs d'entreprise, des centaines de citoyens ont réfléchi à des propositions innovantes sur les migrations, la mobilité, la transition écologique, le modèle alimentaire, le fonctionnement de la démocratie... Nous avons nourri notre programme, mis des propositions sur la table et identifié les alliés potentiels.

  • - Avec moins de visibilité médiatique que e-change...

    - Je le regrette. Je ne veux pas critiquer les médias mais j'ai parfois l'impression qu'ils privilégient le récit qui peut faire du buzz. Le conflit suscite l'intérêt. Le premier article consacré à e-change a posé la question de la création d'un nouveau parti. Cette question est sans cesse reprise, malgré les démentis. Et e-change revient sans cesse dans l'actualité, sans avoir encore rien produit. Est-ce que ce groupe est novateur ? Je le souhaite, mais je n'ai encore rien vu. Par contraste, les Écolabs ont sorti des propositions de qualité, sans écho dans les médias. Quelque part, c'est préoccupant.

CONTEXTE

Écolo

Un environnement favorable, et pourtant...

Avec près de 20 % des voix en 1999, Écolo est monté au pouvoir au fédéral et en Wallonie. Puis le parti s'est fracassé en 2004 (8,5 %), est remonté... et retombé en 2014. Il a été relégué dans l'opposition partout et attend le printemps 2019 avec impatience et avec une certaine confiance. Les grands débats de société (mobilité, sécurité alimentaire, économie durable, maîtrise du numérique, réforme de la gouvernance...) rencontrent les préoccupations du parti. Les sondages sont plutôt favorables, sans être spectaculaires. Écolo a le vent dans le dos mais la voile n'est pas vraiment gonflée. Il reste quelques mois pour résoudre l'énigme...

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