Olivier Paasch

Ministre-Président de la Communauté germanophone
18/11/24

Né à Malmedy il y a 53 ans, Oliver Paasch développe très tôt un intérêt pour la politique. Étudiant en droit à Namur et Louvain-la-Neuve, il dirige les assemblées étudiantes et devient l’un des membres fondateurs du mouvement « Jugend für Europa ». Sa carrière professionnelle sera bancaire entre 1995 et 2004. « Tombé » en politique dès 1997, il gravit les échelons en Communauté germanophone pour en devenir Ministre-Président une première fois en 2014, en charge des finances et du budget, des relations intérieures et extérieures, ainsi que de la réforme institutionnelle. Il vient d’entamer, suite aux élections de juin 2024, un troisième mandat de Ministre-Président.

"Élargir nos compétences pour augmenter la qualité de vie"

Oliver Paasch dirige la plus petite communauté politique belge. Un gouvernement formé en quatre
jours, un taux d’emploi de 80 % et de chômage de 6 %. Quelle est la formule miracle de la Communauté
germanophone de Belgique ? Réponses en interview

Isabelle Morgante 

  • Oliver Paasch, 17 % des germanophones vous ont donné une voix de préférence. Quel a été votre sentiment ?

    Mon mouvement politique (le ProDG, NDLR) est, depuis 2019, la première force politique en Communauté germanophone, sachant que le CSP (Parti social-chrétien) nous suivait de quelques voix. J’avais l’espoir de maintenir cette première place et de rester Ministre-Président, mais sans certitude. Nous avons fait d’excellents résultats : 5 % de voix supplémentaires, avec un total de 29 % (soit quasi 10 % de plus que le CSP). C’est vraiment extraordinaire. Merci aux électeurs qui m’accordent de nouveau leur confiance et sont satisfaits du travail de la législature précédente. C'est aussi un défi pour l'avenir et une incroyable motivation pour travailler dans cette législature.

  • Que vous disent les électeurs croisés en rue ?

    La taille de la Communauté germanophone favorise un contact assez direct avec les citoyens. Il y a toujours quelqu’un pour m’accoster, me poser des questions ou donner son avis, en formulant parfois aussi des attentes. Cela fait partie de notre quotidien, c’est un avantage.

  • Cette promiscuité est-elle aussi un inconvénient ?

    Non, jamais. J'adore ce contact direct avec les gens, je cherche vraiment le dialogue avec les citoyens. Par contre, la petite taille de la Communauté germanophone nous désavantage en matière de ressources humaines, où nous manquons parfois de ressources. La solution, c’est la coopération, intrabelge et européenne. Nous sommes systématiquement à la recherche de partenaires dans et hors des frontières, surtout en Europe germanophone, pour compléter nos ressources humaines. Travailler en coopération ne prend pas plus de temps car nous le faisons au sein de conventions-cadres avec nos partenaires. C'est le cas avec toutes les entités fédérées belges mais aussi avec les Länder en Allemagne, certains Länder en Autriche et quelques cantons suisses. La Communauté germanophone bénéficie actuellement de presque 300 accords de coopération, dans le cadre desquels nous organisons notre politique au quotidien. Nos concitoyens vivent à proximité de différentes frontières, ils ont une ouverture d'esprit, parlent plusieurs langues et comprennent la diversité de mentalités. Ils s'habituent très vite au changement, traversent les frontières linguistiques ou étatiques presque tous les jours. Ces accords de coopération font partie de notre quotidien.

  • Vous faites de la politique depuis plus de la moitié de votre vie, c’est un sacerdoce ?

    Je me suis toujours intéressé à la politique, dès le plus jeune âge. J'ai toujours eu le sentiment que mon devoir était de prendre des responsabilités. Cela me procure du plaisir.

  • Le fait d’avoir évolué dans le monde bancaire favorise-t-il votre compréhension des PME et de leurs besoins ?

    Je pense que oui, mais il est vrai que je me suis toujours intéressé au monde de la finance et mon expérience professionnelle m’aide parce que je connais le fonctionnement d'une politique de finance. Et puis, j'ai toujours eu une tendance plutôt sociale libérale, en prêtant beaucoup d'attention aux attentes des employeurs et des entreprises. Nous avons tout intérêt à soutenir les PME et à créer un cadre de développement, de maintenir le haut taux d’emploi et de conserver le taux de chômage le plus bas en Belgique. C’est de cette manière que nous soutiendrons le développement de
    notre région.

  • Le paysage économique, lorsque vous étiez dans le monde bancaire, était différent d’aujourd’hui n’est-ce pas ?

    Beaucoup de choses ont changé depuis 2004. À commencer par la digitalisation. La Communauté germanophone est une région plutôt rurale, les connexions internet y étaient compliquées. Nous sommes en train, à nos frais, de nous équiper de fibre optique afin de combler cette lacune et même donner un avantage à nos habitants. D’autres défis se sont ajoutés à la digitalisation, comme le développement durable, la protection du climat ou encore la migration qui ont pris une nouvelle dimension. Ça influence évidemment aussi les idées politiques et les mesures à prendre.

  • Vous avez formé le gouvernement germanophone en quatre jours… Quelle est la solution miracle ?

    Il n'y a pas de solution miracle. C’est parce que les gens se connaissent. J'ai toujours accordé beaucoup d’attention aux relations avec les gens, au-delà de mon parti et de la majorité gouvernementale, et j’ai le respect de l'opposition. En plus, le travail du Parlement est très constructif, sans débats agressifs ni attaques personnelles. À l’exception d’un parti anti-européen, exclu d’office des négociations, nous avons la chance de toujours trouver un compromis, un terrain d'entente car nous nous connaissons bien et nos divergences sont limitées.

Notre situation est tout simplement un peu particulière en termes de taille, spécificités et compétences. Être proche des personnes concernées par les mesures nous permet de les adapter, de faire du « sur mesure ».
  • Cette entente humaine et politique est-elle due à la taille de la Communauté ?

    Oui, probablement, c’est aussi certainement dû aux compétences de la Communauté, où nous ne discutons ni d'une réforme des pensions ni d’une réforme fiscale. La Communauté germanophone exerce toutes les compétences communautaires et 80 % des compétences régionales. Nous sommes, après la Flandre, l'entité fédérée avec le plus de compétences. On l’oublie parfois mais c’est notre réalité.

  • La lente formation de notre gouvernement fédéral est-elle préjudiciable pour l’image de notre pays ?

    Mettre 541 jours pour former un gouvernement n'a pas été favorable à l'image de la Belgique à l'étranger. J’étais en contact avec des Ministres-Présidents ou ministres en Allemagne ou Autriche, j’ai vu la détérioration de notre image de marque. Malgré tout, pendant cette attente record, nous avons accompli et réussi notre mission de présidence du Conseil européen. Aujourd’hui, la situation n’est plus du tout comparable, parce que d’autres gouvernements régionaux ou communautaires ont été rapidement mis en place et en plus, à l’étranger, on pense encore que le fédéral va suivre.

  • Vous avez présenté le budget il y a quelques jours… L’austérité est de rigueur ?

    Le défi sera grand pour la Communauté germanophone puisque nous ne pouvons pas influencer nos sources de recettes et n'avons pas de pouvoir fiscal. Donc, pour réaliser ou pour respecter la trajectoire budgétaire imposée indirectement par l'Union européenne, et pour participer à l'effort que la Belgique doit fournir, nous devons nous concentrer sur les dépenses. Si on regarde la composition du budget de la Communauté germanophone, qui est essentiellement toujours une Communauté, il est tout à fait clair que ce ne seront pas des mesures faciles à prendre.

  • Vous confirmez que l'austérité est au programme ?

    Oui, la tâche sera très difficile, il nous faudra trouver l’équilibre, tout en continuant à améliorer la qualité de vie de nos citoyens. Offrir des perspectives pour les personnes qui vivent chez nous, sachant que nous avons des concurrents très puissants, par exemple au Luxembourg. Et puis, il nous faudra respecter la trajectoire budgétaire. Le juste équilibre budgétaire est souvent délicat à atteindre, mais nous allons respecter nos engagements, envers et contre tout.

  • Lors de la dernière législature, vous avez réalisé près de 90 % de votre programme… c’est un record !

    Là non plus, pas de recette miracle et je n’ai certainement ni conseils ni leçons à donner. Notre situation est tout simplement un peu particulière en termes de taille, spécificités et compétences. Être proche des personnes concernées par les mesures nous permet de les adapter, de faire du « sur mesure ».

  • Il y a quand même des postes, budgétairement, sur lesquels on ne peut pas rogner ?

    Évidemment. Nous avons fixé des priorités lors de notre conclave budgétaire, mais la Communauté germanophone n'a pas un budget propre pour les PME, parce que la compétence de l'économie est toujours à la Région wallonne. Nous avons un institut de promotion de l'économie, la WFG, pour soutenir les PME, mais au-delà, nous n’avons pas de compétence économique directe. Cela dit, nous avons un système de formation en alternance inspiré par le modèle allemand, très efficace, prônant le multilinguisme, avec un taux d'intégration de 95 % sur le marché du travail endéans les six semaines. Nous défendons une politique d'emploi efficace et sommes fiers d'avoir déjà atteint l’objectif 2030 fédéral puisque nous sommes quasiment à 80 % de taux d'emploi. Nous devons maintenant aider les entreprises à trouver de la main-d'oeuvre qualifiée. C’est un grand défi.

  • Et de contrer la fuite des cerveaux au-delà de vos frontières ?

    Oui, notamment au Luxembourg, où les salaires net sont supérieurs. Nous devons également renforcer l’attractivité de la Communauté en améliorant le niveau de qualité de vie et développer tout le potentiel encore disponible. Un peu plus de 6 % de taux de chômage, c’est encore 2.300 personnes sans emploi. Donc il faut être efficace à ce niveau-là, tout en constatant que nous sommes aussi obligés de nous tourner vers le reste de la Belgique et l'étranger pour attirer de la main-d'oeuvre supplémentaire. Notre démographie n'est pas suffisamment favorable pour combler.

    •  
  • Et faire appel à de la main-d'oeuvre extraeuropéenne ?

    Je pense qu'il y réside un grand potentiel. Je le sais parce que nos entreprises sont en contact avec des institutions en dehors de l'Union européenne. Et je trouve que la législation actuelle, à ce niveau-là, n'est plus suffisamment ouverte, moderne et ne colle plus à la réalité. Il y a aussi beaucoup de travail à faire dans la reconnaissance des diplômes et l’équivalence, même concernant ceux obtenus au sein de l’Union européenne.

Chacune des compétences reprises par la Communauté ces 50 dernières années ont permis de résoudre des problèmes grâce à notre proximité.
  • Quel est votre programme pour attirer de nouveaux citoyens ?

    De la publicité pour montrer au reste du pays, et à une partie de l'Europe, que c'est une région où il fait bon vivre et trouver du travail. Nous sommes d’ailleurs en train de développer une nouvelle stratégie pour attirer de la main-d'oeuvre. On a créé un pack de bonus. C'est l'alliance des entreprises, des partenaires sociaux, des instituts de formation, des écoles... Il nous faut rassembler tout le monde, ce qui est possible dans une Communauté de notre taille, pour se battre en commun contre la pénurie de main-d’oeuvre. On a réalisé un sondage il y a deux ans : 85 % des employeurs en Communauté germanophone sont en pénurie de main-d’oeuvre. J’espère que le Gouvernement fédéral prendra des mesures au cours de cette législature pour nous aider, et notamment une réforme des charges fiscales, permettant d’être plus compétitif au niveau salarial vis-à-vis de la concurrence transfrontalière.

  • On peut aussi parler de cette volonté d’augmenter votre autonomie ?

    Chacune des compétences reprises par la Communauté ces 50 dernières années ont permis de résoudre des problèmes grâce à notre proximité. Notre taille, c'est une grande différence objective par rapport au reste du monde. Pour être encore plus efficaces, nous sommes à la recherche de certaines compétences qui sont complémentaires aux compétences existantes.

  • Vous avez des exemples ?

    Nous sommes compétents en aménagement du territoire mais pas en environnement. Quand une entreprise nous demande un permis unique, elle doit interpeller la Région wallonne et la Communauté germanophone. À l’échelon provincial, la Province de Liège est plus grande que la Communauté germanophone, elle travaille et vit en français. La Communauté germanophone, elle, est compétente à peu près dans les mêmes domaines que la Province de Liège (et est un pouvoir supérieur institutionnellement parlant) mais est germanophone. Cela crée un travail de traduction énorme et des procédures administratives inutiles. C’est un exemple de transfert efficace de compétences.

  • Vous avez l'espoir d'y arriver ?

    J'ai lu dans la DPR qu'on est prêt à étudier les possibilités de transferts de compétences supplémentaires. Donc, il y a une porte qui est ouverte pour des négociations. Et la Communauté germanophone souhaite évidemment commencer les discussions avec le gouvernement pour concrétiser ces différents aspects.

  • Quid de la Grande Région (coopérations transfrontalières entre des régions d’Allemagne, de Belgique, de France et du Luxembourg) ? Quel est son rôle, sa place sur l’échiquier économico-politique ?

    Elle est d’une grande importance. Grâce à elle, des centaines de millions d'euros sont investis dans nos infrastructures et dans la coopération transfrontalière. Grâce à la Grande Région, des services de police sont capables de s'entraider mutuellement, nos ambulances coopèrent au-delà des frontières et nous avons réalisé dans le domaine du tourisme des projets extrêmement intéressants. Nous avons, grâce à la Grande Région, réuni les différentes institutions socio-économiques. Je pourrais vous en parler pendant des heures ! Il y a des centaines de projets qui se réalisent grâce à la Grande Région.

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