Maxime Prévot

Président du CDH, bourgmestre de Namur
06/10/21

À 43 ans, il est déjà un routier de la politique. Bourgmestre de Namur depuis près de dix ans, Maxime Prévot a été député fédéral, chef de groupe au Parlement wallon puis ministre régional wallon. Directeur politique du CDH dès 2004 (à 26 ans), il succède à Benoît Lutgen à la présidence du parti en janvier 2019.

Quatre mois plus tard, une défaite électorale envoie les centristes dans l'opposition à tous les niveaux de pouvoir. Maxime Prévot lance un processus de "régénération" du parti, qui devrait changer de nom en février prochain.

Face aux peurs, parlons VRAI et soyons positifs

Pandémie, déficits, réchauffement, séparatisme… : le climat est morose et la promesse d'un CDH en mutation – "Il fera beau demain" – semble relever du rêve. Le président du parti veut pourtant croire à une politique qui apporte des solutions. Ce que ne font pas, selon lui, les actuels gouvernements.

Thierry Evens

Beaucoup de citoyens se contentent de râler. D'autres veulent trouver des solutions.
  • - Vous avez lancé un processus pour changer le nom et le logiciel du CDH. Pourquoi ?

    - Il y a un motif conjoncturel : notre résultat électoral de 2019 était mauvais. Ce sont des choses qui arrivent ! Il y a surtout un motif structurel : j'ai l'intime conviction que les partis politiques en Belgique sont en obsolescence programmée. Ils incarnent un passé, ils défendent un héritage doctrinaire et ne relèvent pas les nouveaux défis. Leur discours date pour l'essentiel de trente ou quarante ans, d'une époque où il n'était pas question de réchauffement climatique, d'enjeu digital, de menace terroriste et de tensions religieuses. Dans un contexte où les attentes sociales explosent alors que les caisses publiques sont vides, nous devons libérer la créativité, tout remettre à plat.

  • - Vous énumérez les problèmes et menez la réflexion sous l'intitulé "Il fera beau demain". Paradoxal !

    - L'air du temps n'est pas encourageant, c'est vrai. Mais je suis résolument volontariste et optimiste. C'est sur les peurs que surfent et prospèrent les partis extrêmes.

  • - Mais ces peurs sont fondées !

    - Elles doivent être entendues, d'accord. Les flatter ne les atténuera pas. C'est un manque de courage de rejeter la responsabilité sur des coupables désignés : l'Europe, les étrangers, les chômeurs glandeurs ou les patrons profiteurs. Ce sont des caricatures insupportables ! Je veux être un antidote aux simplismes. Je veux croire à la noblesse de l'engagement politique. Je veux remettre de la raison dans un océan d'émotions qui entraînent trop souvent de mauvaises décisions, prises dans la précipitation. Je ne veux pas entrer dans le jeu des slogans et des petites phrases assassines, un jeu qui nourrit le sentiment d'une classe politique déconnectée des réalités.

  • - Pensez-vous que les citoyens et les jeunes en particulier soient prêts à entendre ce discours plutôt austère ?

    - Depuis janvier 2020, malgré les difficultés dues à la pandémie, nous allons au contact des gens pour coller à leur vécu. Nous comptons environ 20.000 participants au processus "Il fera beau demain" et nous étions plus de mille à La Louvière le mois dernier. Beaucoup de citoyens, y compris des jeunes bien sûr, n'ont pas envie de se contenter de râler. Ils veulent agir, changer l'état d'esprit et retrouver un esprit d'État. Changeons de lunettes. Parlons sans langue de bois, sans simplisme et sans populisme. C'est ce que nous voulons faire et cette démarche rencontre un intérêt réel et sincère.

  • - Diriez-vous que votre position est centriste ?

    - Certains raillent le centre en le disant mou, sans structure philosophique, sans colonne vertébrale idéologique. Rien n'est plus faux ! Nous n'avons pas pour vocation d'aller nourrir un pôle de gauche ou un pôle de droite en nous glissant dans le sac à dos d'un parti qui veut vampiriser l'espace politique. J'entends des gens qui ne se retrouvent pas dans le dogmatisme excessif d'Écolo, qui ne supportent plus l'assistanat de la gauche et la brutalité de certaines postures de droite. Ces partis ont leur clientèle et ne parlent qu'à leur clientèle. Ce n'est pas ainsi qu'on bâtit une société. Nous devons être porteurs de solutions pour faire grandir tout le monde. Je sens une aspiration à quelque chose qui régénère notre démocratie, notre gouvernance, notre contrat économique et social.

  • - Il y a un autre parti au centre, Défi. Construire un pôle du centre avec lui ne serait pas logique ?

    - Cela pourrait être rationnel. Ce n'est pas une perspective qui m'échaude. Mais pour progresser à deux, il faut le vouloir des deux côtés…

  • - De votre côté, vous le voulez ?

    - En tout cas, je ne suis pas fermé à la perspective. Cela peut faire sens pour consolider un centre fort, qui soit une boussole et pas une girouette.

    Le nucléaire, faute de mieux

  • - Y a-t-il encore un capitaine sur le bateau fédéral ?

    - Il y en a qui fait bonne figure. Mais il n'y a plus d'équipage. Le gouvernement n'a aucune cohésion. Les querelles et les peaux de banane se multiplient. Pour défendre leurs projets, les ministres sont obligés de sortir dans la presse. C'est ahurissant ! Il faut dire que ces projets sont une surenchère constante de promesses aux citoyens, impossibles à financer. Nous avons une urgence climatique et sociale, c'est indéniable. Nous avons aussi le devoir de ne pas asphyxier l'économie, de permettre la création d'activité et d'emploi et de ne pas ensevelir nos enfants et petits-enfants sous les dettes. Ne pensons pas seulement aux prochaines élections, mais aussi aux prochaines générations.

  • - La flambée du prix de l'énergie pose un problème à la fois de court et de long terme. Quelle est votre réponse ?

    - Le problème qui se pose aux ménages et aux entreprises n'est pas nouveau. Le coût de l'énergie en Belgique est un handicap plus important que le coût de la main-d'œuvre dans certains secteurs. Ce dossier n'a jamais été pris à bras-le-corps, alors qu'il est stratégique. Après des années de ronronnement avec Mme Marghem, il s'emballe avec la vision dogmatique d'Ecolo. Bien sûr que la part du nucléaire dans notre production d'électricité doit décroître. Mais pas à tout prix, ni n'importe comment. Il existe aujourd'hui des petits réacteurs modulables qui sont des opportunités…

  • - Vous voulez prolonger le nucléaire, mais aussi y investir ?

    - Pas d'angélisme ni de diabolisation. Restons perméables à ce que la technologie nucléaire, en 2021, peut offrir comme perspectives dans le combat immédiat et urgent pour réduire les émissions de CO2. Se précipiter sur le gaz est un choix cocasse ! En tout cas, il est clair que le pays n'est pas prêt à une fermeture de tous les réacteurs nucléaires en 2025. Une telle décision ne rencontre pas les trois enjeux majeurs : sécurité d'approvisionnement, maîtrise des coûts, réduction des émissions de CO2.

  • - L'Allemagne paie la moitié des dégâts aux infrastructures dans les Länder victimes des inondations. La Belgique n'accorde qu'un prêt à la Wallonie…

    - C'est terriblement décevant. Je ne veux pas faire du communautarisme à deux balles, mais je me demande quelle aurait été la réaction si le drame s'était produit au nord du pays… Deux mois de latence pour en arriver à un prêt à un taux un tantinet plus avantageux que celui du marché, c'est triste. D'autant que la solidarité fédérale, elle a fonctionné sur le terrain, à l'initiative citoyenne, associative ou entrepreneuriale.

    La Wallonie, telle la Grèce…

  • - Les finances publiques vont mal. Nous allons connaître des années de rigueur budgétaire ?

    - Sans doute. Face au dérapage des budgets, deux choses m'inquiètent. D'abord, le gouvernement fédéral est incapable de mener à bien une seule des réformes structurelles exigées par l'Europe. Pension, fiscalité, marché du travail : rien ne bouge. Le temps perdu en chamailleries nous rapproche des prochaines élections et cela risque d'être le prétexte ou le motif pour reporter les actes courageux nécessaires. En second lieu, je suis d'accord qu'il ne faut pas être chiche sur les investissements publics, mais ouvrir tous les robinets, ce n'est pas raisonnable. La Wallonie a une perspective de déficit qui n'a rien à envier à la Grèce.

  • - C'est ce que dit la N-VA. Elle a raison ?

    - Sur ce point-là, oui. Il y a une fragilité additionnelle : la Wallonie n'est pas un État et ne dispose donc pas des mêmes latitudes que la Grèce pour corriger sa trajectoire. Je comprends que le budget ne soit pas, aujourd'hui, la priorité. Mais il faut rester sérieux. Fuir le débat, c'est se condamner à prendre dans quelques années des décisions économiques et sociales ravageuses.

  • - Les indépendants et les chefs de PME estiment que la fiscalité sur le travail est au maximum…

    - Je partage cet avis depuis longtemps. Notre système est complètement dépassé. Il date de l'immédiat après-guerre, quand il a fallu prélever rapidement un impôt sur l'assiette la plus large. Le modèle n'est plus soutenable, ni pour le pouvoir d'achat, ni pour la compétitivité. Il étouffe l'innovation et l'initiative. Quand une tête dépasse, elle est scalpée. Les gens ont presque honte de dire qu'ils ont réussi et gagnent bien leur vie. C'est ridicule de geindre parce les jeunes manquent d'esprit d'entreprendre, et de forcer ceux qui en ont à s'en excuser. Nous avons besoin d'une vraie réforme, profonde, de la fiscalité. Ce que nous aurions fait, au CDH, c'est mettre des experts autour d'une table pendant un an, pour qu'ils réfléchissent au départ d'une page blanche. Créons un pays en 2022 et imaginons une fiscalité idéale. Elle pèserait certainement moins sur le travail.

     

  • - Mais plus sur le capital ?

    - Bien sûr. Il faut avoir l'honnêteté de le dire sans tomber dans l'excès des partis gauchisants qui veulent aller tout pomper. J'ajoute qu'il ne faut pas se contenter de moins taxer le travail. Il faut le revaloriser et le repenser. Le droit au chômage illimité dans le temps, je comprends que ça choque ceux qui se lèvent tôt et qui bossent. Par contre, pouvoir démissionner d'un emploi salarié et toucher un chômage, le temps de créer par exemple son propre emploi, cela favorise la mobilité. Nous devons aussi réfléchir au bien-être. Deux travailleurs sur trois ne sont pas bien dans leurs baskets au boulot. Croyez-vous que leur productivité soit optimale ? Il faut donner du sens au travail, revoir le rapport au temps. La jeune génération préfère gagner un peu moins, mais ne pas s'abrutir ni subir les bouchons vers Bruxelles.

    Le politique doit agir, pas suivre

  • - En 2024, le Vlaams Belang pourrait être premier parti en Flandre et les indépendantistes seraient quasiment majoritaires. Cela vous inquiète ?

    - Ce n'est pas le moment d'être inquiet. C'est l'heure de l'action. Je déplore, alors que je l'ai demandé depuis plus de deux ans et de façon répétée, que les partis francophones soient incapables de se réunir pour réfléchir à l'avenir de la Wallonie et de Bruxelles.

  • - Ils se sont réunis sans vous…

    - Oui, c'est vrai, sans le CDH et sans Défi. C'est inopportun. Je comprends tout à fait qu'un gouvernement ne s'encombre pas de la minorité pour décider les réformes à mettre en œuvre jusqu'aux élections. Mais pour la suite, cela n'a aucun sens d'exclure des partis démocratiques qui, d'une façon ou d'une autre, auront un rôle à jouer. Même si les majorités ne changent pas, toute réforme des institutions exige une majorité des deux tiers. Or, le toilettage de l'espace francophone est indispensable pour cesser de se présenter aux Flamands un genou en terre, en quémandant. On a beaucoup parlé des neuf ministres de la Santé. Il y a un fédéral, un flamand, un germanophone et six francophones ! Tout est dit. Notre gouvernance défaillante est un vrai handicap. Nous avons trop de machins qui passent leur temps à contrôler et à exiger des papiers, au lieu de laisser les gens travailler et vivre.

La gauche et la droite ont leur clientèle. Nous voulons faire grandir tout le monde.
  • - Comme bourgmestre de Namur, vous avez mené à bien le projet Confluence, qui a mis fin à 53 ans de déshérence du site du Grognon. Comment avez-vous fait ?

    - J'ai osé. Quand je suis devenu bourgmestre, à 33 ans, quelqu'un m'a glissé : "Ne t'attaque pas au dossier du Grognon, ce sera le premier clou de ton cercueil." J'ai considéré que si je ne mettais pas les mains dans le cambouis pour sortir de l'impasse ce dossier stratégique et symbolique, qui touche au cœur et au berceau de la ville, je n'étais pas à ma place. Alors on est allés chercher avec les dents des crédits européens et on a lancé un concours international d'architecture pour offrir un regard neuf et neutre. Si nous n'avions consulté que les Namurois, ils auraient sans doute été très frileux, vu le passé.

  • - C'est votre méthode : ne pas seulement écouter les gens mais leur proposer des choses peut-être inattendues ?

    - J'ai la conviction que la politique est à un point de rupture. La crédibilité des partis et des responsables est en danger. S'ils continuent à hurler avec les loups et à caresser les gens dans le sens du poil, il n'y aura pas de réconciliation entre les citoyens et les hommes et femmes politiques. Regardez Angela Merkel. Dans bien des dossiers, elle a osé prendre le contrepied de la pensée majoritaire et le climat politique en Allemagne est un des plus sains d'Europe. Face aux défis immenses, nous devons retrouver ce sens de l'État.

Contexte

CDH

Quelle place pour le centre ?

Depuis sa création en 2002, le CDH (ex-PSC) n'a cessé de rapetisser. En 2019, il a encore perdu un quart de ses électeurs, pour atteindre 11 % en Wallonie, 7,6 % à Bruxelles. C'est devenu une formation marginale.

Qui ne se résigne pas ! Le centre politique, qui se veut garant de l'intérêt général et du bien commun, garde des partisans. La relance passe sans doute par une redéfinition du programme et peut-être par la constitution d'une masse critique avec Défi (4,4 % en Wallonie, 13,8 % à Bruxelles)…

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