Marie-Kristine Vanbockestal

administratrice générale du Forem
14/02/20

Entrée au Forem en 1986 comme formatrice en langues germaniques, la Liégeoise Marie-Kristine Vanbockestal a travaillé à partir de 1999 pour plusieurs ministres socialistes : de Michel Daerden à Jean-Claude Marcourt, comme cheffe de cabinet. En 2011, elle a pris les rênes de l'organisme public wallon de placement et de formation des demandeurs d'emploi. À 62 ans, elle va certainement obtenir un troisième mandat. Malgré son franc-parler, elle n'a guère de détracteurs.

Les chefs de PME sont nos clients

Avec la baisse du chômage et la multiplication des métiers en pénurie, le Forem fait face à de nouveaux défis. Sa patronne invite les chefs de PME à dialoguer, pour bien exprimer leurs besoins.

Thierry Evens

Bien rédiger son offre d'emploi, c'est essentiel
  • - Beaucoup de chefs de PME comptent sur le Forem pour embaucher ? Que leur proposez-vous ?

    - Je dirais d'abord et de plus en plus l'intelligence de nos conseillers. Nos clients chefs d'entreprise ont une personne de contact, un référent unique qui connaît leur secteur. Ils pourront nouer une relation de confiance dans la durée et plus large que la seule satisfaction d'une offre d'emploi. Je conseille aux TPE qui n'ont pas d'arsenal RH : entrez très tôt, bien en amont du processus d'embauche, en contact avec votre conseiller. Il pourra percevoir vos besoins, formuler une offre qui y répond et proposer les aides utiles. Cela réduit le risque de ne pas trouver la bonne personne et de perdre du temps.

  • - Recourir au Forem, c'est davantage que consulter des petites annonces ?

    - C'est une possibilité. Nous avons une zone d'autonomie pour les demandeurs d'emploi et les chefs d'entreprise. Si vous savez précisément ce que vous voulez, allez-y ! Mais je recommande toujours le contact humain, ne fût-ce que pour s'assurer que l'offre est bien exprimée.

  • - Vos conseillers connaissent la réalité des entreprises ?

    - Dès qu'ils débutent, ils entrent dans un processus continu de formation et de perfectionnement. Nous savons que nous sommes perçus comme une grosse administration. Nous voulons avoir du crédit auprès de nos clients et avoir une approche commerciale. Nous attendons de nos conseillers qu'ils soient performants et proactifs, qu'ils aillent porter les produits et services du Forem auprès des entreprises pour générer une relation fructueuse.

  • - Vous avez combien de conseillers ?

    - Ils sont 265. Ils étaient 213 il y a trois ans. Nous avons multiplié les procédures de recrutement pour augmenter leur nombre. C'est un métier difficile. Il faut constamment mettre à jour ses connaissances, connaître le tissu socio-économique, la gamme des aides à l'emploi et à la formation. Il faut pouvoir gérer avec empathie et patience les chefs d'entreprise qui viennent avec une multiplicité de questions et de problèmes. C'est pour ça que nous les spécialisons dans un secteur et que nous essayons de leur faciliter la vie au maximum. Nous avons développé des outils en ligne, un CRM (logiciel de gestion des clients, NDLR). Leurs expériences sont partagées. Nous avons un accès la Banque-carrefour des entreprises pour ne pas perdre de temps avec les données administratives.

  • - Comment augmenter ses chances de trouver le bon collaborateur ?

    - Si le chef d'entreprise cherche un profil très précis et que le demandeur d'emploi donne de lui un profil très précis, dans beaucoup de cas, les deux ne "matcheront" pas. C'est pourquoi nous conseillons d'aller au-delà d'un simple énoncé de la formation et de l'expérience attendues. Avec une description de fonction, on peut trouver son bonheur auprès d'un demandeur d'emploi qui ne se serait pas spontanément positionné pour un métier donné.

  • - Cela demande aussi de la souplesse de la part des demandeurs d'emploi…

    - Bien entendu. Je vais prendre un exemple simple. Comptable est un métier en pénurie, pas aide-comptable. Si, des deux côtés, on va un peu plus loin dans la description des attentes, des aptitudes, du comportement, l'employeur en recherche peut trouver un aide-comptable qui lui convient, qui aime les maths et qui est prêt à se former. Vous prenez une formule PFI (plan formation insertion, NDLR) en entreprise et la solution est trouvée.

  • - Il ne faut donc pas attendre de trouver pile poil la pièce de puzzle cherchée ?

    - Un appariement très mécanique risque fort de déboucher sur un échec. Une embauche est un processus qui concerne deux personnes humaines. Vérifier à l'avance que la relation peut bien se passer augmente les chances de succès.

    Causes et remèdes des pénuries

  • - Le chômage baisse depuis 2013 dans toutes les catégories d'âge. Votre métier a changé ? Les pénuries d'emploi sont une réalité ?

    - Oui, mais relative. Bien sûr, si vous êtes chef d'entreprise, que vous déposez une offre d'emploi et que vous ne trouvez personne, vous avez l'impression que l'univers entier manque de main-d'œuvre. Ce n'est pas le cas. Le Forem mesure le phénomène selon une méthode scientifique. Nous identifions 72 métiers en pénurie et 28 fonctions critiques. Nous avons constaté l'an dernier que sur 550.000 offres d'emploi déposées, 17 % n'ont pas été satisfaites. C'est donc une minorité mais je ne veux surtout pas minimiser le problème parce que cette proportion augmente. Nous étions à 13 % en 2017, 15 % en 2018. C'est donc inquiétant.

  • - Que faire ?

    - Comme je l'ai dit, utiliser le savoir-faire des conseillers pour ne pas rester six mois avec une offre insatisfaite. Il est peut-être possible de la reconfigurer, d'utiliser les aides à la formation pour trouver les compétences voulues.

  • - Embaucher, puis former ?

    - Il est possible de combiner les aides, du plan formation insertion (PFI) aux chèques formation jusqu'au crédit-adaptation ou congé-éducation payé. C'est important, votre question ! Trop souvent, la signature d'un contrat à durée indéterminée apparaît comme un aboutissement. La réalité, c'est que la personne engagée doit constamment maintenir à jour son bagage de compétences. Sinon, l'entreprise se fragilise et les carrières coupées, qui sont la règle pour les jeunes, génèrent du stress et des difficultés de réinsertion. C'est pour ça que le Forem propose des outils de formation avec ses centres de compétences, qu'il a des formateurs en propre et des partenaires comme l'IFAPME ou l'enseignement de promotion sociale.

Les pénuries tirent vers le haut les conditions de travail
  • - Pour en revenir aux pénuries, pensez-vous que les employeurs cherchent parfois un mouton à cinq pattes ?

    - C'est un cliché. Je dirais plutôt qu'ils expriment parfois leurs besoins à gros traits, sans prendre le temps de calibrer la demande. La période où certains cherchaient des personnes surqualifiées pour la fonction est dépassée. Et la plupart des métiers en pénurie ne requièrent pas de diplômes universitaires. Dans 90 % des cas, les compétences nécessaires peuvent s'acquérir au Forem, par des formations professionnalisantes, techniques pour la plupart. Nous avons 300 filières de formation dont la moitié concerne des fonctions critiques. Le geste, on peut l'apprendre chez nous.

  • - Y a-t-il un problème de pénibilité, de mauvaises conditions de travail ?

    - Le Forem n'a aucune prise pour agir sur les salaires, les horaires, la nature du contrat, la mobilité… C'est la relation entre l'employeur et le travailleur qui peut rendre un emploi attractif. Bien sûr, il y a des contraintes : le travail dans un restaurant, c'est en soirée. Mais les pénuries tirent vers le haut les conditions de travail. J'ai vu une étude selon laquelle le salaire moyen des ouvriers dépassait le salaire moyen des employés. Le marché du travail est vivant.

  • - Comment alors orienter davantage les jeunes vers les métiers en pénurie ?

    - Nous devons travailler sur l'information et la sensibilisation des jeunes dès l'école. Je plaide pour avoir en Wallonie un véritable outil d'orientation professionnelle pour tous, de 7 à 77 ans. Nous avons au Forem une bonne connaissance du marché de l'emploi, un site "Horizon emploi" avec une bonne description des métiers. Nous nous projetons dans l'avenir en faisant de la prospective. Dans le milieu scolaire, vous avez les centres PMS comme outils d'orientation. Leur logique est toute différente. Ils évaluent les capacités cognitives et les projets professionnels des élèves pour les orienter. Il y a un cloisonnement néfaste. Il faut allier la connaissance du marché du travail et la connaissance de la personne pour proposer un avenir à chaque jeune.

  • - L'incitant de 350 euros pour les demandeurs d'emploi qui se forment dans un métier en pénurie est utile ?

    - Oui et non. Pour former un soudeur ou un électromécanicien, il faut six mois. Est-ce que promettre 350 euros au bout du cursus est assez déterminant pour faire un choix de vie ? Je laisse la question en suspens…

  • - Si la question est posée comme ça, la réponse est non…

    - Les 350 euros sont un "plus". Le véritable incitant, c'est l'espoir de décrocher un emploi. Garantissez au moins des entretiens d'embauche au bout d'une formation et vous aurez des gens pour s'y engager. C'est très clair avec le dispositif "coup de poing" pour les entreprises qui ont un besoin spécifique. Le Forem organise une formation clé sur porte, en échange de quoi au moins 80 % des personnes qui la réussissent sont engagées. Nous avons trente-deux conventions signées. C'est un succès. Il n'y a rien de tel pour un demandeur d'emploi qu'une perspective de recrutement.

    Manque de motivation, comportement inadéquat

  • - Le Forem enverrait parfois des candidats qui ne cherchent pas vraiment du travail, qui viennent juste pour éviter des sanctions ?

    - La motivation est un vrai sujet ! Oui, malheureusement, il arrive que quelqu'un se présente à un entretien pour se mettre à l'abri d'un contrôle. C'est inconfortable, je le reconnais. Il est plus fréquent que des personnes cherchent vraiment un emploi, mais de façon désordonnée. Elles multiplient les démarches et vont voir le plus d'employeurs potentiels possible, sans poser de choix. Le travail de nos conseillers est d'opérer des adressages précis, de sélectionner les CV et de ne fournir au chef d'entreprise que des candidats motivés et aptes à occuper le poste. C'est l'idéal à atteindre et nous ne vivons pas dans un monde idéal…

  • - Certains jeunes manquent aussi de "soft skills", des compétences de base, y compris comportementales…

    - C'est un vrai sujet aussi, qui interpelle le système éducatif, en Wallonie comme partout. Des jeunes quittent l'école sans avoir la maturité nécessaire pour s'insérer dans un environnement de travail, dans une équipe. Ils ne comprennent pas les instructions, manquent de sens critique, de réactivité, d'autonomie… Que faut-il faire et qui doit le faire ? Le Forem est à ce point interpellé que nous avons créé des modules de formation en "compétences clés". Nous essayons de faire comprendre les règles d'une entreprise. Ce n'est qu'un rattrapage d'un parcours scolaire inadéquat.

  • - Les fédérations d'employeurs ont signé avec Unia, le centre pour l'égalité des chances, un accord de promotion de la diversité en entreprise. Il y a un problème ?

    - J'ai lu le rapport du Conseil supérieur de l'emploi. Le taux moyen d'emploi des personnes d'origine extra-européenne est de quelque 20 % inférieur à celui des autochtones. Oui, il y a des discriminations à l'embauche. Cela n'a rien de surprenant. C'est un phénomène qu'on observe dans tous les milieux, dans la société en général. Il n'y a évidemment pas de solution facile. Il faut encore et encore parler, convaincre, prouver…

    Budget base zéro ? Même pas peur…

  • - Le gouvernement wallon va réexaminer toutes les aides à l'emploi. Certaines sont superflues ?

    - Elles doivent être les plus performantes possibles. Prenez les trois aides "impulsion", pour les plus de 55 ans, les moins de 25 ans et les demandeurs d'emploi depuis plus de douze mois. Celle qui marche le mieux, c'est la réduction de cotisations pour les plus de 55 ans. Est-ce la plus utile ? Peut-être au niveau national, où prolonger les carrières est prioritaire. En Wallonie, où environ 40.000 jeunes sont au chômage, l'accent pourrait être différent. Ne pourrait-on pas créer un incitant de type "impulsion pénurie", pour aider l'entreprise qui doit compléter une formation, via une réduction de cotisations ou une activation de l'allocation de chômage ?

  • - Le gouvernement annonce aussi un gros travail de "budget base zéro". Le Forem représente 2,6 des 13,8 milliards d'euros de dépenses. Vous vous attendez à souffrir ?

    - Précision : sur ces 2,6 milliards, 2,2 sont des aides directes. Nous dépensons 400 millions d'euros en frais de fonctionnement, dont 220 millions de masse salariale. Le solde, 180 millions, est dépensé pour les formations, internes ou externes, des investissements IT, la logistique… Le budget du Forem sert à fluidifier le marché de l'emploi, à permettre aux entreprises de croître en trouvant des collaborateurs compétents. Toutes nos dépenses sont justifiées. Donc, non, je n'ai pas peur du budget base zéro. C'est un exercice louable de transparence au contraire. Je suis confiante dans le fait que la Wallonie a bien besoin de 2,6 milliards d'euros pour faire fonctionner son marché de l'emploi.

  • - En tout cas, les services resteront gratuits pour les employeurs ?

    - Oui, tout est gratuit et le restera. Sauf bien entendu la formation continue en entreprise, après l'embauche, qui a un coût. Mais des aides existent.

Contexte

Forem

Un outil précieux pour les PME

En avril dernier, une enquête UCM a montré que plus de 90 % des employeurs wallons connaissent le Forem et plus de 50 % l'utilisent pour embaucher. Les services sont plutôt appréciés : 36,5 % d'avis positifs contre 15,8 % d'entrepreneurs qui se disent déçus. Par rapport à la même enquête en 2016, les résultats s'étaient nettement améliorés. Les chefs de PME apprécient en particulier d'avoir un conseiller référent, qui peut être proactif quant à leurs besoins et sélectionner les candidats pour éviter le désastreux "effet cachet", la personne qui ne se présente que pour éviter une sanction.

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