Ludivine Dedonder

Ex-échevine à Tournai, première femme ministre de la Défense, étoile montante du PS
09/04/21

Ingénieure de formation et fan de foot, elle a travaillé en radio et en télé avant d'intégrer, de 2004 à 2008, le cabinet de Michel Daerden, en charge du Budget wallon. Elle s'est ensuite cantonnée à Tournai, où elle a été échevine jusqu'en 2019. Candidate aux élections fédérales pour la première fois, elle triomphe avec 16.663 voix de préférence, juste derrière… Elio Di Rupo. Le président du PS, Paul Magnette, la propulse à un poste inattendu au sein du gouvernement De Croo. À 44 ans, sa carrière politique ne fait peut-être que débuter.

L'armée a un rôle économique et social

Les militaires font face aux crises, dans le pays et à l'extérieur. La Défense fournit aussi des milliers de marchés publics, assure des formations, embauche et remet de la main-d'œuvre sur le marché de l'emploi… Elle est un acteur essentiel au cœur de notre société.

Thierry Evens

La Défense va participer à la relance économique.
  • - Aux indépendants et chefs de PME qui seraient surpris de vous lire dans UCM Magazine, il faut dire que les liens entre la Défense et ces professionnels sont nombreux…

    - C'est peut-être méconnu, mais l'armée est un grand fournisseur de marchés publics, à la fois pour des grands groupes et de très petites entreprises. Nous faisons appel à des extérieurs pour la vie quotidienne : fournitures diverses, entretien des véhicules ou des bâtiments, aménagement des zones vertes, etc. Nous avons aussi des chantiers de construction et de rénovation. La Défense va participer à la relance avec un budget de 1,5 milliard d'euros d'ici 2024, qui ira en grande partie à des entreprises belges.

  • - Y compris des PME ?

    - Bien entendu. Ce sont des marchés publics ouverts à tous. Évidemment, quand il s'agit de matériel militaire ou très spécialisé, c'est compliqué. Mais tout de suite, il faut des hangars, de l'entretien… En 2020, nous avions 2.096 contrats de marchés de services, hors construction et rénovation. Les petites entreprises sont très présentes, partout dans le pays car l'armée a de très nombreuses installations.

    Année Marchés publics en gestion Montant total
    2019 2.087 3.034.314.987 €
    2020 2.096 1.503.477.731 €
    2021 1.503 635.693.259 €

    Les chiffres de 2021 sont bien entendu incomplets. Et en plus de ces gros marchés, environ 15.000 achats locaux (d'un montant limité) sont réalisés chaque année, majoritairement auprès de PME, pour un total de quelque six millions d'euros.

  • - Pouvez-vous faire davantage pour les petites entreprises ?

    - Le budget de la recherche et développement dans le numérique, l'intelligence artificielle, le médical et bien d'autres domaines pas exclusivement militaires va passer de huit à trente millions d'euros d'ici la fin de la législature. En collaboration avec le SPF Économie, nous créerons des niches pour les PME belges. Je travaillerai aussi à leur donner un meilleur accès aux budgets européens. Il est normal que de grandes entreprises soient sur la balle mais je veux davantage de PME belges dans les chaînes d'approvisionnement. Je serai pugnace là-dessus.

  • - Vous avez des projets de construction ?

    - Oui, un gros dossier à Evere avec de nouveaux quartiers militaires. Et puis le projet de deux casernes du futur, en Flandre orientale et près de Charleroi. Nous voulons créer des lieux d'échanges entre la Défense, l'industrie et le monde académique. Dans le même environnement, nous aurons de la recherche et développement, des activités de formation et des infrastructures sportives partagées. C'est ce que je veux pour l'armée de demain, ouverte sur la société, collaborant avec le Forem et Actiris pour recruter et réorienter les militaires, collaborant avec l'IFAPME pour la formation.

    L'ascenseur social

  • - On n'entre plus à l'armée à 18 ans pour en sortir à la pension ?

    - Il n'y a pas du tout de paroi étanche. Des personnes formées à l'extérieur peuvent venir chez nous à temps plein ou à temps partiel : nous offrons d'ailleurs une prime dans les métiers en pénurie. Et quand quelqu'un a fait un bout de chemin avec nous, il peut en sortir avec une bonne formation pour trouver aisément une place dans le privé. Je vois la Défense comme un véritable moteur de l'ascenseur social. L'armée a un rôle d'éducation, de formation, bénéfique aux personnes et aux entreprises. Un ancien militaire avec une compétence technique est un renfort de choix pour une PME : c'est quelqu'un qui a un esprit de corps, qui sait travailler et être disponible dans une situation critique.

  • - Ils sont nombreux sur le marché du travail ?

    - Entre 35 et 40 ans, beaucoup de gens nous quittent pour diverses raisons, souvent l'envie de se stabiliser, de ne plus partir à l'étranger. Je souhaite établir des ponts avec les entreprises, développer un réseau qui leur permette de répondre aux besoins de main-d'œuvre. J'en ai déjà discuté avec les quelque 70 entreprises du BSDI (Belgian Security and Defence Industry). Je voudrais aller au-delà.

  • - Ils peuvent aussi créer leur propre entreprise…

    - Bien entendu. Ouvrons les portes pour que chacun puisse faire le choix de carrière qui lui convient le mieux. C'est dans ce but que je vais développer la réserve à temps partiel : une partie de son temps à l'armée avec un salaire garanti et une partie en entreprise ou à son compte. Je suis fille, petite-fille et arrière-petite-fille d'indépendants. Je sais que ce n'est pas facile, surtout au démarrage. C'est précieux d'avoir un revenu assuré. Et pour l'armée, avoir des techniciens, des mécaniciens ou même des médecins à temps partiel est tout à fait positif.

  • - Avez-vous aussi des besoins en informatique ?

    - Ils sont considérables, tant en matériel qu'en personnel. Depuis 2016, le service de renseignement de la Défense est responsable de la cybersécurité. Nous devons protéger les infrastructures et les institutions publiques, par exemple les hôpitaux qui sont parfois la cible des pirates. J'ai demandé en décembre une analyse des cybermenaces à l'horizon 2030-2040. Le rapport sera rendu fin mai. Il est clair que nous aurons besoin d'informaticiens diplômés ou passionnés que nous pourrons former. Là aussi, il y a des ponts à construire avec les entreprises.

  • - Votre philosophie, c'est d'intégrer l'armée à la Nation ?

    - J'ai le sentiment que les multiples facettes de la Défense sont trop peu connues. Elle doit remplir ses missions avec un maximum de retombées économiques et sociales, de créations d'emplois, de soutien à la recherche et développement. Sans perdre de vue, évidemment, son rôle premier : intervenir dans toutes les situations de crise. L'armée est venue en appui de la police au moment des attentats. Elle est intervenue depuis un an dans les centres de soins, les maisons de repos et les hôpitaux. Elle soutient aujourd'hui la campagne de vaccination. Elle est présente dans plusieurs pays pour maintenir la paix et prévenir le terrorisme. La frontière entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure est extrêmement mince. Nos missions à l'étranger protègent les intérêts du pays.

    Les militaires fiers de servir la population

  • - Comment l'armée a-t-elle participé à la lutte contre le Covid ?

    - Quelques jours après ma prise de fonction, nous avons mis 1.850 militaires à disposition d'environ 300 centres de soins. Il y avait des médecins, des infirmiers, des ambulanciers mais aussi du personnel logistique pour l'accueil dans les hôpitaux par exemple. Nous avons fourni du matériel aussi. Aujourd'hui, nous intervenons à la demande dans les centres de vaccination et nous avons mis nous-mêmes des locaux à disposition.

  • - Vous avez le sentiment que les militaires apportent cette aide de bon cœur ?

    - Oui, vraiment. Les gens que je rencontre sur le terrain sont heureux d'être utiles. Et je reçois des centaines de mails de la population pour que je les remercie. C'est rare. D'habitude, les personnes qui écrivent sont plutôt critiques. Maintenant, il va de soi que c'est un appui ponctuel. Il ne s'agit pas de remplacer le personnel soignant et nous nous retirerons dès que la situation sera meilleure. C'est ce qui arrivera le 1er septembre si le niveau de la menace terroriste est inchangé. Nous cesserons la surveillance des rues et des lieux publics et laisserons la tâche à la police. Quand la crise est terminée, la mission de l'armée est terminée.

    La place des femmes

  • - Vous êtes la première femme ministre de la Défense en Belgique. C'est une fierté ?

    - Oui, quand même, je ne vais pas dire le contraire. Mettre une femme à la tête d'un département historiquement très masculin est un signal. Cela montre qu'on veut une armée ouverte sur la société et où les femmes ont leur place. Elles ne sont que 11,5 %. C'est une proportion à améliorer. La diversité des métiers que nous proposons est trop peu connue et les femmes ne mesurent peut-être pas les opportunités qui s'offrent à elles. Elles ont les mêmes perspectives de carrière que les hommes et bien entendu les mêmes salaires.

  • - Votre objectif est d'arriver à l'égalité, 50 % de femmes ?

    - Et pourquoi pas 60 % ? Il n'est pas question d'imposer des quotas ou de brusquer les choses. Cela prendra du temps mais les mentalités évoluent, comme l'image de l'armée. Nous avons quelques remarquables ambassadrices, des femmes avec du caractère comme je les aime. Elles sont quatre maintenant, depuis peu, dans les forces spéciales. Nous devons susciter des vocations chez les jeunes filles comme chez les jeunes gens. D'ici 2024, nous allons embaucher dix mille militaires. Pour les deux mille cinq cents postes de cette année, nous avons déjà cinq mille postulants. Je pense que le travail que nous menons en termes d'image et de modernité porte déjà des fruits.

    La politique est un métier difficile

  • - Votre carrière politique a pris un tournant brusque en 2019. Vous avez été élue députée fédérale pour la première fois…

    - J'étais échevine à Tournai, c'est vrai, mais j'avais une expérience de la politique au cabinet de Michel Daerden. J'ai un parcours atypique dont je suis assez fière. J'ai fait beaucoup de choses. J'ai une formation d'ingénieure, j'ai travaillé comme journaliste et comme prof de math, je me suis engagée dans la politique locale et fédérale. Je pense avoir une grande faculté d'adaptation, la curiosité de vivre de nouvelles expériences et la volonté d'imprimer ma marque, où que je sois. Je suis très bien à la Défense comme je serais certainement bien dans un autre département.

  • - Et la suite ? Que souhaitez-vous encore découvrir ?

    - Ma vie est un hasard de rencontres mais le destin, cela se force. Il faut oser discuter, pousser des portes, se forger un réseau pour pouvoir avancer. Vers où ? Je ne me pose pas la question. 2024 est encore loin. Mon mandat est de travailler avec l'État-major pour faire avancer le département, créer de l'emploi, participer à la relance économique, donner du travail aux entreprises. Je profite du moment.

  • - Je suis préoccupé : trouvera-t-on encore des gens valables pour faire de la politique ?

    - C'est vrai qu'avec les réseaux sociaux, ce n'est pas simple. Beaucoup d'anciens auraient eu du mal avec ça…

La violence des réseaux sociaux est le fait d'une minorité.
  • - Avec votre mari, bourgmestre de Tournai, vous avez été la cible d'attaques très dures en 2019. Ce n'est pas décourageant ?

    - Nous avons eu notre lot d'insultes, oui. Un jour, mon petit garçon m'a demandé : "Pourquoi, maman, t'es toujours triste quand tu regardes les messages ?" J'ai eu un déclic. Les élections approchaient ; je me suis dit que si le résultat était en demi-teinte, j'arrêterais et je passerais à autre chose. Mais le résultat a été extraordinaire et j'ai vu que beaucoup de gens comptaient sur moi. C'est ce que j'ai dit à une dame touchée par les messages négatifs et même méchants que je recevais : "Ils sont une minorité. Il y a bien davantage de gens qui m'encouragent et c'est pour eux que je suis là et que j'ai envie d'avancer. Je veux être un relais entre les attentes de citoyens et les différents échelons où les décisions se prennent.

  • - Vous voulez combler le fameux fossé entre la population et la politique ?

    - C'est un reproche qui revient souvent : "Ils ne sont pas connectés à la réalité." Je ne veux pas ça. Je veux rester en lien avec ce que vivent les gens. Alors oui, même si je me suis forgé une carapace, certains messages violents me touchent. Tant pis. Je suis là pour ceux qui ont envie de concret, d'action et de croire à un monde politique qui fait le maximum pour répondre à leurs préoccupations.

  • - Ça n'a pas toujours été le cas ?

    - Il y a eu de bonnes raisons d'être déçu. Au vu des affaires qui éclatent régulièrement un peu partout, je comprends que la population se pose des questions. Mais je ne veux pas que tous les politiques se retrouvent dans le même sac. Je veux montrer la différence. Vous avez raison : c'est difficile de s'engager quand on le fait avec ses tripes, sans compter ses heures. Cela peut faire peur. J'ai des amis avec qui j'ai fait des études qui me disent : "Mais arrête de t'embêter avec tout ça, viens travailler avec moi ici ou là, tu seras tranquille." Ils ont raison mais ce n'est pas ma nature profonde. Quand il y a une cause à défendre, une opportunité à saisir, des perspectives à exploiter, je veux être là.

Contexte

La Défense

Fulgence Masson, ministre de la Guerre fin 1918, est devenu ministre de la Défense en 1920. Un virage dans l'histoire d'une armée qui, en 2021, définit ainsi sa mission : "Protéger votre avenir."

Un millier de militaires belges sont à l'étranger : Pologne et pays baltes, Afghanistan, Mali, Niger, Moyen-Orient. D'autres sont actifs sur le territoire national, dans la surveillance anti-terroriste et l'assistance à la lutte contre le Covid.

Le budget de la Défense est de l'ordre de 2,8 milliards d'euros, dont 62,6 % en frais de personnel et 10,4 % en investissements (avions…). Il reste donc 27 % en dépenses d'équipement et de fonctionnement.

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