Georges-Louis Bouchez

Président du Mouvement réformateur (MR)
04/05/22

Né à Frameries de parents commerçants en 1986, Georges-Louis Bouchez décroche à 21 ans son master en droit. Deux ans plus tard, il entre au cabinet de Didier Reynders, alors ministre des Finances. C'est le début d'une carrière politique à rebondissements. Député wallon de 2014 à 2016, il perd son mandat quand Jacqueline Galant cesse d'être ministre. Il casse les codes aux élections communales de 2018 en créant "Mons en mieux", mouvement qui perce (22 %) mais est écarté de la majorité. Aux législatives de mai 2019, relégué à la quatrième place sur la liste MR du Hainaut, il doit être récupéré comme sénateur coopté.

En octobre 2019, il est élu président du MR avec 62 % des voix au second tour. Il s'impose dans le paysage politique belge, omniprésent, combatif, critiqué, séduisant.

"Les Wallons doivent bosser davantage"

La pandémie a été plutôt bien gérée. Ce n'est pas le cas du dossier de l'énergie. Georges-Louis Bouchez est partisan du nucléaire. Il plaide pour une réforme fiscale à dix milliards d'euros. À compenser par une hausse de l'emploi, en particulier en Wallonie. Il critique une mauvaise mentalité, alimentée par une gauche dominante.

Thierry Evens

Nous avons peut-être trop de confort pour accepter l'effort.
  • - Avec le recul, pensez-vous que le gouvernement a bien géré l'épidémie de Covid ?

    - Globalement oui. La preuve en est que nos résultats économiques sont meilleurs qu'avant la pandémie. Tout n'a pas été parfait. Il y a eu un manque de pédagogie et des décisions sans doute excessives. Les fêtes de fin d'année 2020 avec une seule personne à la maison ou la seconde fermeture des métiers de contact, ce n'était pas raisonnable. Mais dans l'ensemble, le gouvernement a bien travaillé, grâce à une injection massive de liquidités rendue possible par l'assise que nous donne l'euro. L'Union européenne est souvent critiquée mais là, il est bon que les citoyens et les entrepreneurs en particulier se rendent compte qu'elle nous a permis d'amortir le choc et d'éviter la catastrophe.

  • - Vous donneriez la même bonne note pour la gestion des conséquences de la guerre en Ukraine ?

    - C'est un peu différent ! Face à la flambée des prix de l'énergie, le gouvernement est intervenu pour les citoyens. Les entreprises attendent encore. Si c'est pour augmenter les impôts après, autant ne rien faire. Mais cela fait huit mois que les producteurs d'électricité renouvelable et nucléaire engrangent des superprofits qui pourraient être redistribués. Il y a moyen d'aller les chercher et ce n'est pas fait. Parce qu'en réalité, il n'y a pas de stratégie énergétique depuis des années. Les difficultés actuelles sont le résultat de mauvais choix, qui ont augmenté la dépendance au gaz et aux énergies fossiles. La prolongation de deux réacteurs nucléaires, ce n'est pas une stratégie…

  • - D'autant qu'Engie dit que la décision est tombée trop tard et qu'il y aura une interruption…

    - Ce n'est pas l'avis des experts internationaux que nous avons consultés. Le fournisseur fait monter les enchères face à des interlocuteurs peu déterminés et pas clairs sur leurs choix.

  • - Engie bluffe ?

    - Techniquement, je peux vous dire que oui. Administrativement, il faut simplifier certaines procédures pour permettre le début des travaux nécessaires. Engie fait semblant que c'est impossible mais une volonté politique peut très bien rendre ces délais compressibles.

  • - Vous souhaitez un investissement dans des centrales nucléaires de nouvelle génération ?

    - Clairement oui. Nous n'avons pas le choix si nous voulons nous passer du gaz russe et réduire les émissions de CO2. Nous allons avoir besoin d'énormément d'électricité et la production d'un mégawattheure nucléaire revient à environ 35 euros, pour un prix sur le marché de 300 à 350 euros. Avec un tel bénéfice, vous pouvez amortir rapidement des investissements importants. D'ailleurs, une nouvelle centrale au gaz, ce n'est pas bon marché non plus.

  • - On va quand même en construire deux en Wallonie…

    - Paul Magnette (président du PS, NDLR) dit qu'il faut être capable de changer les accords quand les circonstances changent. La guerre en Ukraine a créé une situation nouvelle. Ma règle en politique, c'est la cohérence et dire qu'on va se passer du gaz russe en construisant deux centrales, ce n'est pas cohérent. Vous ne pouvez pas demander aux gens de diminuer leur chauffage de deux degrés et en même temps leur annoncer que leur électricité sera produite en consommant des milliers de mètres cubes de gaz. Il ne faut pas s'étonner que les populistes montent aux élections si les gens censés être sérieux racontent des choses contradictoires.

  • - Pour lancer de nouvelles centrales nucléaires, il faudra des années…

    - Dix à quinze ans. Ne traînons pas et prolongeons quatre réacteurs au lieu de deux en attendant. C'est possible.

    Dette, taxe, manque d'emplois : les trois sont liés

  • - Avec une inflation à 7 ou 8 %, est-il raisonnable de maintenir l'indexation automatique des salaires ?

    - Je vais être clair avec vous : c'est un "package". Soit c'est la liaison des salaires à l'index, mais avec la loi de 1996, telle que modifiée en 2017, qui protège la compétitivité et limite la marge de négociation des employeurs et des syndicats. Soit c'est la liberté totale. C'est un risque. Le MR ne souhaite pas le prendre. Nous défendons la loi de 1996 et nous pensons que toucher à l'indexation ne serait pas un bon signal. Ma formation politique insiste beaucoup sur la récompense du travail. Ne pas maintenir le pouvoir d'achat des actifs serait décourageant. Je suis conscient du poids que cela représente pour les entreprises et en même temps, je suis convaincu que beaucoup de chefs d'entreprise seraient prêts à faire un effort si l'argent arrivait vraiment dans la poche des travailleurs. Nous devons réduire la fiscalité. La ponction de l'État est telle que ça bloque.

  • - Cela implique de réformer l'impôt des personnes physiques. Avec quel objectif et quelles compensations ?

    - Le précédent gouvernement a diminué les prélèvements de dix milliards d'euros, cinq pour les employeurs, cinq pour les travailleurs. Nous proposons dix milliards supplémentaires, à peu près 20 % de la charge, par une hausse de la quotité exemptée d'impôt, une meilleure déductibilité des frais de garde des enfants, etc. Comment compenser ? C'est très simple. Trois constats. Un : nous sommes le pays le plus endetté d'Europe après la Roumanie. Deux : nous sommes dans le top trois des pays les plus taxateurs. Trois : nous sommes en toute fin de peloton en ce qui concerne le taux d'emploi. Ces trois éléments sont corrélés. Nous devons casser ce carcan.

  • - D'abord réduire les dépenses publiques ?

    - Bien sûr. Il y a plein de gaspillages. Je peux vous donner des dizaines d'exemples de structures surnuméraires, de dépenses inutiles. Mais ce n'est pas la solution miracle. Prenez la Wallonie. Elle a 13 milliards d'euros de recettes, 18 de dépenses et 30 de dettes. Mais vous ne trouverez pas cinq milliards d'euros dans les dépenses courantes. Le nœud du problème, c'est qu'on ne bosse pas assez. On ne bosse pas assez ! Ou plus exactement, on n'est pas assez nombreux à bosser. Le taux d'emploi à Mons est de 53 %, en grande partie dans le secteur public ou associatif. C'est impossible de continuer comme ça.

  • - Le plan de relance va améliorer la situation ?

    - Il contient des projets qui n'y ont sans doute pas leur place, mais aussi des projets de grande qualité, pour l'économie circulaire ou la filière hydrogène par exemple. Mais le problème est plus profond. Nous devons retrouver la valeur centrale du travail. Quand des gens refusent un boulot parce qu'il n'est pas assez bien pour eux, qu'il faut se lever tôt ou qu'il n'est pas assez payé, il faut pouvoir sanctionner. Sinon, c'est quoi le message ? L'inactivité peut être plus valorisante qu'une activité professionnelle ? C'est un problème ! La place des syndicats est beaucoup trop grande. L'administration est mal traitée, peu valorisée, pas formée comme il le faudrait. Il ne suffit pas d'avoir les meilleures idées politiques du monde, il faut les moyens de les mettre en œuvre. Prenez l'emploi. On dépense chaque année un milliard d'euros pour le Forem, un milliard en aides diverses et 500 millions en formations. Cela fait 2,5 milliards d'euros par an et nous avons 200.000 demandeurs d'emploi dont la moitié depuis plus de deux ans, et près de 140 métiers en pénurie. Une agence privée de gestion des ressources humaines ne pourrait pas aider ou faire le travail ?

    Réformer l'État pour mieux le gérer

  • - En vous écoutant, je rajeunis de vingt-cinq ans. Rien n'a changé en Wallonie ?

    - Je ne sais pas. Il y a vingt-cinq ans, j'avais onze ans. Les mentalités n'évoluent pas. Certains continuent à attribuer nos malheurs à la fermeture des charbonnages. Il faut leur expliquer que depuis lors, nous avons des puissances émergentes, des nouvelles technologies. Il y a un dynamisme dans le monde trop peu présent en Europe en général et en Wallonie en particulier. Nous avons besoin d'un électrochoc pour sortir du syndrome de l'enfant gâté : trop de confort pour accepter l'effort. Nous sommes trop vite contents. Dès qu'une entreprise marche, on en fait des tonnes et des tonnes. Nous n'avons pas besoin d'une réussite mais de trois cents, de milliers…

  • - Beaucoup de PME wallonnes fonctionnent très bien !

    - Tant mieux. J'en suis ravi. Il faudrait aussi des grandes entreprises. Et puis, aller faire une photo à côté du type dont la boîte marche, c'est sympa et je le fais aussi, mais ce n'est pas notre boulot. Un homme ou une femme politique, bon sang, ne doit pas commenter ce qui va bien mais établir ce qui ne va pas pour le résoudre. Notre rôle, c'est médecin de la société et un docteur ne va pas voir les gens en bonne santé mais les malades pour apporter un remède. Trouvons deux ou trois domaines où la Wallonie veut et peut devenir un leader mondial : l'intelligence artificielle, l'hydrogène, l'innovation médicale… J'assume l'idée d'un État stratège, qui définit une politique industrielle. Willy Borsus (ministre wallon MR de l'Économie, NDLR) le fait. Cela doit être partagé par tous les acteurs et par la population. C'est trop lent. Depuis que j'ai l'âge de raison, j'entends que la Wallonie se redresse. Il est temps que ce soit fait !

  • - D'autant qu'après 2024, les transferts interrégionaux diminueront et qu'une nouvelle réforme de l'État se profile et risque d'être radicale…

    - Je n'en suis pas certain. Il y a du travail pour rendre les paquets de compétences plus cohérents. Mieux gérer n'est pas un problème communautaire. Les Flamands ne forment plus un bloc. J'ai plus de similitudes avec l'Open VLD qu'avec certains francophones. Les libéraux et les écologistes partagent la même vision d'un État fédéral solide. Le PS a des tendances régionalistes à clarifier.

  • - Ne serait-il pas nécessaire que les présidents des partis francophones se préparent au débat ?

    - Je suis prêt à prendre une initiative mais le MR n'est pas le premier parti. Je ne voudrais pas qu'on me reproche encore un manque de modestie… Mais oui, nous devons nous voir et déterminer, si possible, des positions communes. Ce qui comptera pour mon parti, c'est de renforcer l'État fédéral et l'efficacité de la gouvernance publique. De ce point de vue, nous avons aussi du travail entre francophones.

  • - En supprimant la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

    - Vous supprimerez peut-être quatre postes de ministres mais vous allez dédoubler, ou presque, les administrations de l'enseignement, de la culture et du sport. Chaque réforme institutionnelle qui a divisé n'a jamais entraîné d'économies.

    Le tribunal de la pensée est un peu partial…

  • - Le MR est un parti de droite ?

    - Il couvre le spectre de la droite au centre-droit, oui.

  • - Vous avez débattu avec Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang. Des regrets ?

    - Non. Jamais. Quand je prends une décision, c'est que j'estime que c'est la meilleure. J'ai vu l'émoi que ça a suscité, mais il n'y a pas de cordon sanitaire médiatique en Flandre.

  • - Faut-il le maintenir côté francophone ?

    - Il a du sens parce que si demain, je débats avec un parti qui fait 2 %, je lui sers de marchepied. Mais le Belang a 18 sièges au Parlement, plus que le MR. Il risque de devenir le premier parti de Flandre. Tout le monde m'a expliqué ce qu'il ne fallait pas faire mais personne ne m'a dit ce qu'il fallait faire. Les Flamands, les Français, les Néerlandais pourraient débattre avec le Belang mais pas nous ! Leur projet touche la Belgique et la Belgique, c'est mon pays. J'adore le slogan, "l'extrême droite, on ne débat pas, on la combat." Mais comment ? On envoie des chars ? On met des triangles rouges à sa boutonnière ? Si ce parti est problématique – et il l'est ! –, interdisons-le. Mais il est sur les réseaux sociaux, dans tous les médias en Flandre. Il touche même de l'argent public pour faire sa propagande et on ne peut pas contester ses dirigeants… Leur position est confortable.

  • - Le cordon sanitaire n'est utile que face à des petits partis ?

    - Exact. Il y avait d'ailleurs un semblant de cordon sanitaire autour du PTB jusqu'en 2014. Quand il s'est trouvé à 10 % dans les sondages, ça n'a pas résisté. Les médias francophones se drapent dans leurs grandes valeurs, sont plus vertueux que les autres mais l'hyper populisme du PTB ne les dérange pas. Est-ce que le communisme porte atteinte à la démocratie ? Évidemment oui. Mais c'est la gauche qui décide de ce qui est acceptable ou pas. Quand Paul Magnette dit qu'il aurait voté Mélenchon et qu'il pourrait faire une alliance avec le PTB, ça passe. Quand des députés Écolo, PS et CDH militent pour la libération d'Oussama Attar (NDLR : détenu en Syrie jusqu'en 2012, ensuite cerveau des attentats de Paris et Bruxelles), ça passe. Quand les Écolos vont voir les Indigènes de la République (mouvement français de gauche très radicale, NDLR), ça passe. Quand le parti Islam est invité sur RTL-TVI, pas de problème. Je trouve quand même que le tribunal de la pensée est un peu partial…

Je ne provoque pas, je suis franc… Ça me coûtera peut-être ma place.
  • - On vous dit provocateur. C'est une façon de faire vivre la politique ?

    - Je ne suis pas provocateur, je suis franc. J'aime bien les choses paisibles mais je dis ce que je pense. Cela me coûtera peut-être ma place mais je ne peux pas occuper une fonction aussi importante que président du MR sans faire tout ce que je peux pour changer les choses. Je suis aussi très souvent d'accord. J'ai soutenu sans réserve les accords budgétaires, le deal pour l'emploi, etc. Mais construire des centrales au gaz au moment où il faut se passer du gaz, c'est un peu bête et je le dis. Je veux expliquer aux gens que s'ils votent Vlaams Belang, ils vont provoquer la faillite de la Flandre parce que leur programme socio-économique est nul. C'est facile de rester dans son fauteuil et d'attendre un miracle.

  • - Votre image de trublion ne vous convient pas ?

    - Les médias m'affublent de qualificatifs qui ne me font pas plaisir et qu'ils ne se permettraient pas avec un autre président de parti. Dans l'espace politique francophone, quand vous êtes de droite, vous avez droit à un traitement différencié et pas privilégié. À chaque incident, des journalistes téléphonent à tout le monde dans le parti dans l'espoir d'en faire un problème interne. Certains attendent ma chute depuis que je suis arrivé. J'espère qu'ils ont de la patience parce que je suis tenace.

Contexte

Le seul parti de droite

Un boulevard à exploiter

Le paysage politique francophone est largement dominé par la gauche. Or, les partis qui se revendiquent du socialisme au sens (très) large ne représentent plus qu'un tiers environ de l'électorat en France et en Europe.

Il n'y a ni parti conservateur, ni droite radicale en Wallonie et à Bruxelles. Du coup, le MR pourrait potentiellement rassembler deux tiers de l'électorat. Encore faut-il surmonter l'hostilité des médias, le conservatisme des syndicats, la crainte de l'avenir et le culte de l'État providence. Georges-Louis Bouchez s'y emploie. Et fait grincer des dents.

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