David Clarinval

Bourgmestre à 24 ans, devenu ministre et bras armé du MR pour soutenir les indépendants et les PME
09/06/21

Dès la fin de ses études en sciences politiques à l'UCL, David Clarinval est devenu, par concours, attaché parlementaire du groupe MR au Parlement wallon. Lancé en politique, il est dès 2000 le plus jeune bourgmestre du pays à Bièvre.

En 2007, il devient député fédéral, puis chef de groupe. Fin 2019, il entre dans le gouvernement en affaires courantes de Sophie Wilmès comme ministre du Budget et vice-premier. En octobre 2020, à 44 ans, il intègre l'équipe d'Alexander De Croo et est en charge des indépendants et PME, mais aussi de l'agriculture et des réformes institutionnelles.

J'ai vécu la détresse des indépendants comme si c'était moi

Toujours en pointe pour obtenir des aides supplémentaires et des réouvertures, le ministre des Indépendants dit avoir dû "se battre" au sein du gouvernement. Conscient du choc subi par les entreprises, il appelle les syndicats à "garder les pieds sur terre."

Thierry Evens

Le gouvernement a consacré au soutien des entrepreneurs des moyens colossaux.
  • - Cela fait plus de huit mois que vous êtes ministre des Indépendants et des PME. Pensez-vous que le gouvernement fédéral a fait le maximum pour eux ?

    - En tout cas, il a cassé sa tirelire. J'étais vice-premier ministre en charge du Budget au début de la crise, nous avons mis à la disposition des entrepreneurs des moyens colossaux. Rien que le droit passerelle a pesé plus de trois milliards d'euros en 2020, et pèsera bien plus de deux milliards cette année. Nous sommes pratiquement à 1,7 milliard et il est prolongé jusque fin septembre.

  • - Faudra-t-il aller au-delà ?

    - Pour moi, c'est évident qu'aussi longtemps que des entrepreneurs ne peuvent pas travailler ou subissent des contraintes telles que leur activité ne peut pas être rentable, l'État doit les soutenir avec le double droit passerelle. Des restrictions pourraient persister dans le secteur événementiel ou dans certaines niches. Pour le droit passerelle simple de reprise, accordé si le chiffre d'affaires a baissé d'au moins 40 % par rapport au même mois de 2019, le gouvernement évaluera la situation en septembre. Je pense qu'il faudra le prolonger.

  • - Le droit passerelle est la mesure la plus spectaculaire ?

    - Oui. Dès que je suis devenu ministre des Indépendants, je l'ai d'ailleurs doublé pour les secteurs fermés. Mais nous n'avons pas fait que ça. Plus de vingt mesures fédérales soutiennent les entrepreneurs : chômage temporaire, reports de crédits, TVA réduite… Le montant des reports et dispenses de cotisations sociales est également très important : 500 millions d'euros l'an dernier, déjà 450 millions cette année. C'est justice parce que les indépendants ont souffert, même si on s'est battus pour limiter les fermetures et obtenir les réouvertures du 9 juin.

  • - Vous vous êtes battu contre qui ?

    - Je ne vais pas cacher que depuis la deuxième vague, nous avons un clivage au sein du gouvernement entre certains ministres plus pessimistes ou frileux, et d'autres qui, comme moi, souhaitaient au plus vite rendre de la liberté aux entreprises. Chaque décision a été le fruit d'un compromis et un compromis est toujours un peu décevant pour tout le monde. Mais notre position offensive a été utile. Certains scénarios initiaux des virologues, que des ministres voulaient suivre, maintenaient des secteurs fermés jusqu'en août. C'est exagéré si on fixe des protocoles sanitaires et si on pousse la vaccination, ce que nous avons fait.

    Nous avons essayé de ne pas être bêtes et méchants

  • - Au bilan, la troisième vague a pu être contenue avec des fermetures plus limitées, pour les commerces notamment, que dans les pays voisins. L'équilibre était le bon ?

    - Je regrette le démarrage difficile de la vaccination. Nous aurions pu gagner quelques semaines. Sinon oui, nous trouvé un équilibre en essayant de limiter les décisions de fermeture et des les assouplir par le "take away", le "click and collect", les rendez-vous. Nous avons cherché des pistes pour donner un peu d'oxygène aux indépendants, sans les obliger à fermer de façon bête et méchante.

  • - Quand ils ont dû fonctionner sur rendez-vous, les commerçants n'ont pas eu accès au double droit passerelle. Vous l'aviez pourtant annoncé…

    - De mon point de vue, ils devaient fermer, sauf rendez-vous. Et donc, ils devaient bénéficier du double droit passerelle. D'autres ministres ont estimé qu'ils étaient ouverts, sur rendez-vous, et ne pouvaient donc prétendre qu'au droit passerelle de reprise. Le Premier ministre a dû trancher et les a considérés comme ouverts. Je suis un légaliste. J'ai appliqué la loi. Pour toucher un double droit, il fallait fermer. Nous avons été très souples pour accepter les déclarations mais je reconnais que j'aurais préféré une autre décision.

  • - Les aides régionales flamandes sont supérieures à celles de la Wallonie et de Bruxelles. C'est un motif d'inquiétude pour la relance ?

    - C'est très difficile pour moi de commenter des décisions d'autres niveaux de pouvoir, mais il est vrai que les subsides flamands proportionnels rencontrent mieux les difficultés. C'est beaucoup plus juste que les montants forfaitaires. La Wallonie et Bruxelles ont corrigé leur approche, avec un peu de retard dans l'analyse et aussi dans la liquidation des aides. J'entends dire que ça traîne un peu…

  • - Vous craignez, ou pas, une relance à deux vitesses ?

    - Dans les secteurs où il y a concurrence interrégionale, comme le transport par autocar, si les aides ne sont pas comparables, le risque existe. J'ai alerté mes collègues Willy Borsus et Barbara Trachte (ministres régionaux de l'Économie, NDLR) et je pense qu'ils en ont tenu compte en injectant de la proportionnalité.

    Évaluer l'effort des banques

  • - Quelles sont les principales mesures fédérales du plan de relance ?

    - Nous avons décidé de soutenir l'emploi en diminuant les cotisations sociales pour tous les employeurs qui ont dû fermer. C'est déjà fixé pour l'horeca mais ce sera élargi. Nous prenons aussi en charge une partie des pécules de vacances. Nous travaillons à des mesures ciblées pour certains secteurs comme les voyagistes. Dans l'horeca, nous avons décidé de diminuer la TVA à 6 % jusque fin septembre, y compris à ma demande sur les boissons alcoolisées…

  • - Les métiers de contact demandent aussi une baisse de la TVA…

    - Il faut s'adresser au ministre des Finances. C'est lui qui doit aller discuter avec l'Union européenne et obtenir une dérogation.

  • - Estimez-vous que les banques font leur part de boulot face aux difficultés ?

    - Le gouvernement a débloqué plusieurs milliards d'euros de garanties pour leur permettre de prêter aux entreprises. Et c'est vrai qu'elles prêtent davantage et à des taux favorables. Cependant, j'ai l'impression que l'argent ne va pas toujours à ceux qui en ont le plus besoin. C'est facile de proposer de bonnes conditions d'emprunt aux secteurs qui n'ont pas été pénalisés par la crise, mais c'est l'horeca, le commerce et d'autres qui ont besoin de soutien. Peut-être avons-nous été trop larges dans l'utilisation des garanties octroyées par l'État. L'évaluation est en cours au ministère des Finances.

  • - Vous étiez ministre du Budget au début de la crise. Le gouvernement n'a pas regardé à la dépense…

    - C'est le moins qu'on puisse dire !

  • - … à un moment donné, il y aura un retour de bâton ?

    - Il y a deux éléments techniques à connaître pour comprendre ma réponse. Un : l'Europe a accepté que les dépenses corona pour aider les secteurs en difficulté n'impactent pas les trajectoires budgétaires. Notre dette publique est passée grosso modo de 100 à 120 % du PIB (richesse produite en un an), mais ces 20 % sont mis de côté. Deux : la Banque centrale européenne a permis aux États membres d'emprunter des dizaines de milliards d'euros à des taux négatifs. Cela signifie qu'il n'y a pas d'effet boule de neige à craindre sur ces 20 %. Nous devrons les rembourser, oui, et l'objectif de ramener la dette à 60 % du PIB s'est éloigné. Mais nous aurons davantage de temps pour y arriver.

    Augmenter les cotisations, pour moi, c'est non

  • - La Chambre a voté la suppression du coefficient réducteur de la pension des indépendants. C'est historique ?

    - Cette pénalisation qui remonte aux années 80 était un scandale sans nom ! Les libéraux le disent depuis longtemps. Daniel Bacquelaine a bataillé ferme sous la précédente législature pour corriger le calcul, mais cela n'a pas été possible. Cette fois, c'est fait. C'est dommage qu'il n'y ait pas eu d'accord pour prévoir un effet rétroactif. Cela reste une excellente nouvelle pour les futurs pensionnés et plus ils sont jeunes, plus ils en bénéficieront. J'ajoute, pour les actuels retraités, qu'une augmentation est intervenue en janvier 2021 et qu'il y en aura d'autres en janvier 22, 23 et 24. Au bout du compte, ils auront plus de 9 % de revalorisation, au-delà de l'inflation.

  • - Ces augmentations ne vont-elles pas remettre en cause le plafonnement des cotisations ?

    - Les partis de gauche ont demandé une évaluation pour s'y attaquer. Nous, nous y tenons et ça ne figure nulle part dans l'accord de gouvernement. Nous ne voulons pas que les cotisations des indépendants augmentent. Ils ne bénéficient pas des mêmes avantages que les salariés : pas de chômage bien sûr, mais pas non plus d'années assimilées pour la constitution de la pension. Je suis optimiste sur les résultats de l'évaluation. Examinons les chiffres avec objectivité et nous verrons que les indépendants font les mêmes efforts que les salariés pour leur pension et que le système actuel est suffisamment solidaire.

  • - Allons-nous vers un statut unique entre indépendants et salariés ?

    - Je ne pense pas. Les différences qui existent sont le reflet de situations différentes. Je voudrais cependant qu'on réfléchisse à l'avenir du droit passerelle. Doit-il devenir un embryon de chômage ou pas ? Il y a un vrai débat à entamer.

  • - La dispense de cotisations à vie sur la première embauche est mise en question. À juste titre ?

    - C'est un système qui a rendu de bons services. Plus de 51.000 employeurs ont utilisé cette mesure et parmi eux beaucoup sont dans la construction, mais aussi dans l'horeca et le commerce, des secteurs très impactés par le Covid. C'est une mesure qui incite les indépendants à franchir le pas et à engager un premier travailleur. Elle est selon moi très efficace…

  • - Ce n'est pas l'avis de la Cour des comptes…

    - Ni des partis de gauche. Ce n'est pas parce qu'ils veulent supprimer cette mesure qu'il faut le faire. L'accord de gouvernement prévoit de la garder, mais de l'évaluer. Je suis preneur d'adaptations si c'est pour éviter des abus. Transférer l'avantage d'un travailleur à un autre mieux payé n'est pas conforme à l'esprit du "zéro coti". Mais je veux garder le système et même le rendre automatique. Ce ne serait pas intelligent de le remettre en cause au vu des services rendus pour les indépendants et pour l'emploi.

  • - Les partenaires sociaux ont renvoyé au gouvernement la question des augmentations de salaire en 2021-2022. Comprenez-vous que les syndicats veulent plus que 3,2 %, inflation comprise ?

    - Vous avez raison de rappeler que les 0,4 % d'augmentation dont on parle souvent s'ajoutent à l'augmentation prévue via l'indexation automatique qui est de 2,8 %. Beaucoup d'entreprises ne sont pas capables de donner autant. J'ajoute que c'est le maximum permis par la loi de 1996, de protection de la compétitivité et donc de l'emploi. Alors il faut garder les pieds sur terre : 3,2 %, c'est très supérieur à ce qui a été décidé en Allemagne. Si les syndicats veulent faire sauter la loi de 1996, il faut faire sauter l'indexation automatique des salaires. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Ce qui est possible au-delà des 3,2 %, ce sont des augmentations non récurrentes, sous forme de chèques consommation par exemple, dans les entreprises qui ont mieux tourné en raison de la crise. Mais sur base volontaire. Je ne suivrai pas les partis de gauche qui veulent imposer aux secteurs des mesures insupportables pour certaines entreprises.

    Des indépendants craquent

Interdire à un indépendant de travailler, c'est terrible !
  • - Une fois la page Covid tournée, qu'aurez-vous à votre agenda ?

    - L'accord de gouvernement prévoit de soutenir la création d'entreprise, en particulier pour les femmes et les personnes d'origine étrangère. Ce sont des réservoirs importants de nouveaux entrepreneurs. Un starter sur trois est une femme : je voudrais arriver à 50 %. Nous allons dès maintenant attribuer des bourses à quatre réseaux féminins. Je veux aussi améliorer la loi sur les artisans, travailler à la digitalisation, des commerces en particulier, et à la cybersécurité des PME. Vingt millions d'euros sont prévus pour digitaliser l'Inasti et l'Afsca, dans le but de simplifier la vie des entrepreneurs…

  • - Et quid de votre agenda après les élections de 2024 ?

    - Ha ha ha ! Ça, on verra…

  • - Vous êtes bien à votre poste ?

    - Oui, même si les six derniers mois étaient les plus durs de toute ma vie politique. Quand j'étais au Budget, j'avais beaucoup de contacts avec les autres ministres puisque je les contrôlais, mais très peu avec les citoyens. Ici, c'est l'inverse. Des milliers d'indépendants ont téléphoné à mon cabinet. Moi-même, mon gsm a "explosé". Nous avons trois personnes full time pour répondre au courrier et aux mails. Parce que je veux qu'on réponde à tout le monde.

  • - Ces appels vous ont touché ?

    - Je suis issu d'une famille d'indépendants et l'ai été moi-même. J'ai vécu cette détresse comme si c'était moi. Je sais ce que ça veut dire d'interdire à un indépendant de travailler. C'est terrible. Ce n'est pas compréhensible. Il y a une détresse financière évidemment, mais aussi psychologique. C'est pour ça que j'ai pris la mesure d'offrir huit consultations gratuites chez un psy. Certains en ont souri mais l'asbl qui s'en occupe a eu beaucoup d'appels. Les indépendants n'aiment pas se plaindre, mais certains sont arrivés au bout du rouleau et craquent. Je voulais faire quelque chose. Un indépendant qui m'appelle et qui pleure au téléphone, ça me retourne le cœur. Je ne peux pas rester insensible à ça.

Contexte

MR

S'affirmer encore et toujours comme "le" parti des indépendants

Marié, père de deux enfants, amateur de promenades et de lecture, ancien footballeur de provinciale et membre fondateur d'une confrérie gastronomique : David Clarinval est un homme posé. Son style n'est pas flamboyant ; c'est un bosseur, obstiné, solide.

C'est lui qu'un MR parfois divisé, parfois secoué par un président (trop ?) chatoyant, a choisi pour conforter son électorat traditionnel des indépendants et chefs de PME. Il leur tient un langage orthodoxe, conforme aux positions de leurs représentants (UCM, Unizo, fédérations professionnelles), qu'il écoute volontiers. Des liens privilégiés, ça s'entretient…

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