Clemens Scholzen/Pierre-Frédéric Nyst

CEO de CBC Banque & Assurance / Président UCM
11/09/23

Clemens Scholzen est titulaire d'un master en sciences économiques appliquées (UMons) et d'un baccalauréat en marketing (Ephec Bruxelles). Il a débuté dans le monde bancaire en 1987 et occupé des postes stratégiques dans plusieurs organismes, avant de devenir l'administrateur délégué de CBC en juin 2018.

Licencié en droit de l'UCLouvain (option sciences économiques et sociales), Pierre-Frédéric Nyst est avocat spécialisé en fiscalité et droit des affaires. Président national d'UCM depuis juin 2017, il siège également au "Groupe des dix" (concertation sociale fédérale).

Les deux crises ont changé le monde bancaire

"Mon banquier ne m'aide pas", disent les PME malmenées depuis 2020. Chez CBC Banque & Assurance, partenaire d'UCM, ce message a été reçu. Il a été le terreau d'une vaste introspection, donnant lieu à un nouveau départ et une meilleure compréhension des entreprises d'aujourd'hui. Interview croisée de deux patrons dans le même bateau.

Isabelle Morgante

Banques et entreprises vivent les mêmes réalités.
  • - Clemens Scholzen, quels sont les domaines prioritaires du plan d'expansion de CBC pour la Wallonie ?

    (CS) - Là où le besoin est présent, CBC intervient en soutien. Notre approche est à 360 degrés et s'adresse à plusieurs cibles. CBC, aujourd'hui, ce sont quatre agriculteurs sur dix, une asbl sur trois, plus de 5.000 PME, 80.000 TPE et plus de 20.000 titulaires de profession libérale. C'est dans notre ADN, nous avons la même clientèle qu'UCM.

  • - Pierre-Frédéric Nyst, quels sont les secteurs à soutenir prioritairement ?

    (PFN) - La période reste difficile après les crises. Nos vocations, c'est de ne laisser personne au bord du chemin. Si CBC investit financièrement pour soutenir les entreprises, UCM investit du temps pour ces entreprises.

  • - Clemens Scholzen, la banque que vous pilotez a-t-elle senti le changement de comportement des entreprises ?

    (CS) - Oui. Je pense que chaque crise engendre des changements. La crise énergétique a changé la donne en matière de durabilité. Auparavant considérée comme un problème lointain, la durabilité d'une entreprise est passée au premier rang, quand on a mesuré les dégâts causés par la hausse des prix de l'énergie. Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus sollicités pour cet aspect entrepreneurial.

  • - Le rôle d'une banque a-t-il changé face à ces crises-là ?

    (CS) - Je pense que le rôle d'une banque n'a pas changé mais il est peut-être perçu différemment. CBC compte environ 80 agences et 8 centres d'expertise où nos collaborateurs accompagnent et conseillent la clientèle. Nous avons mis en place un plan de formation continue de nos collaborateurs. Aujourd'hui, le banquier doit être capable d'accompagner une entreprise de manière globale et pas juste de la financer. Le plus gros défi aujourd'hui, c'est de former nos équipes en matière de durabilité.

    Impossible de travailler comme avant les crises

  • - Durant la crise, on a beaucoup décrié les banques, jugées peu à l'écoute des besoins de leurs clients. Pierre-Frédéric Nyst, qu'en pensez-vous, avec le recul ?

    (PFN) - La relation avec les banques a été difficile au début de la crise. Et puis elles se sont adaptées, certaines plus vite que d'autres. Nous disons que la PME ne va pas s'en sortir seule mais la banque ne prendra pas le risque toute seule non plus. Nous sommes devant un ensemble de solutions, où tout le monde doit réfléchir, en réinventant aussi sa manière de travailler. À toutes les étapes de la vie d'une entreprise, une banque et une organisation comme UCM doivent proposer le service adéquat, du démarrage à l'atterrissage en douceur. Si nous sommes dans une logique de développement de l'entreprise, on doit passer par une banque, partenaire de l'affaire, sans pieds de plomb. UCM et CBC Banque & Assurance ont le même langage mais le business est différent.

  • - Clemens Scholzen, vous partagez l'avis du président UCM ?

    (CS) - Il nous arrive bien sûr de refuser du crédit et cela crée des frustrations mais nous n'avons jamais eu un taux de satisfaction aussi élevé que pendant la crise Covid, parce qu'on a très rapidement réagi. Nous avons reporté plus de 6.000 crédits de PME, en leur laissant un peu d'oxygène pendant un ou deux ans. Ça coûte très cher à la banque et nous met en porte-à-faux avec la Banque centrale européenne. Mais si le dossier est bien ficelé, il a toutes les chances d'être accepté.

  • - Parlons des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) si vous le voulez bien. C'est une épine dans le pied des banques ?

    (CS) - Le pouvoir a mis dans les mains des banques une responsabilité qu'elles n'ont pas demandée. On nous impose cette exigence. Mais nous jouons notre rôle et proposons un scan gratuit qui permet d'évaluer la durabilité de nos entreprises clientes. Trois cents scans ont déjà été réalisés depuis la crise Covid. S'il faut aller plus loin, nous faisons appel à un partenaire externe. La responsabilité sociétale des entreprises est d'ailleurs l'un des quatre piliers de la collaboration entre UCM et CBC. Par ailleurs, CBC octroie des taux de crédits "verts" avantageux pour ses clients.

  • - Et chez UCM, Pierre-Frédéric Nyst ?

    (PFN) - Nous faisons du conseil sur mesure, de la sensibilisation jusqu'à l'individuel. Si on peut le faire ensemble, tant mieux ! Le volet "green" d'une entreprise est essentiel mais il faut un peu de souplesse pour les starters. Si la transition écologique n'est pas économique, c'est une voie de garage. On doit travailler sur les deux. Très clairement, je pense que l'État est beaucoup plus en retard que le privé et les PME qui ont reçu un coup de pouce parfois de l'entourage, plus jeune, pour moderniser la structure.

Les banques n'ont pas demandé à endosser la responsabilité de l'ESG
  • - Parlons de digitalisation. Où en êtes-vous chez CBC, Clemens Scholzen ?

    (CS) - Je suis un fervent défenseur du digital. Je trouve même que le digital est plus sécurisé que d'avoir du cash dans ses poches. Depuis plusieurs années, nous constatons un engouement de nos clients, qui nous pousse à aller plus loin. Les gens n'ont plus envie d'appeler la banque pour renouveler un crédit ou faire signer un mandataire. C'est une perte de temps. Le conseil humain reste primordial en agence, mais pas pour signer un virement. Notre application mobile a été élue meilleure au monde et Kate, notre assistant digital, répond aujourd'hui à près de 60 % des questions de nos clients. Nous écoutons les entrepreneurs pour encore développer notre offre digitale et souvent, c'est dans notre intérêt commun.

  • - Quid des agences bancaires ?

    (CS) - L'agence bancaire garde toute sa raison d'être car elle reste le carrefour d'activation de compétences bancaires. Les métiers d'agence sont foncièrement différents d'il y a vingt ans. Le fait d'avoir une banque conseillère et proche de ses clients, ça pour moi, ça ne disparaîtra jamais.

    Formation continue pour répondre aux besoins des clients

  • - Pierre-Frédéric Nyst, la digitalisation, c'est l'avenir des PME ?

    (PFN) - La digitalisation, soit on entre dedans et on agit de façon positive, soit on subit. Je pense que la deuxième solution n'est pas la bonne. Les réseaux sociaux ont sauvé des entreprises pendant la crise Covid. La digitalisation fait gagner du temps. Cela dit, il y a aussi le débat autour du cash et là, je voudrais nuancer. C'est un vrai débat de société et de génération qui recouvre un réel problème : celui de la fiscalité. Le souci dans les paiements électroniques reste le coût que ça engendre pour le commerçant.

  • - Clemens Scholzen, ça coûte des sous à une banque de compter les sous de ses clients ?

    (CS) - Pas pour le dépôt à la machine mais si le client demande l'intervention d'une entreprise externe (de sécurité), là oui. Cela coûte seulement quelques euros pour un dépôt de plusieurs milliers. Le cash coûte par contre de l'argent à la banque. Un terminal cash tout compris coûte environ 50.000 euros par an. Le nombre de transactions électroniques dans les grandes surfaces est si élevé qu'il pose la question de conserver un système de paiement en cash. Donnez-moi une bonne justification de garder du cash…

  • - Pierre-Frédéric Nyst, je passe la frontière linguistique avec vous, nous sommes en Flandre. Sommes-nous le parent pauvre, le petit Poucet ?

    (PFN) - Non et non. Mais si toutes les PME wallonnes avaient le même taux d'emploi qu'en Flandre, on aurait déjà fait un grand pas dans la lutte contre le chômage. Il y a un problème de mentalité, c'est vrai aussi. Mais que diable, il y a des pépites en Wallonie. Nous devons avoir la mentalité des Flamands, être fiers de ce qu'on fait et le montrer. Et ça, c'est important. J'ai pris la présidence du Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (Cese) il y a quelques semaines, pour deux ans. Je n'ai pas l'ambition de révolutionner tout mais nous avons des choses à dire.

    Un pays fonctionne quand tout le monde travaille

  • - Clemens Scholzen, y a-t-il des cultures d'entreprise différentes des deux côtés de la frontière linguistique ?

    (CS) - L'histoire fait qu'aujourd'hui, la taille et l'internationalisation des entreprises flamandes n'ont rien à voir avec les wallonnes, je le vois clairement avec mes collègues de chez KBC. Mais les entrepreneurs que je rencontre ne sont pas différents des entrepreneurs flamands. Ils veulent travailler et faire grandir leur société. Le vrai problème de la Wallonie, c'est le taux d'emploi.

  • - Quelles sont vos solutions ?

    (CS) - Je ne suis pas homme politique mais une économie qui fonctionne est une économie où on travaille. Si on pense que le système est payable alors qu'il y a de moins en moins de gens qui travaillent, on se trompe. Aller chercher dans les entreprises ou les revenus dans la moyenne supérieure n'est pas la solution. À un moment, la source est tarie. Si on veut sauver la sécurité sociale, c'est par l'emploi et pas par la fiscalité.

    (PFN) - Je partage le point de vue de Clemens Scholzen. Nous disons depuis longtemps que c'est une question de mentalité et de valeur travail. D'éducation et d'incitation. On avait proposé qu'il y ait un statut fiscal particulier pour le jeune formé dans un métier en pénurie et qui se lance dans la vie active. Moi, je trouve que ce ne serait pas mal que pendant cinq ans, il ne paie pas d'impôts, ça l'aiderait à acheter une maison ou fonder une famille. C'est peut-être à ce moment-là qu'il aura besoin d'un peu plus de cash. Il faut changer les mentalités, on va y arriver, ça prendra du temps. Il faut mettre en place un nouveau contrat social !

    (CS) - J'aime beaucoup cette notion de contrat social car je pense qu'il y a des droits lorsque je suis en difficulté mais aussi des devoirs. Aujourd'hui, l'écart de revenu entre travailler ou pas est trop étroit. La situation est toxique.

  • - Clemens Scholzen, le gouvernement De Croo n'aura finalement pas fait de réforme fiscale. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

    (CS) - En tant que banquier, je ne peux pas me mêler de politique et ne ferai pas de commentaire mais il est clair que la première réforme faisait état de 6 milliards d'euros pour décharger un peu le coût du travail et le financer autrement. Puis, on a réduit la voilure à 2 milliards… ça devenait une "réformeke". Peu importe ce qui se fait : en Belgique aujourd'hui, le coût de l'emploi est trop élevé. L'an passé, certains de nos clients ont été tenaillés par les factures d'énergie et l'indexation des salaires. Je crois que tout ça manque de flexibilité. Une réforme fiscale doit se financer par la croissance et pas par des nouvelles taxes. Il faut que la dépense totale diminue et le seul moyen d'y parvenir, c'est d'augmenter l'emploi. Je n'ai jamais vu un client s'en sortir en travaillant moins. Jamais. Aujourd'hui, notre système de pension n'est plus payable.
    (PFN) - UCM nourrissait beaucoup d'attentes, après nos rendez-vous avec le ministre des Finances. On s'attendait à une vraie réforme fiscale, en diminuant les prélèvements sur le travail. Notre second souhait était d'insuffler une véritable culture d'entreprise à l'administration fiscale. On attendait beaucoup de choses et on a été très vite très déçus. Finalement, mieux vaut "rien" que "pire". Parce que si la réforme et toutes ses horreurs passaient, on risquait d'avoir les mauvaises mesures dans un premier temps, pour des raisons budgétaires, et les bonnes mesures renvoyées à beaucoup plus tard. Donc, nous sommes obligés d'être contents.

Contexte

Clemens Scholzen (CBC Banque & Assurance) et Pierre-Frédéric Nyst (UCM)

Remise en question

Les banques, alliées des entreprises ?

Il y a neuf ans, CBC et UCM ont entamé un partenariat pour mieux écouter et accompagner les PME wallonnes. Historiquement, le public de CBC, c'est la PME, le commerçant, le titulaire de profession libérale, l'artisan. Comme UCM. Mais les crises ont tout chamboulé et le travail avec ces secteurs a dû être repensé, afin de coller à la réalité d'aujourd'hui. La remise en question est permanente, les grands enjeux sont identiques.

Autres interviews de la même catégorie

  • Jean Hindriks

    Economiste à l’UCLouvain et membre fondateur d'Itinera

    On ne fait pas assez attention à cette lame de fond démographique qui perturbe tout. Fondamentalement, le problème n’est pas le fait de vieillir mais surtout de faire réussir l’enjeu de la relève démographique.

    Lire la suite
  • Benoit Bayenet

    Président du Conseil Central de l'Economie

    Il faut oser dépasser un certain nombre de clivages habituels et chercher de nouveaux équilibres comme en augmentant la fiscalité sur le capital tout en la diminuant sur le travail et ainsi obtenir une répartition plus équilibrée.

    Lire la suite