Tourisme d'affaires : optimisme et écologie au menu
Le secteur du tourisme d'affaires a recouvré sa santé d'avant 2020. Les professionnels, après avoir mangé leur pain noir ces dernières années, retrouvent le sourire. Ce qui ne les empêche pas de se préparer pour le grand défi qui les attend : la transition écologique.
Clément Dormal
L''optimisme et la croissance sont de retour dans le domaine du tourisme d'affaires. C'est en tout cas la conclusion d'un rapport d'American Express qui prédisait fin 2022 comment le secteur allait évoluer dans les prochaines années. Dans cette étude, plus de trois répondants européens sur quatre se montraient optimistes, voire très optimistes, au moment d'aborder l'année 2023. À l'opposé, seuls 2 % des répondants regardaient vers le futur d'un œil inquiet. Cette tendance, globale aux quatre coins du monde, n'échappe pas à la Belgique où la confiance est aussi bien présente. Les sollicitations sont (presque) revenues à la normale. "Le secteur se porte généralement très bien. Il y a eu un effet de rattrapage plus important que prévu. Les dépenses moyennes sont nettement supérieures à ce qu'on a pu conna
Pino Frau (VisitWallonia).
ître dans le passé", indique Emmanuel Didion, general manager du Martin's Agora Louvain-la-Neuve et vice-président de la fédération Horeca Wallonie. Par exemple, si le taux d'occupation des hôtels bruxellois a diminué de 5,5 % depuis 2019, le prix de vente des chambres a, lui, augmenté d'environ 23 % dans le même temps.
Le son de cloche est similaire du côté des agences régionales de promotion touristique VisitWallonia et visit.brussels, pour lesquelles les voyants sont au vert. "Vu les différents retours que je reçois, je peux dire que le secteur se porte bien. Je recueille plus de demandes qu'avant l'apparition de la pandémie. On constate que les entreprises et les personnes qui y travaillent ont vraiment envie de se retrouver physiquement, ce qui est très positif. Certains établissements doivent même reporter ou refuser des contrats car leur agenda est rempli", confirme Pino Frau, chef du service Mice (meetings, incentives, congress, exhibitions) de VisitWallonia.
Besoin de se rassembler
Ce retour des beaux jours était pourtant loin d'être gagné tant le tourisme d'affaires avait souffert de la pandémie. En novembre 2021, touché par la quatrième vague de Covid, le secteur était toujours plongé dans l'incertitude. Les désistements étaient nombreux, les conférences se tenaient en petits groupes et le virtuel était plus que jamais demandé. Deux ans plus tard, la situation a bien évolué. Exit les événements à distance ou hybrides, place (à nouveau) aux rencontres en présentiel. "On avait l'impression qu'on allait se diriger vers des événements virtuels ou hybrides mais cette tendance a été assez courte. Les “visio” sont intéressantes pour des réunions rapides qu'on peut avoir entre collègues afin d'éviter des petits déplacements. Mais pour les manifestations de type séminaire ou teambuilding, le présentiel a vite repris le dessus. Rien ne le remplacera dans notre secteur", note Pino Frau. Patrick Bontinck, CEO de visit.brussels, partage ce point de vue. "On constate par exemple que le domaine des grands congrès a bien redémarré parce que les gens ont besoin de se rassembler. Ils veulent se voir, développer des projets en commun."
Patrick Bontinck (visit.brussels)
Si cet intérêt pour le présentiel a résisté à la pandémie, le coronavirus a tout de même modifié de nombreux réflexes des clients. À commencer par les délais souhaités pour organiser un événement. "Ce qui est certain, c'est que les réservations sont de plus en plus tardives. Même si on commence à avoir de nouveau une vision sur le moyen terme. Mais avant le Covid, cette vision s'étendait sur le trimestre, voire le semestre suivant. Aujourd'hui, on est plus sur le last minute : il y a parfois des événements de 200 personnes qui sont bookés deux semaines à l'avance, c'est complètement délirant. Ce caractère flexible est devenu plus important. Les gens sont particulièrement attentifs aux conditions d'annulation et à la gestion des espaces", explique Emmanuel Didion, qui remarque également une professionnalisation du secteur. "Elle a été accentuée par le Covid. Des investissements considérables ont été réalisés par le public et par le privé pour justement faire augmenter le nombre de nuitées. De plus en plus d'hôtels travaillent par exemple avec des systèmes de “revenue management” dynamiques (tarification en temps réel pour optimiser les coûts selon la demande, NDLR), qui boostent le prix moyen sur le marché. Mais il reste des défis en matière de professionnalisation, c'est certain. Il y a encore beaucoup de petits acteurs qui fonctionnent de manière traditionnelle. Nous devons mieux structurer l'offre car on a plusieurs atouts sur lesquels on ne communique et ne capitalise pas suffisamment."
Business et nature
Pour expliquer la bonne forme du secteur, Bruxelles et la Wallonie peuvent avancer des arguments forts. Contrairement à ce qu'on peut parfois entendre en Belgique, la capitale jouit d'une belle notoriété hors des frontières. "Bruxelles est une des villes de business dans lesquelles il y a le plus de réunions de la planète. Elle occupe une position centrale avec les institutions européennes, l'Otan (NDLR :
organisme d'alliance politico-militaire de pays d'Europe et d'Amérique du Nord), des lobbies, de nombreuses entreprises… Cela explique son succès et sa réputation à travers le monde. Le volume du parc hôtelier a aussi énormément augmenté ces dernières années et il continue à croître. Cela montre qu'il y a un véritable intérêt pour la ville", souligne Emmanuel Didion.
Emmanuel Didion (Horeca Wallonie)
Patrick Bontinck avance, lui, un autre élément déjà très important et appelé à le devenir davantage dans les années à venir : la connectivité en transports en commun. On le sous-estime souvent, mais se déplacer ou voyager d'un bout à l'autre de Bruxelles est possible en seulement quelques minutes grâce au réseau ferroviaire. "Cette connectivité permet vraiment de tirer notre épingle du jeu, notamment en ce qui concerne les congrès qui essaient de se montrer plus durables (lire par ailleurs). C'est quelque chose de primordial qui est de plus en plus mis en avant."
La Wallonie, elle, peut compter sur sa nature pour accueillir les touristes. "C'est son gros point fort : cet aspect nature est très recherché par les entreprises, en particulier pour les teambuildings en extérieur, qui fonctionnent très bien. Notre région attire aussi par le profil chaleureux de ses habitants. C'est en tout cas un avis que j'entends souvent de la part de clients français, néerlandais, ou allemands. Et puis il ne faut pas oublier la proximité géographique de la Wallonie. On vient très vite des Pays-Bas, d'Allemagne ou de Flandre, de Courtrai par exemple qui se trouve à deux pas de Tournai. Idem pour Liège, proche de Maastricht et Cologne…", détaille Pino Frau. La Wallonie est par ailleurs portée par certains acteurs touristiques incontournables, comme le parc Pairi Daiza, les Grottes de Han, ou le circuit de Spa-Francorchamps, qui attirent à eux seuls un grand nombre de sociétés. Mais d'autres, plus petits, arrivent aussi à se distinguer. On pense à l'abbaye de Stavelot et son cadre atypique. "Certaines entreprises recherchent le service plus classique de chaînes d'hôtels qui sont bien équipées. D'autres préfèrent tenter une expérience surprenante en visitant des sites tels que le Bois du Cazier (Charleroi), lieu culturel et de mémoire. Tout ce qui est lié au folklore fonctionne aussi assez bien."
Dernier point à prendre en considération : la Wallonie reste relativement bon marché par rapport à Bruxelles et à la Flandre, ce qui constitue un atout non négligeable.
Mise au (plus) vert
lors que les questions d'écologie et de durabilité sont de plus en plus importantes pour les entreprises, le secteur du tourisme d'affaires évolue aussi pour se mettre au vert. Ce qui profite à notre petit pays. Il est en effet plus difficile aujourd'hui pour un employeur d'envoyer ses salariés en congrès à Barcelone pour s'imprégner de l'ambiance "caliente" de la ville catalane. De quoi booster la fréquentation en Wallonie et à Bruxelles, régions qui peuvent se targuer d'être de véritables pôles business et non des destinations de vacances les pieds dans l'eau. "Il y a quelques années, l'aspect écologique était vraiment un “nice to have”. Quand il y avait des demandes, elles étaient assez vagues. Aujourd'hui, c'est devenu obligatoire d'avoir une politique environnementale claire. On nous pose des questions spécifiques sur les labels qu'on a acquis, sur notre démarche écoresponsable, sur les performances de nos bâtiments. C'est incontestablement un critère clé, juge Emmanuel Didion, alors qu'auparavant on observait parfois un peu de greenwashing (NDLR : technique consistant à donner de soi une image écolo quelles que soient ses réelles pratiques)."
La problématique des déplacements rentre, elle aussi, davantage en ligne de compte pour les entreprises au moment de choisir leur destination. "Tout ce qui est durable est devenu une base. Cela se voit dans le cahier des charges des organisateurs et cela va bien au-delà du greenwashing. Il y a une vraie volonté de diminuer l'impact des congrès, en optant par exemple pour un lieu avec une bonne connectivité des transports en commun", confirme Patrick Bontinck.
La connectivité des transports est une des forces de la capitale.
C'est pour ces raisons que visit.brussels travaille actuellement au développement d'outils censés permettre aux organisateurs de congrès dans la capitale de mesurer l'incidence réelle de leur événement. Ces outils, qui prendront la forme d'une feuille de route, synthétiseront leurs choix et amèneront des pistes d'amélioration afin de rendre leur manifestation plus durable. Menus, transports de A à Z, utilisation de produits locaux, choix des lieux… : l'ensemble de ces critères sera analysé pour rendre l'avis le plus objectif possible. "Je pense que c'est un travail essentiel. On oublie souvent que les congrès sont fondamentaux pour notre société. Les grands congrès pharmaceutiques ou médicaux, le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, NDLR)… réunissent des gens venus du monde entier pour se rencontrer, c'est super important. À un moment donné, si chacun reste isolé, on va avoir des soucis. Il faut donc continuer à aider ces personnes à effectuer ces voyages qui sont indispensables, même si ce sont de long-courriers et qu'ils polluent. Malheureusement, on ne va jamais arriver à un impact de 0 %. Mais on doit vraiment trouver un juste équilibre entre cet aspect de rencontre et la pollution."
Les organisateurs d'événements essaient par ailleurs de laisser une empreinte positive derrière eux une fois leur congrès terminé. "On se demande quelle trace on va laisser dans la ville hôte, c'est ce qu'on appelle la “legacy”. On réfléchit davantage à la plus-value qu'on va léguer d'un point de vue sociétal. À Bruxelles, on s'est positionnés pour un équilibre entre les touristes et les habitants. Un touriste qui vient à Bruxelles doit apporter quelque chose au citoyen, pas l'embêter. C'est pour cela qu'on n'a jamais soutenu des tour-opérateurs qui arrivaient en car pour visiter la Grand-Place en une heure et demie. On a toujours souhaité un apport économique, qui crée de l'emploi, ainsi qu'un échange avec les locaux. On cherche vraiment à promouvoir un tourisme de qualité qui puisse bénéficier à l'économie et à la population", conclut Patrick Bontinck.
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