En 1968 naissait le "statut social des indépendants". Il fête donc ses cinquante ans et approche enfin de sa pleine maturité. Les travailleurs indépendants disposent aujourd'hui d'une palette de protections sociales presqu'équivalente à celle des salariés.
Pour les salariés, la sécurité sociale est née dans l'immédiat après-guerre. Pour les indépendants, il a fallu attendre 1968 et le premier gouvernement Vanden Boeynants, chrétien libéral (PSC, PLP, CVP, PVV). L'arrêté-loi n° 38 du 19 juillet 1967 a ordonné la fusion de ce qui existait sur base volontaire pour les pensions, les allocations familiales et les soins de santé (gros risques). Les caisses d'assurances sociales ont vu le jour pour assurer la gestion et le recouvrement des cotisations rendues obligatoires. Elles ont été chapeautées par l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) à partir de 1971.
Familles et maladie
Dans les premières années, la discrimination par rapport aux salariés est flagrante. En allocations familiales, le premier enfant d'un indépendant reçoit la moitié du montant accordé à un enfant de salarié. L'égalité totale ne sera réalisée qu'en juillet 2014.
En matière de maladie, seules les interventions lourdes (soins hospitaliers, maladies chroniques...) étaient couvertes. C'est en 2008 que la couverture s'est étendue aux petites risques (visites médicales, médicaments, soins dentaires ou de kiné...). Auparavant, il fallait contracter une assurance privée et le faire à temps : au-delà d'un certain âge, la porte était fermée.
L'assurance indemnités en cas d'arrêt maladie a été créée dès 1971, avec un délai de carence de trois mois. L'indemnisation ne commençait qu'au quatrième mois d'incapacité de travail, avec un montant calqué sur la pension de retraite, donc purement de survie. Depuis le 1er janvier 2018, les indépendants sont indemnisés dès le quinzième jour d'arrêt et reçoivent 1.220 euros par mois pour un isolé, 1.525 euros pour un chef de famille.
Quant au congé de maternité, il s'est développé à partir de 1990 comme un mini-équivalent au congé des mamans salariées. Il est aujourd'hui proposé sous une forme très flexible qui répond mieux aux attentes spécifiques des entrepreneuses : trois semaines obligatoires, complétées par neuf semaines facultatives qui peuvent être prises à mi-temps ; le tout agrémenté de 105 titres-services gratuits qui permettent de se consacrer de manière plus sereine au nouveau-né.
Pension et échec
La pension de retraite a longtemps été misérable. Ce n'est qu'en 2003 que la PLC (pension libre complémentaire) est devenue accessible. Cette année-là, un isolé après une carrière complète ne touchait que 617 euros, soit 200 euros de moins que le minimum des salariés. Les deux montants ont été égalisés en août 2016. Ils sont aujourd'hui à 1.220 euros.
En 2015, le travail après 65 ans a été libéré. Avant cette date, le retraité qui dépassait un certain plafond de revenus subissait une ponction sur sa pension. Et depuis le 1er janvier 2018, les indépendants en personne physique ont accès, comme les gérants d'entreprise, au deuxième pilier (engagement de pension).
En cas d'échec, les anciens salariés conservent leur droit au chômage pendant quinze ans. Pour les autres, l'assurance faillite est devenue, en 2017, un "droit passerelle". C'est une indemnité de 1.220 euros, accordée pendant un an maximum, en cas de cessation pour cas de force majeure ou de difficultés financières importantes.
Le schéma sur l'illustration en haut de page compare la protection sociale des indépendants et celle des salariés. Les différences restantes, au détriment des indépendants, apparaissent en gris.
L'histoire de l'UCM est étroitement liée à celle du statut social. Comme organisation représentative des indépendants francophones, elle s'est battue pour son amélioration. Elle est acteur par sa Caisse d'assurances sociales, qui vient de passer la barre des 100.000 clients et est première en Wallonie et à Bruxelles ! Plus d'un indépendant francophone sur trois préfère l'UCM à ses concurrents à dominante flamande.
Réception royale
La célébration du 50e anniversaire du statut social des indépendants a eu lieu à Bozar (Bruxelles), en présence du Roi. La campagne "happy independent's year" a été lancée.
Environ 720.000 Belges relèvent de la sécurité sociale des indépendants. C'est un nombre en hausse, un nombre important, et ce sont ces hommes et ces femmes qui font tourner l'économie du pays, qui innovent et créent des emplois, aujourd'hui bien davantage que les grandes entreprises.
L'anniversaire de leur statut social méritait donc d'être célébré avec un certain éclat. L'In asti, l'organisme qui gère ce statut, a invité à Bozar quelque 500 personnes. Parmi elles, le Roi Philippe et cinquante "ambassadeurs", choisis par les organismes représentant les indépendants (UCM, Unizo...), pour illustrer les multiples facettes et réalités du métier d'entrepreneur. Le souverain s'est entretenu avec dix de ces ambassadeurs avant la séance académique. Il a pu ainsi prendre la mesure des progrès de la protection sociale, mais aussi de l'inquiétude persistante par rapport aux pensions. La lourdeur des charges administratives a aussi été évoquée.
Devant l'ensemble des invités, le Premier ministre Charles Michel (MR) a estimé que si le nombre d'indépendants ne cesse d'augmenter, ce n'est pas un hasard. "Leur condition s'est nettement améliorée. Il reste des réformes à faire, nous les ferons."
Il s'est adressé aux indépendants avec "émotion" : "Mes grands-parents tenaient une boucherie de village et ne ménageaient pas leur peine. Au gouvernement, nous savons que vous êtes au cœur de la cohésion sociale. Nous sommes fiers de vous. Vous pouvez compter sur nous."
Le ministre des Indépendants, Denis Ducarme (MR), a confirmé cet engagement. Il a donné le coup d'envoi de la campagne "happy independent's year", matérialisée par un site internet du même nom et le hashtag "improve". Sur le site figurent notamment les témoignages des cinquante ambassadeurs et un historique du statut social. La plateforme permettra de soumettre jusqu'au 31 août des propositions pour faire évoluer le statut social des indépendants et stimuler l'esprit d'entreprendre. Le ministre Ducarme examinera la faisabilité des quinze idées qui auront remporté le plus de "likes".
Renaud Francart est spécialiste du statut social au service d'études de l'UCM. Il représente les indépendants francophones, notamment au Comité national des pensions.
"L'évolution du statut social n'est pas encore assimilée. Ce n'est plus un sous-statut. Cet anniversaire est l'occasion de casser des idées toutes faites dépassées par les faits.
La protection des indépendants s'est renforcée et modernisée de manière fondamentale, y compris du côté du versement des cotisations. Elles sont à présent calculées sur les revenus de l'année et les adaptations à la baisse par rapport au montant proposé par la caisse d'assurances sociales viennent d'être rendues plus faciles.
Du côté des prestations, la modernisation doit se poursuivre, en particulier pour les pensions. Il faut gommer les iniquités par rapport aux salariés et introduire une proportionnalité avec les cotisations versées. L'instauration de la pension à points permettra, si le calibrage est bon, à la fois d'assurer la pérennité du système et de garantir la transparence et la justice, y compris pour les carrières mixtes.
D'autres améliorations sont nécessaires, comme l'indemnisation de l'incapacité de travail dès le premier jour et un accès élargi au droit passerelle. Tout cela est possible, budgétairement, sans augmenter les cotisations sociales. Pour l'UCM, il n'est pas envisageable que les indépendants paient plus qu'aujourd'hui.
Enfin, le statut social doit s'ouvrir à la nouvelle économie.
Les prestataires de l'économie de plateforme, les slashers, mais aussi la multitude d'indépendants à titre complémentaire... doivent pouvoir y trouver leur place. Le cadre actuel devra évoluer, fonctionner comme un tremplin. La mesure "starters" (cotisations réduites au démarrage de l'activité), qui entre en vigueur en avril, est un pas dans la bonne direction."
Voustémoignez
Roger Mené, ancien président UCM
"Un régime sous-financé"
Président de l'UCM de 1972 à 2008, Roger Mené se souvient bien de la naissance du statut social : "Le moteur, c'était la pension. Fallait-il forcer les indépendants à cotiser à une caisse de retraite ? Les discussions ont été vives. Certaines fédérations professionnelles n'en voulaient pas. L'UCM avait proposé de donner une pension uniquement aux personnes qui en avaient besoin, après enquête sur les ressources. C'était un pis-aller parce que les moyens manquaient cruellement."
En effet, créer un système de retraite, même en répartition (les actifs paient les pensions), ouvre des droits à des gens qui n'ont jamais cotisé et crée une dette. "Cette charge du passé a été assumée par l'État pour tout le monde, sauf pour les indépendants, enrage encore Roger Mené. Le gouvernement Martens, dans les années 80, a fini par l'assumer, mais en laissant le régime supporter les intérêts, qui étaient très élevés à l'époque. De plus, quand on a fait appel au financement alternatif (TVA, accises...) pour financer la protection sociale, nous n'avons jamais eu notre juste part."
Pendant des décennies, le statut social des indépendants a donc cruellement manqué de moyens pour des améliorations. Les conséquences en ont été dramatiques. "Au fil des ans, il est devenu presque impossible de valoriser son entreprise lors de son départ à la retraite, explique l'ancien président de l'UCM. Des dizaines de milliers d'hommes et de femmes, qui avaient travaillé toute leur vie douze heures par jour, se sont retrouvés dans la misère. Celui qui n'avait pas réussi n'avait que le minimum du CPAS pour survivre."
Ce n'est qu'à partir de 2003 que la situation a commencé à s'améliorer. "La ministre Sabine Laruelle (MR) et ses successeurs ont fait un travail formidable, apprécie Roger Mené. J'ai répété des centaines de fois qu'il était honteux qu'un indépendant qui avait cotisé toute sa vie ait moins de pension qu'un chômeur qui n'avait jamais travaillé. Il a fallu attendre août 2016 pour que ce ne soit plus vrai. C'est une étape. Nous avons juste droit au minimum des salariés : ce n'est pas assez !"
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