Le marché de la transmission retrouve un niveau normal
Ralenti durant plusieurs années à cause de la pandémie de Covid-19, le marché wallon des transmissions d'entreprises retrouve de belles couleurs. La tendance est à l'acquisition stratégique et à des transactions toujours plus importantes.
De 295 à 358 en trois ans. Pas de doute, le marché de la transmission se porte bien en Wallonie. Il atteint même un niveau plus élevé qu'avant le Covid, 347 transactions ayant été recensées lors de l'excellente année 2019. Cette hausse, constante depuis trois ans, est multifactorielle. Fin de la pandémie, prise de conscience de plus en plus rapide des entrepreneurs, anticipation accrue, meilleur accompagnement… "On a encore des entreprises avec des dirigeants qui ont plus de septante ans et qui n'ont pas du tout anticipé. On voit cependant que ce réflexe est beaucoup plus présent dans les nouvelles générations", contextualise Stéphanie Hannecart, conseillère cession et acquisition chez Wallonie Entreprendre (WE), l'outil économique et financier de la Wallonie. WE est l'acteur incontournable de ceux qui souhaitent transmettre ou acquérir une entreprise. Leurs conseillers aident les patrons en toute confidentialité et neutralité – deux critères indispensables – afin que cette étape souvent stressante de leur vie professionnelle se déroule le plus sereinement possible.
Pour ce faire, ils ont par exemple développé un test gratuit qui évalue à quel point la réflexion d'un dirigeant sur la cession de sa boîte est avancée. Une première phase essentielle pour visualiser où en est son projet et fixer les balises nécessaires pour la suite. "Les entrepreneurs ont fréquemment des biais lorsqu'ils discutent de leur entreprise, encore plus au niveau de la transmission. C'est très compliqué pour eux d'aller voir quelqu'un qu'ils ne connaissent pas et de commencer à lui parler de leur société. À l'époque, cela se faisait régulièrement autour d'un repas avec un comptable le vendredi midi, après avoir bu une ou deux bières. Mais le comptable n'est peut-être pas toujours la bonne personne à qui parler de cette question car il peut avoir des difficultés à dire la vérité à son client sur les faiblesses de son entreprise. Et quand la réalité arrivait, ça faisait des dégâts et on avait après pas mal de problèmes avec des opérations de transmission qui se passaient mal. Les indépendants rechignent aussi souvent à accepter de payer quelqu'un. Ils pensent parfois qu'ils ne sont là que pour brasser du vent", note Jean-Pierre Di Bartolomeo, executive director chez WE.
C'est pour répondre à ces deux problèmes qu'est né ce test. Il complète le rôle des agents de sensibilisation sur le terrain, dont le but est de provoquer chez les patrons une véritable prise de conscience. "Ils doivent comprendre que ce n'est pas si simple de préparer une transmission, de confectionner le bilan de l'entreprise s'il y a un bâtiment, de poser les bonnes questions sur les revenus locatifs par exemple… Notre métier englobe vraiment tout ça pour préparer les transmissions le plus calmement possible au niveau de la maîtrise technique, de la planification successorale, et du financement", ajoute-t-il. Ce système semble bien fonctionner, les entreprises accompagnées par WE étant par la suite généralement plus performantes d'un point de vue économique que les autres. Cette hausse - considérable - s'établit à environ 30 %.
Les acquisitions stratégiques ont la cote
L'augmentation la plus remarquable des transmissions en 2022 concerne les grands dossiers. Plus les années avancent, plus le nombre d’opérations importantes grimpe : +43 % pour les deals entre un et cinq millions d'euros par rapport à 2019 ; +64 % pour la tranche de cinq à vingt millions, et +200 % pour les opérations au-dessus de vingt millions. La part de petits dossiers – moins d'un million d'euros – reste, elle, stable au cours des années, indépendamment des crises ou des événements exceptionnels. "On a remarqué qu'il y avait de plus en plus d'acquéreurs stratégiques. Après, il y a toujours des petits et des grands dossiers. On vient par exemple de conclure trois transactions dont les prix étaient très variables. On a une société qui a été revendue à 250.000 euros, et une autre à plusieurs millions. Pour revenir à ces acquéreurs stratégiques, ils vont être davantage portés sur des entreprises déjà établies, ce qui explique ces montants plus importants", analyse Stéphanie Hannecart.
Ce qui signifie que les entreprises wallonnes sont plus rentables et intéressantes que par le passé ? C'est un pas que WE n'est pas prêt à franchir. "Cela signifie que les sociétés n'ont plus peur de croître par acquisition. On remarque désormais que nos PME sont plus volontaires pour aller chercher d'autres marchés. Pour cela, elles ont besoin d'une force de frappe plus importante. L’expansion des entreprises est en tout cas facilitée par les reprises. C'est un choix que font certains, plutôt que de grandir naturellement en engageant plusieurs personnes. Cela nécessite pas mal d'adaptations, mais c'est une solution plus rapide que la croissance naturelle pour se développer", poursuit la conseillère.
Cette tendance est à mettre en parallèle avec une autre, similaire : un acquéreur sur dix en Wallonie vient désormais de l'international. "Soyons clairs, le prix que pose un international pour s'ouvrir au marché belge et du Benelux peut être important dans certains produits. On a eu quelques belles opérations de rachat de grosses PME avec une valeur qui était 15 ou 20 % plus élevée. Simplement parce que la personne cherchait un ticket pour entrer sur le marché belge", pointe Jean-Pierre Di Bartolomeo. Ces acquéreurs français, néerlandais, voire américains ou anglais, sont particulièrement friands de boîtes exerçant dans des secteurs de niche. C'est notamment le cas de celles qui œuvrent dans la robotique ou la mécanique de haute précision. Les entreprises agroalimentaires, pharmaceutiques et informatiques restent, elles aussi, des valeurs sûres de notre pays.
Impliquer les plus jeunes
Les premiers mois de l'année 2023 semblent suivre la même tendance que celle qui a été observée en 2022. Les voyants sont au vert même si aucun chiffre n'a été arrêté pour l'instant. "On est dans un marché qui est à l'achat. Les prix sont importants et les belles opérations restent peu de temps sur le tapis.
C'est une bonne chose. Mais on doit continuer à évangéliser un maximum les entrepreneurs pour les sensibiliser. On doit aussi être porteur d'un message de confiance envers les jeunes pour créer une nouvelle génération d'entrepreneurs wallons. Il faut que quelqu'un de 55 ans qui se pose des questions sur la transmission aujourd'hui envisage de faire monter quelqu'un de 25 ans à bord pour qu'il reprenne progressivement le flambeau. Ce serait un beau projet de société et un beau message à porter", explique Jean-Pierre Di Bartolomeo.
La spécificité des sociétés familiales
Comment pérenniser au mieux le patrimoine de sa société familiale ? Éléments de réponse avec Tanguy Gavroy (expert entreprises chez CBC Banque & Assurance), Valérie Denis (dirigeante de ValerieDenis. Family, Advisor en transmission, gouvernance et affectio societatis, spécialisée en entrepreneuriat transgénérationnel) et Philippe D’Archambeau (CEO d’Alternativ).
À quoi ressemblent les repreneurs familiaux d’aujourd’hui ?
Valérie Denis - Il s’agit de la cinquième génération d’après-guerre. Elle n’est pas forcément mue par les mêmes moteurs que celles qui l’ont précédée. Diplômée et en prise avec le monde, elle ne conçoit pas son destin comme étant irrémédiablement lié à l’entreprise. De plus, le paysage entrepreneurial familial se féminise. Il n’est plus rare que ce soient les filles qui reprennent la direction, parfois en association avec un ou deux frères.
À partir de quand un dirigeant doit-il réfléchir à la cession ?
Tanguy Gavroy - Beaucoup imaginent la conclure au moment de leur pension, en oubliant que, pour qu’elle soit réussie, l’idéal est de s’y préparer trois à cinq ans à l’avance. Sans compter un processus de vente qui peut prendre jusqu’à douze mois, puis une période post-transmission, qui peut lier le dirigeant à l’entreprise pour plusieurs mois – voire plusieurs années – supplémentaires.
Philippe D'Archambeau - Le dirigeant est à la fois le manager d’une entreprise dont il veut assurer la continuité, un actionnaire qui veille à sa sécurité financière post-carrière, et le membre d’une famille au sein de laquelle il veut préserver un équilibre. Si tous vos enfants veulent rester actionnaires et s’impliquer activement dans l’entreprise, l’enjeu sera de bien répartir les tâches. Sinon, il s’agit de trouver des mécanismes de rémunération équitables entre ceux qui cèdent leurs parts et ceux qui les acquièrent. Entrent alors en jeu la valorisation de l’entreprise et, pour ceux de vos enfants qui sont concernés, les moyens de financer le rachat d’actions. Tout ceci requiert énormément de dialogue, donc
de temps.La valorisation est-elle forcément plus basse en cas de transmission intrafamiliale ?
(TG) - Un entrepreneur qui veut maximiser la vente de ses parts se tournera vers un acheteur externe dans un processus concurrentiel. Le dirigeant qui cède l’entreprise à ses enfants repreneurs ne cherche pas à maximiser le prix mais souhaite plutôt aider les repreneurs en fixant un prix de transaction raisonnable. Pour autant, sous-valoriser une société équivaut à léser ceux de vos enfants qui ne se porteraient pas acquéreurs de parts de la société. Des montages et mécanismes de compensation équitables sont alors mis en œuvre.
(VD) - L’adoption de telles solutions est facilitée par le fait que la plupart des sociétés familiales ont un horizon de long terme. Leur vision est transgénérationnelle et, souvent, une part significative des dividendes est réinvestie dans l’outil de travail.Tout ceci suffit-il pour une cession couronnée de succès ?
(TG) - Non, car il reste bien sûr le facteur organisationnel et humain. L’équipe en place a-t-elle été organisée pour que les responsabilités du dirigeant puissent être pleinement assumées par d’autres après son départ ? Y a-t-il eu un transfert de savoir et de compétences entre celui qui part et ceux qui restent ou arrivent et, éventuellement, une redéfinition adéquate des rôles ? Ces questions sont absolument cruciales.
La semaine de la transmission
La huitième édition de la semaine de la transmission organisée par Wallonie Entreprendre se tiendra du 13 au 17 novembre 2023. 50 organisateurs prépareront entre 20 et 30 conférences sur des thèmes liés à la transmission d'entreprises.
Des experts privés côtoieront des conseillers locaux pour offrir un panel de conférences le plus large et le plus complet possible.
Pour plus de clarté au niveau du programme, les conférences se dérouleront chaque jour dans une province spécifique : Hainaut le lundi, Liège le mardi, Namur/Luxembourg le mercredi et Brabant wallon le jeudi. Le vendredi sera consacré à des webinaires.
Les activités en présentiel se finiront donc le jeudi avec une soirée de clôture organisée par Wallonie Entreprendre. Les partenaires, experts, et entrepreneurs seront invités à cet événement dont le thème sera le "choc des générations". "C'est une thématique qui revient très souvent quand on va sur le terrain. Que ce soit côté repreneur ou côté vendeur. Ils n'ont pas forcément les mêmes points d'attention, ou la même façon de communiquer. On veut construire un dialogue entre les générations. Notre orateur sera Carol Allain, un spécialiste de la matière qui vient du Canada", détaille Stéphanie Hannecart.
Votre Accompagnement UCM
Pour réussir à tirer sa révérence tout en douceur, il faut l’organiser en amont. Quel que soit son âge, la transmission de son entreprise se prépare jusqu’à cinq ans avant la vente : orientation, préparation, recherche d’un repreneur, négociation, signatures… Les étapes de transmission sont nombreuses. C'est pourquoi nos conseillers accompagnent les entrepreneurs dans l'entièreté de ce cheminement. Ils sont également disponibles pour informer les dirigeants sur les aides financières proposées par la Région wallonne. Sans oublier de les aiguiller vers des partenaires/experts externes (comme WE) ou internes pour les questions traitant de droit à la pension, valorisation de l'entreprise, convention de cession, cession intrafamiliale, gestion de patrimoine, planification successorale, gestion de l'immobilier...