Les pop-up stores, une nouvelle façon de faire du commerce

La vente au détail est en plein bouleversement. Dans ce maelström, sont apparus depuis quelques années les magasins éphémères. Branchés, ils prennent diverses formes.

Jean-Christophe de Wasseige

En anglais, "to pop up" signifie surgir. En deux mots, tout est dit. Ces commerces ne durent en effet que quelques mois, semaines voire même jours. Le temps de créer la surprise, d'attirer les curieux et de pousser à l'achat. Ce concept s'est popularisé aux États-Unis au tournant des années 2000. Chez nous, il a débarqué après la crise de 2008. En profitant d'une circonstance particulière…

"Il y a trop de surfaces commerciales en Belgique, rappelle Claude Boffa, professeur en marketing à la Solvay Brussels School. Quasi 1,6 m² par habitant. C'est très supérieur à notre niveau de consommation. D'où la persistance de locaux vides. Les magasins éphémères ont précisément exploité cette situation. Et on a négocié les loyers à la baisse."

Les premiers à ce jeu furent les magasins de déstockage. En particulier l'enseigne Chronostock, spécialisée dans les accessoires de cuisine. En dix ans et malgré un exercice 2017 "difficile", la société a ouvert et fermé plus de 300 magasins.

Les pop-up stores n'en sont pas restés là. "Ils se sont diversifiés, poursuit Claude Boffa. De jeunes commerçants les ont adoptés pour tester leurs produits à moindres frais. Des néo-entrepreneurs en ligne s'en sont servis pour aller à la rencontre de leur public. Des marques de luxe en ont fait des outils de marketing." Pour les Vuitton, Hermès ou Chanel, en effet, ce concept sert à présenter une nouvelle ligne, à entretenir une notoriété, à créer l'événement… Ici, les ventes importent peu. Pas plus que les dépenses d'aménagement intérieur, d'ailleurs. Seule la communication compte.

Les enseignes généralistes ont suivi le mouvement. Exemples ? Ikea ouvre des espaces en ville pour présenter une gamme de literie. Le fabricant de smartphones OnePlus ne jure que par des "pop-ups" pour célébrer chaque sortie d'un nouveau combiné. Mercedes-Benz présente certains de ses modèles dans des endroits en vue. La mode est lancée.

Le phénomène semble parti pour perdurer. Deux indices le donnent à penser. Un : des législations ont été créées sur mesure. Elles consacrent le bail de courte durée, de moins d'un an. Fini de passer par des conventions d'occupation précaire. La Flandre a légiféré dès septembre 2016 ; la Wallonie en mai 2018 ; Bruxelles en avril 2019.

Et deux : tout un environnement s'est constitué afin de faciliter les installations. Des bureaux prennent en charge le design. Des agences s'occupent de la campagne sur les réseaux sociaux. Des plateformes internet mettent en relation les propriétaires et les candidats locataires. Sur ce dernier point, Storefront se prétend leader mondial. En Wallonie, le site Urbain Retail a été mis sur pied avec le gouvernement régional.

Le dernier développement en date ? Les boutiques "partagées" ou "temporaires permanentes". C'est le cas de Scoopstore, une chaîne anversoise, récemment primée. Dans ses quatre boutiques d'Anvers, Malines, Gand et Eindhoven (Pays-Bas), elle accueille des créateurs pour une durée de six à douze mois. Ici, les murs restent ; les produits passent…

Essai pour les néo-entrepreneurs
(L'Auberge espagnole, Bruxelles)

Les néo-entrepreneurs bruxellois peuvent se tester dans le pop-up store géré par hub.brussels.
© hub.brussels

À Bruxelles, les autorités ont fait le pari d'utiliser le pop-up store comme levier à la création d'entreprise. Ainsi, l'agence économique hub.brussels a aménagé deux magasins. Elle y accueille à tour de rôle de jeunes ayant développé un concept de vente. La sélection se fait par un jury. Les candidats choisis reçoivent un encadrement avant, pendant et après le séjour.

La première adresse existe depuis mai 2016 et s'appelle "L'Auberge espagnole". Ce rez de 65 m² jouxte la place Jourdan à Etterbeek. Pas moins de 17 néo-commerces s'y sont déjà succédé : friperies, épiceries, drogueries… Le loyer s'élève à 350 euros par mois. Contre environ 2.000 euros pour un commerce durable dans le même quartier et 4.000 euros dans le centre-ville. La seconde adresse, Kokott, vient d'ouvrir. Elle se destine aux snacks. D'où son emplacement à la rue des Bouchers. Loyer mensuel : 800 euros.

"Avec ces deux emplacements, nous voulons donner l'opportunité à des néo-entrepreneurs de s'essayer au commerce avec un minimum de risques, explique la project manager, Flore Frédéric. Ils peuvent découvrir tout ce qu'implique une telle activité, voir si cela leur plaît et, bien sûr, tenter de trouver une clientèle." Sur les treize premiers projets passés par L'Auberge espagnole, huit sont devenus pérennes.

Tremplin vers le commerce durable
(Déjà Vu, Etterbeek)

Après avoir tenu deux pop-up stores, Cécile Gerooms a réussi à pérenniser son commerce.
© Lies Engelen Photography

Le saut vers un commerce durable, Cécile Gerooms le réalise après tout un cheminement. Son projet est de vendre des vêtements de seconde main, mais de belles pièces. Cette styliste trentenaire démarre par des présences ponctuelles dans des espaces privés, le temps d'un week-end, par exemple. Comme cela réclame d'incessants déménagements, elle intègre ensuite L'Auberge espagnole, le local de hub.brussels.

La sauce prend. À la fin de sa location, elle prend un autre pop-up store pour sept mois. Cette fois, à un jet de pierre de la Grand-Place. Mais là, désillusion : "Je n'avais que les touristes et pas les vraies amatrices de mode, raconte-t-elle. Aujourd'hui, le centre-ville n'attire plus les Bruxellois ! Ils l'ont déserté dans l'attente des travaux du piétonnier." La jeune femme reste toutefois convaincue du potentiel de sa démarche.

Lorsqu'elle a l'opportunité de retourner quasi à côté de L'Auberge espagnole à Etterbeek, elle fonce. Une clientèle la redécouvre. Son bail est désormais de longue durée. "Mon histoire prouve que la localisation est un facteur décisif pour un commerce. Et que le pop-up store s'avère très utile pour tester les quartiers. Il permet vraiment de se lancer en sécurité. Avec un pop-up, un échec éventuel ne se transforme pas en catastrophe. Bien au contraire. Il est très instructif."

Revitalisation des centres urbains
(Pop&C, Charleroi)

Le magasin Pop&C a ramené un peu de monde dans une des rues désertées de Charleroi.
© Pop&C

Entre avril 2016 et décembre 2018, un magasin éphémère a fonctionné dans l'une des artères les plus désertées de Charleroi, la rue de Marcinelle. Son nom : Pop&C. Particularité, il a été lancé par l'asbl Charleroi CentreVille (ACCV), qui veille à l'animation commerciale. "Nous avions deux objectifs, indique la cheville ouvrière du projet, Hélène Malnoury. D'abord, accueillir des créateurs et leur permettre de présenter leurs productions : t-shirts, bijoux, objets de déco, meubles… Ensuite, recréer une fréquentation dans cette rue."

Le projet a bien fonctionné puisqu'il a duré trois ans, au lieu d'un an prévu à l'origine ! Une septantaine d'artistes ont reçu leur chance (plusieurs se côtoyaient dans le même espace). L'un ou l'autre ont poursuivi l'aventure ailleurs. En ce qui concerne l'aspect redynamisation, les flux de piétons ont doublé à certains moments.

Dans la foulée, il a été décidé de vouer cette rue à l'artisanat et la culture. Un programme appelé "La fabrique à boutiques" a pris le relais. Il octroie une aide aux commerces à vocation créative qui envisagent une installation pour au moins trois ans.

Conclusion : les pop-up stores peuvent contribuer à réduire la désertification mais sans être un remède miracle. D'autres rues carolos restent d'ailleurs mortes.

Extension des commerces pérennes
(Lolifant, Liège)

Il arrive qu'un commerce établi de longue date décide d'ouvrir un magasin éphémère dans une autre rue ou ville. C'est le cas de Lolifant, un magasin de jouets de qualité, implanté à Liège, à quelques rues de la place Cathédrale.

Pour cet hiver 2019, il s'est dédoublé via un pop-up store à la Médiacité, le centre commercial urbain sur la rive droite de la Meuse. Une location a été conclue du 17 octobre au 25 janvier. "Tout est parti d'une opportunité, raconte la gérante, Marie Lambert. Pour les fêtes de fin d'année, la Médiacité cherchait à avoir un magasin de jouets dans son offre de boutiques. Vu les conditions proposées, cela nous a intéressés. Pour nous, le but est avant tout de se faire connaître d'une autre clientèle. En effet, les consommateurs qui fréquentent les galeries ne sont pas les mêmes que ceux du centre-ville. C'est donc l'occasion de voir s'ils accrochent aussi à nos produits."

Même s'il est temporaire, ce point de vente n'en constitue pas moins un défi. "Des contraintes s'ajoutent à celles du commerce principal. Par exemple, s'installer dans une galerie signifie tenir des horaires plus longs (10:00-20:00, NDLR). Il faut prévoir deux vendeuses durant deux shifts (périodes), ce qui fait quatre personnes. Cela va sans doute impacter la rentabilité. On verra. On tirera le bilan à la fin de l'expérience…"

Animation d'un shopping center
(Pop Up Star, Anderlecht)

Au Westland à Anderlecht, AG Real Estate tente un concept nouveau basé sur les pop-up stores et les animations.
© AG Real Estate

Les complexes commerciaux ont compris l'intérêt des magasins éphémères dans un contexte où eux aussi sont amenés à se réinventer. "Les pop-up stores sont un moyen de continuer à attirer nos clients et d'en séduire de nouveaux, affirme Sam Perneel, head of asset management retail chez AG Real Estate, le gestionnaire de huit centres commerciaux dont City 2 à Bruxelles ou le Westland à Anderlecht. En procurant de la nouveauté, ils contribuent à améliorer notre attractivité."

Certes, leur nombre reste minoritaire. À City 2, ils ne représentent ainsi que deux ou trois emplacements sur une centaine. Mais les candidats pour les occuper ne manquent pas. Surtout, ces pop-up stores collent parfaitement avec la politique des shopping centers de miser désormais sur l'animation.

Un exemple ? À l'intérieur du Westland actuellement en rénovation, un tout nouvel espace, inédit en Belgique, a été ouvert le 8 novembre : le Pop Up Star. "D'une surface de 1.000 m², il mêle magasins éphémères, corners (échoppes dédiées), consoles de gaming, zones de dégustation, espaces de rencontre avec des influenceurs ou des DJ, etc., explique Valérie Couchant, marketing manager du Westland. Chaque pop-up assure des activités, des événements. L'objectif est de créer de l'émotion, de faire en sorte que les visiteurs fassent plus que du shopping."

L'avis UCM

UCM estime que le commerce doit se réinventer. Ce secteur est soumis à une forte concurrence en raison des périodes de réductions qui s'enchaînent en dehors des soldes, de l'offre en ligne ou encore des prix concurrentiels pratiqués toute l'année par les grandes enseignes. Si le commerce indépendant veut survivre, il doit se différencier. Et donc innover. Les pop-up stores permettent de présenter la marchandise autrement, de répartir une surface entre plusieurs commerçants indépendants, de proposer une réelle expérience au client qui, en un même lieu, découvre un éventail d'articles allant des vêtements à la déco, mais qui peut aussi "se poser" en s'offrant un café…

C'est également l'opportunité de tester un concept sur une période définie. Pour un commerçant qui se lance, il est essentiel de valider son business model avant de faire face à des commandes importantes ou de s'engager pour plusieurs années à assumer le loyer d'une surface commerciale.

Quant aux villes et communes, les pop-up stores sont pour elles un moyen de redynamiser une artère commerciale, un quartier. Via ce dispositif éphémère et original, il est possible d'attirer de nouveaux clients et de donner une touche particulière à un périmètre qui souffre du syndrome des cellules vides.

Bref, les pop-up stores répondent à une nouvelle manière de consommer et à une nouvelle manière de vendre. L'expérience est bénéfique aux commerçants indépendants désireux de mettre en avant la connaissance de leurs clients, de leurs produits et les services de conseil qui en découlent.

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