Coworking, entre reprise et innovation

Fortement ralentis par les crises sanitaire et (dans une moindre mesure) énergétique, les espaces de coworking retrouvent aujourd'hui leur rythme de croisière. Ils doivent cependant s'adapter aux nouveaux besoins des travailleurs qui les fréquentent.

Clément Dormal

L'un des facteurs unanimement reconnus comme constituant un risque psychosocial chez l'indépendant est la solitude. Isolé, il se plonge tellement dans son travail qu'il en oublie parfois de se déconnecter ou de tisser des relations humaines. Certains ont trouvé la parade en travaillant dans des espaces de coworking, où des gens de métiers et d'horizons différents se retrouvent pour bosser, mais aussi échanger, sociabiliser, et innover. Il en existe environ 500 répartis sur l'ensemble du territoire belge mais de manière inégale. La Flandre et Bruxelles sont ainsi beaucoup mieux desservies que la Wallonie.

L'effet est frappant lorsqu'on jette un coup d'œil à la carte de la Belgian Workspace Association (BWA), qui représente 285 de ces espaces. Si les emplacements semblent s'entasser à Bruxelles et couvrent une majeure partie de la Flandre, la Wallonie paraît désespérément vide. C'est bien simple, la BWA ne recense qu'une grosse quinzaine de centres de coworking de notre côté de la frontière linguistique, soit environ autant que la seule ville d'Anvers. Parmi ceux-ci, sept sont situés dans le Brabant wallon, trois à Namur et deux à Liège. Plusieurs causes expliquent cette disparité. Certaines sont historiques, d'autres financières, mais la principale est démographique. Les personnes utilisant un espace de coworking habitent généralement à proximité du lieu qu'elles fréquentent entre le travail à domicile et les rendez-vous chez les clients. Avec une densité de population beaucoup plus faible qu'en Flandre, la Wallonie a du mal à rencontrer ce double critère de proximité et de densité.

75 % des espaces en bonne santé

Idéalement, un espace de coworking devrait s'étendre sur 2.000 m² avec 200 membres payants assez rapidement pour que le projet soit viable. Aujourd'hui, 25 % des espaces se portent très bien, 50 % sont à l'équilibre et les 25 % restants connaissent plus de difficultés. "Cela signifie que 75 % tirent leur épingle du jeu", se réjouit Édouard Cambier, directeur de la BWA et d'un espace à Bruxelles. "Ceux qui ne vont pas bien ont entamé leur activité en 2019 ou 2020. Le Covid leur est tombé sur la tête et ils n'ont pas eu le temps d'attirer de la clientèle et de faire beaucoup de prospection. Ils ont donc redémarré après l'été 2022 et sont encore dans le rouge."

Le marché a repris vigueur avec de nombreuses initiatives. Les structures créées ont ainsi largement compensé les quelques faillites, alors que les plus gros réseaux de coworking qui avaient mis certains espaces en veilleuse ont décidé de les (r)ouvrir. Autre particularité liée aux nouvelles méthodes de travail : des groupes internationaux ont choisi de s'attaquer au marché belge. Ils suivent leurs habitués qui ont en partie quitté Londres pour (télé)travailler en Belgique.

Foisonnement d'idées

S'il faut du temps aux espaces pour établir et fidéliser une clientèle, cette dernière n'est pas revenue de manière uniforme après la pandémie de Covid-19. Les premiers à avoir franchi les portes de ces lieux de travail partagé sont les métiers de contact. Ceux qui travaillent dans l'innovation, les ressources humaines, les sales, le marketing. À l'inverse, il aura fallu plus longtemps à ceux œuvrant dans le back office ou dans des entreprises bien digitalisées pour reprendre leurs habitudes pré-Covid.

Ce que les utilisateurs recherchent a aussi évolué. Plus question de seulement se concentrer sur le travail. "Ils viennent rencontrer de nouvelles personnes pour pêcher des idées innovantes. Quand on arrive aujourd'hui dans nos espaces, il ne faut pas bourrer son agenda avec des dizaines de réunions sur Teams ou Zoom, il est essentiel de garder du temps pour échanger, refroidir le cerveau et le nourrir de nouvelles idées." Les espaces de coworking ont dès lors également dû s'adapter pour laisser davantage de place à la convivialité. La machine à café, déjà populaire auparavant, est ainsi vraiment devenue le centre névralgique des lieux de coworking. "Les travailleurs ont pris certaines habitudes en bossant chez eux. Il faut donc que tous ces avantages soient disponibles au bureau. Actuellement, j'ai des gens qui viennent et qui me disent qu'ils n'ont rien à faire. Ils ont fait toutes leurs tâches à la maison ou chez le client et ils viennent seulement sociabiliser." C'est aussi dans cette optique que la cantine a refait son apparition.

Parmi les autres points d'attention d'aujourd'hui, notons le besoin de salles de réunion avec une bonne acoustique, un parking accessible, des salles de repos et de production pour réaliser des podcasts ou des montages vidéo, et l'importance accordée à la lumière naturelle du jour. Sans oublier la popularité croissante des endroits où les animaux de compagnie sont admis, de nombreuses familles ayant adopté un compagnon à quatre pattes en 2020.

Des prix variables

Mais quel est le profil des abonnés au coworking ? Contrairement à certaines idées reçues, il s'agit majoritairement d'hommes d'une quarantaine d'années qui ont décidé d'entreprendre après avoir quitté leur poste de salarié. Ils côtoient des jeunes qui ont fini l'université. Les femmes sont un peu moins présentes. Notons cependant qu'un espace leur est exclusivement consacré dans le réseau de la BWA. Il se nomme Womanly et est situé dans une partie d'un espace mixte à Watermael-Boitsfort.

Le tarif des différents lieux peut varier fortement en fonction de la zone dans laquelle ils se trouvent. Le coût d'un mètre carré n'est en effet pas le même à Saint-Hubert, à Nivelles ou à Bruxelles. Les différents avantages et le standing du coworking peuvent également alléger ou alourdir la facture finale.

Des PME décident de franchir le pas

De nombreuses entreprises ont intégré depuis plusieurs années les espaces de coworking dans leur stratégie pour attirer de nouveaux talents. Il arrive en effet de plus en plus régulièrement que les salariés de certains secteurs, comme la consultance, ne se rendent qu'une fois par semaine ou par mois au siège de l'entreprise pour recevoir leur mission. Par la suite, libre à eux de travailler depuis chez leur client, à domicile, ou dans un espace de coworking se trouvant à proximité de chez eux.

Cette réalité s'applique moins aux PME, même si certaines semblent suivre le mouvement. "Pour les PME, il y a un vrai calcul à faire, notamment quand on pense au prix d'une éventuelle voiture, à la nervosité qu'un long trajet peut engendrer pour le collaborateur, au confort de vie par rapport aux enfants. On se dirige en effet vers ce mode de fonctionnement même si on n'a pas encore de chiffres", témoigne Édouard Cambier.

Il pointe cinq éléments qui pourraient convaincre un patron de PME de choisir ce mode de travail pour ses employés : une réduction des coûts (en particulier à l'heure de la diminution de la taille des espaces de travail) ; de la flexibilité par rapport à l'évolution de l'entreprise ; des infrastructures et des équipements modernes et de qualité ; des possibilités de networking et de coopération avec d'autres professionnels de divers secteurs (pouvant mener à de nouveaux partenariats commerciaux) ; et enfin une ambiance de travail conviviale et propice à la créativité comme à la productivité.

Édouard Cambier estime donc que, dans le cadre d'une PME, l'éparpillement des collaborateurs ne risque pas d'engendrer une perte de lien. "Ce sont des boîtes où on communique souvent via WhatsApp, même le week-end. Le modèle de PME est très différent de celui de la grande entreprise ou du groupe international. Il y a généralement une vraie culture d'entreprise. C'est cette caractéristique que la société doit arriver à développer pour éviter une éventuelle dégradation des liens."

Un espace convivial et écoresponsable à Mons

Co-GuestHouse, à Mons, fait partie de ces espaces de coworking qui ont ouvert juste avant la pandémie, en 2019 pour être précis. "Le Covid nous a coupé les ailes en plein élan. Comme pour de nombreux espaces de travail partagés, la pandémie a eu un impact désastreux sur notre activité en 2020 et 2021. La reprise n'a vraiment eu lieu qu'en février dernier, avec de nouvelles habitudes et tendances auxquelles nous avons dû faire face. Fort heureusement, nous avons pu compter sur un taux de fidélité record de nos clients historiques", indique Françoise Saint-Ghislain, qui a créé l'espace avec son mari François.

La Co-GuestHouse est une maison de boulevard aux valeurs écoresponsables qui propose la location de trois espaces modulables tout en offrant une variété de services complémentaires (catering, formations…). Les visiteurs y viennent pour "coworker" ou participer à une réunion, un teambuilding, un afterwork, voire d'autres activités plus récréatives. "Les professionnels recherchent un espace agréable et flexible qui s'adapte à leurs exigences d'horaire, d'accessibilité, de facilité, de confidentialité. Ils ont un grand besoin de chaleur humaine et d'échanges, que l'on parle d'échanges sociaux ou de compétences", poursuit Françoise Saint-Ghislain.

Convaincus que l'art occupe une place importante dans l'éveil de la créativité, les propriétaires ont ouvert la Co-Gallery où des artistes locaux exposent leurs œuvres tout en embellissant les lieux. Ils offrent par ailleurs un accompagnement en marketing et communication ainsi qu'en développement commercial. "Nous sommes persuadés que la formation va jouer un rôle crucial dans le contexte d'évolution de notre société. C'est pourquoi nous avons à cœur de promouvoir les formations dispensées par des acteurs externes et que nous avons lancé les nôtres. Le fait de se former en dehors de l'entreprise participe également à un meilleur apprentissage."

Le tarif de la maison (ouverte tous les jours 07:30-22:30), qui varie selon l'espace occupé et la durée de la location, peut aller de 25 à 370 euros HTVA.

co-guesthouse.be }

 

 

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