Les communes sont-elles "business friendly" ?

Vu leurs larges compétences et leur ancrage sur le terrain, les communes exercent une certaine influence sur les activités économiques. Mais que valent exactement leurs actions en ce domaine ?

Jean-Christophe de Wasseige

Le 14 octobre, retour aux urnes. Les Belges renouvelleront leurs conseils communaux pour six ans. Comme toujours, ces scrutins seront dominés par des enjeux et des mandataires locaux. Et l'économie, là-dedans ? Les municipalités apparaissent comme des acteurs secondaires, derrière l'État fédéral qui possède l'essentiel de la fiscalité, et les Régions qui gèrent les aides économiques. Les communes arrivent en soutien. On les qualifie parfois de "facilitatrices", s'occupant des formalités pour les implantations (permis d'environnement et d'urbanisme...) ou veillant à un cadre général attractif (sécurité, qualité de vie, routes, parkings...). À côté de ce rôle, elles ont quand même une série d'impacts directs. En voici cinq.

Elles procurent de l'investissement (bénéfique)

Les élus le répètent à l'envi : les communes investissent beaucoup. C'est exact. Sur l'ensemble des investissements de pouvoirs publics belges (9,7 milliards d'euros en 2016, selon la Banque nationale), les communes assurent environ 35 %, les Régions et Communautés 55 %, et l'État fédéral 10 %. Cette part communale est restée assez constante au fil du temps, au contraire de la part du fédéral en chute libre sous l'effet des assainissements budgétaires depuis 1985. Les communes ont tenu bon jusqu'il y a peu. Ce n'est pas négligeable, vu que le total national est un des plus faibles d'Europe rapporté au PIB (richesse produite). Sur le terrain, ces investissements communaux servent à construire des centres sportifs, entretenir des écoles, rénover des routes... En Wallonie, le premier poste est constitué par les voiries, selon la dernière étude Belfius sur les finances communales. À Bruxelles, c'est l'enseignement.

D'un point de vue économique, ces investissements ont un double effet d'entraînement. D'abord, ils bénéficient aux entreprises sous forme de contrats. Ensuite, ils améliorent ou préservent la productivité. Le problème, c'est qu'ils sont très cycliques : rares en début de législature, puis abondants lorsque les élections approchent. Or, ces hauts et bas sont difficilement gérables par les entreprises, qui doivent adapter leur personnel, mobiliser leurs machines, etc. C'est notamment le cas des entrepreneurs de la construction. Ceux-ci réclament depuis belle lurette une programmation mieux étalée.

Les communes sont d'importants donneurs d'ordre en matière de travaux publics. Mais pour combien de temps encore ?
© Jean-Luc Flémal/Belpress.com

Elles sont sous forte pression financière (gênant)

Ce rôle financier des communes doit être un brin relativisé. En effet, ces investissements tendent à régresser à leur tour. Selon Belfius, ils sont passés de 1 % du PIB en 2012 à 0,7 % en 2017. Ce recul est perceptible en Wallonie et en Flandre, mais pas à Bruxelles aux prises avec une démographie en hausse. À titre d'exemple, au sud du pays, les montants réellement engagés s'élevaient à 1 milliard d'euros en 2012, puis ont faibli à 750 millions en 2017. La raison principale est à trouver dans les nouvelles règles budgétaires qui ont été imposées par l'Union européenne après la crise de l'euro de 2010.

"Depuis 2014, les communes sont obligées de tenir leur budget en équilibre à l'exercice propre (c'est-à-dire chaque année), explique Katlyn Van Overmeire, conseillère à l'Union des villes et communes de Wallonie (UVCW). Elles sont également bridées dans leurs possibilités d'emprunter, par des balises. Résultat : même les communes saines sont limitées dans leurs actions. De l'autre côté de la balance, de nouvelles dépenses sont sans cesse mises à leur charge : réforme des services de secours, sollicitation accrue des CPAS (Centres publics d'action sociale), etc. Résultat : beaucoup d'entre elles font des économies et choisissent de couper dans les dépenses d'investissements."

Pour les budgets 2019, l'autorité de tutelle, la Région wallonne, a toutefois lâché un peu la bride dans le but de, précisément, faire redémarrer ces investissements locaux. N'empêche, à long terme, une bombe à retardement risque de structurellement réduire les capacités des communes : les pensions de leurs fonctionnaires.

Elles font de l'animation économique (bénéfique)

Historiquement, l'essentiel des compétences économiques des municipalités a été assuré par leurs intercommunales de développement (sans compter celles relatives à l'énergie, la télédistribution, les déchets, les abattoirs, les hôpitaux, etc.). Celles-ci sont nées à partir des années 60 afin de créer et gérer des zonings. Par la suite, leurs activités se sont diversifiées : accompagnement de projets, réhabilitation de chancres, études, etc. Aujourd'hui, elles sont huit en Wallonie et s'inscrivent de plus en plus en appui de la politique de la Région.

À partir des années 2000, d'autres structures sont toutefois apparues. Comme si le besoin d'agir au plus proche du terrain s'était fait sentir. À Bruxelles, c'est le cas des Guichets d'économie locale (GEL), qui aident les indépendants à se lancer. On en trouve dans cinq communes. En Wallonie, existent les Agences de développement local (ADL). Elles sont 49 et un moratoire a été décrété en 2015 par la Région qui les subsidie pour l'essentiel. Constituées en général de deux personnes, elles ont pour mission d'assurer de l'animation économique dans les communes de moins de 40.000 habitants.

"Nos actions sont très variées, explique Nathalie Bouvy, de l'ADL de Braives. Aider des porteurs de projet, mettre les acteurs en relation, faire de la promotion, organiser des formations, etc. Tout part d'un diagnostic du tissu économique local que chaque ADL doit rédiger tous les six ans. En fonction de ce dernier, une stratégie est arrêtée. Dans notre cas, l'une des priorités est d'encadrer les agriculteurs, producteurs alimentaires et maraîchers. Pour eux, nous allons, par exemple, créer un hall-relais, afin qu'ils puissent transformer et commercialiser leurs produits du terroir. Cela s'appellera les Halles de Hesbaye."

Elles lèvent des taxes sur les PME (gênant)

Via leurs compétences fiscales, les communes peuvent avoir une incidence sur les PME. La fiscalité représente environ 50 % de leurs revenus globaux, l'autre moitié provenant de dotations et de subventions. Cette fiscalité s'élève à 2,3 milliards d'euros en Wallonie (2015). Elle se compose de deux types de rentrées : les additionnels à l'IPP (impôt des personnes physiques) et au précompte immobilier pour 1,8 milliard, ainsi que des taxes pour 500 millions. Ces dernières sont multiples. Il existe 162 possibilités de taxation !

La plus importante est celle sur les immondices, qui rapporte 188 millions par an. D'autres taxes visent spécifiquement les entreprises, comme celles sur la force motrice (37 millions), les toutes-boîtes (31 millions), les marchés (8,7 millions), les industries (7,9 millions) ou encore les panneaux publicitaires (7,2 millions).

Les litiges ne sont pas rares, comme pour les taxes sur les écrits publicitaires. "Globalement, on peut toutefois considérer que cette pression fiscale reste raisonnable, tempère Arnaud Dessoy, responsable des études en finances publiques chez Belfius. Les autorités de tutelle ont en effet cherché à éviter des impacts trop pesants sur l'économie et ont négocié des "pactes fiscaux" avec les communes, afin qu'elles modèrent voire renoncent à certaines taxes en échange de compensations. Flandre, Wallonie et Bruxelles ont agi de la sorte." Ce qui ne veut pas dire que d'autres efforts soient superflus, en termes d'harmonisation notamment.

Elles tentent de revitaliser le commerce (mitigé)

La situation des commerces dans les centres urbains est tragique. Le nombre de cellules vides n'a jamais été aussi élevé : 21.000 sur 209.000 emplacements dans le pays en 2017, selon Locatus. Un taux de vacance de 10 % ! La concurrence des "retail parks" en périphérie y est pour beaucoup. Elle s'est amplifiée après la "loi Ikea" de 2004 et la directive Bolkestein de 2006. La responsabilité des communes est engagée puisque, pendant longtemps, elles ont eu la décision finale sur ces implantations. Elles ont cru y gagner en termes d'emplois et de rayonnement.

Depuis 2015, la Région wallonne a récupéré ce pouvoir décisionnel sur les projets de plus de 2.500 m². Et celle-ci envisage aujourd'hui un moratoire. "Nous sommes à un tournant, diagnostique Guénaël Devillet, docteur en géographie et directeur du centre d'études Segefa (ULiège). Les milieux politiques ont pris conscience que ces complexes en périphérie n'apportent, en fait, rien à la collectivité. La Région va désormais gérer cette matière avec une vision d'ensemble. Quant aux communes, certaines adoptent maintenant une attitude plus réfléchie. Elles se dotent, par exemple, de schémas communaux de développement commercial (SCDC). Enfin, un retour des habitants en ville se confirme."

Sur le terrain, les communes tentent de réparer les erreurs du passé : elles rénovent des quartiers, établissent des piétonniers, constituent des asbl de support du commerce (les Cellules de gestion centre-ville)... Avec des succès mitigés.

Charleroi, Verviers, Tournai, Arlon, La Louvière… Bien des communes souffrent de la désertification des commerces en leur centre.
© Jean-Luc Flémal/Belpress.com

Échevin de l'économie... et commerçant

Malik Ben Achour (PS).

Malik Ben Achour (PS) est l'échevin des affaires économiques de Verviers. Depuis plusieurs années, l'ancienne Cité lainière fait face à de sérieux défis : commerces en difficulté, paupérisation du centre, population immigrée attirée par les bas loyers, attractivité qui bat de l'aile...

Dans ce contexte économique, quelle est la marge de manœuvre d'un municipaliste ? "Notre pouvoir réside surtout dans notre créativité, affirme-t-il. C'est-à-dire dans notre capacité à inventer des mesures qui soient nouvelles, originales. À Verviers, notre priorité, c'est de redynamiser le commerce dans l'hypercentre. Pour ce faire, nous avons, par exemple, mis en place des primes Créashop à la réinstallation de magasins ; distribué des chèques commerces ; tourné des capsules vidéo pour faire connaître des boutiques, etc."

Agir sur les infrastructures est une autre faculté. "Dans notre cas, nous allons embellir tout le centre-ville grâce à des fonds européens Feder. Il s'agit du plan "Verviers, ville conviviale". Nous comptons aussi toujours sur le projet de complexe commercial en bord de Vesdre, porté par City Mall." Ce dernier a été recalé par l'administration wallonne au début de l'été, mais la Ville a introduit un recours auprès des ministres concernés.

"Au final, notre stratégie vise à travailler sur l'offre : donner l'envie aux gens de revenir en ville. Selon nous, c'est la seule façon de régénérer la demande. Une renaissance du commerce passe par une renaissance de la ville et vice versa. Les deux sont intimement liés." En tout cas, le mandataire y croit. Il a ainsi ouvert son propre commerce en mars dernier : un magasin de baskets de mode. "C'est une manière de joindre l'acte à la parole, de montrer qu'on est cohérent par rapport à son discours."

Les requêtes de l'UCM

. Rendre la fiscalité locale plus supportable : harmoniser les taxes (notamment à Bruxelles), alléger le fardeau pour les commerces des centres-villes et pour les marchés hebdomadaires, publier les règlements sur le web, instaurer un système de paiement globalisé...

. Accélérer les efforts pour des "villes intelligentes" ("smart cities") : dématérialiser les procédures administratives, poursuivre le déploiement du wifi, développer les espaces numériques, installer des capteurs de circulation, de parking, d'éclairage...

. Améliorer l'accès des PME aux marchés publics : systématiser les appels d'offres pour des petits montants (moins de 135.000 euros), raccourcir les délais de paiement à 30 jours, simplifier les cahiers de charges...

. Coordonner les différents services d'aide économique : mettre en place un échevin des indépendants et PME, instaurer un guichet unique de soutien, fusionner éventuellement certains services, donner plus de moyens aux associations de commerçants...

. Mieux valoriser le patrimoine dans l'optique touristique : renforcer la concertation sur le sujet, créer des sites web spécifiques, mettre en valeur les produits locaux, signaler les attractions mais aussi les commerces et l'horeca...

. Mettre suffisamment d'espaces à disposition des PME : rédiger un plan de développement des zones économiques, oser le retour en ville d'entreprises à faibles nuisances...

. Investir dans l'accessibilité des centres-villes : assurer un équilibre entre tous les modes de déplacement, rendre moins cher le stationnement en centre-ville, "jouer" avec les parkings de dissuasion et les transports en commun, éviter les zones piétonnes trop hermétiques...

. Arrêter les implantations commerciales en périphérie : décréter un moratoire sur toute nouvelle création ou extension de complexe commercial, lutter contre les cellules vides en centre-ville, dialoguer avec les commerçants qui portent une demande individuelle...

. Consulter les commerçants lors des travaux de voirie : prévenir deux mois avant le début des travaux, garantir un minimum d'accès, suspendre les taxes locales durant les chantiers, prévoir des indemnisations, favoriser les délais courts...

. Faciliter les échanges administratifs avec les entreprises : éviter de faire perdre du temps aux PME, augmenter les services en ligne, élargir les horaires des guichets...

. Valoriser les artisans reconnus par l'État fédéral : intégrer ces artisans dans les événements locaux (marchés de Noël, brocantes, festivals...), organiser des marchés artisanaux spécifiques...

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Améliorer la mobilité est une des demandes de l'UCM aux communes.
© Jean-Luc Flémal/Belpress.com

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