Fédération – Avocats.be « Inscrire l’avocat dans son siècle et le SORTIR DU TRIBUNAL »
Nouveau président d’Avocats.be, soit l’institution qui regroupe les barreaux francophones et germanophone, le Liégeois Stéphane Gothot entend « moderniser et renforcer » la profession. Comment ? Par les « marcs » notamment.
Une photo de couple en deux pièces. Une scie qui a manifestement les dents qui chauffent. Une ligne rouge. D’un côté, madame, de l’autre monsieur. Au milieu, un tiroir. Enfin, bientôt deux morceaux d’un tiroir tant ce funeste destin, ce qu’il reste du meuble ne va pas y couper. Même constat pour le ballon de basket, l’horloge ou l’ordinateur… Une traduction assez tranchante de la séparation, tout court et des biens. De moitié à chacun sa moitié, en somme. Jusqu’au chien de l’ex-couple pris d’un doute certain entremêlé de sueurs froides au vu de la lame en action… Voici le pitch de la vidéo franchement bien foutue lançant la nouvelle campagne de communication d’Avocats.be. Une dénomination sous laquelle se présente l’Ordre des barreaux francophones et germanophone, soit 8.300 avocats entre le Luxembourg et Bruxelles, en passant par Eupen et le Hainaut. Son but ? Pour synthétiser, expliquer au grand public ce qu’est et fait un avocat. Cette première vidéo est par exemple consacrée aux « marcs ». Rien à voir avec Karl - c’était juste pour la vanne…-, les « marcs », ce sont les modes alternatifs de règlement des conflits. La médiation, la conciliation, l’arbitrage ou le droit collaboratif, par exemple. La séquence susmentionnée se termine d’ailleurs par le couple qui recolle les morceaux, au propre et le quadrupède canin en une seule pièce, dans les bras d’un conseil qui accompagne la démarche de conciliation au papier collant.
« Moderniser, dépoussiérer, faire évoluer l’avocat avec son temps », c’est justement l’une des priorités du nouveau président, le neuvième, d’Avocats.be, Stéphane Gothot. « C’est un métier qui a besoin de s’inscrire dans son siècle, de muer en étant plus uniquement l’avocat plaidant, celui des contentieux mais aussi celui des modes alternatifs de règlement des conflits pour sortir les litiges des tribunaux et celui du conseil 'hors litige', pour l’éviter plus tard », expose le Liégeois, dans la profession qu’il connaît sur le bout de la toge puisqu’il la porte depuis plus de quarante ans. « Les ‘marcs’ sont un règlement du litige qui est beaucoup moins traumatisant. Dans la procédure judiciaire d’un contentieux, il y a un perdant et gagnant. Voire deux perdants car le gagnant n’a pas tout ce qu’il voulait et le perdant espérait échapper à tout. Avec les 'marcs', il y a toujours des procédures qui aboutissent à un résultat obtenu au terme d’une négociation. Dans un divorce par exemple, quand on parle de l’éducation et de la garde des enfants, c’est toujours mieux d’avoir un accord que de se voir imposer quelque chose. Dans un litige de voisinage, étant entendu qu’on va théoriquement rester voisins par la suite, il vaut mieux trouver un accord sur le mur mitoyen à abattre ou le chien qui aboie. C’est une méthode douce qui propose des solutions mieux acceptées car la solution a été construite ensemble. Dans ce cadre, l’avocat peut jouer deux rôles : celui du médiateur, qui suscite les réflexions et le rapprochement des parties ; mais il peut aussi être un conseil en médiation de l’une ou l’autre partie. C’est finalement proche de son rôle devant les tribunaux mais l’état d’esprit est différent, plus constructif que de plaider que l’autre est le grand méchant, si je puis dire. »
« Les séries américaines nous portent un grand préjudice »
Pour la majorité de la population, le métier d’avocat reste, globalement, associé au tribun en habit de lumière qui use de circonlocutions savantes pour captiver les jurés au coeur du tribunal. Et pourquoi pas, selon les circonstances, sortir l’une ou l’autre carte maîtresse de sa manche pour renverser la tendance. Bref… la version hollywoodienne du métier, qui n’a pourtant strictement rien à voir avec la réalité en Belgique. « Les séries américaines nous portent un grand préjudice », reprend Stéphane Gothot, spécialisé en droit du travail et médiation de dettes. « On ne parle pas du même droit, pas de la même procédure. L’avocat y est dépeint à l’écran tel un enquêteur, or en Belgique, l’enquête est réalisée par le parquet ou le juge d’instruction. On peut demander des devoirs d’instruction mais on ne peut que les demander, par exemple. »
Une autre association en découle, celle d’un jargon imbitable pour les non-initiés. Comme si le monde juridique parlait parfois une autre langue. Un clou sur lequel Maître Gothot, qui n’est du reste « pas attaché à la particule Maître », tape à en fendre le bois. « Oui, on doit faire, avec les juges et les huissiers de justice notamment, mais aussi les notaires, un effort important de langage. J'ai réalisé beaucoup de médiations de dettes, quand je dresse mon mail à un client puis le relis, je me dis vraiment qu’il ne va rien comprendre. Du coup, je le réécris en français courant. C’est la même réalité pour toute la famille judiciaire. Je ne sais pas si vous avez déjà reçu une citation d’un huissier ? Non ? Ce n’est pas plus mal cela étant, mais c’est limite incompréhensible. Les ‘attendu que’, par exemple. Ou l’usage du ‘demandeur’ et du ‘défendeur’ pour désigner les personnes impliquées. Madame Michu, qui lit le document, elle se demande qui est qui. Donc, moi j’écris Madame Michu et Monsieur Durant. Et que dire des citations en latin ! »
En ressort une volonté de rendre le fonctionnement de la justice plus efficace. Par les ‘marcs’, par l’usage d’un langage plus accessible, mais aussi plus globalement. Il y a un tel retard qu’on en vient à un déni de justice, pose Stéphane Gothot. Un litige fiscal à la cour d’appel de Bruxelles nous amène à fin… 2030. Vous m’avez bien entendu. Dans la même idée, à quoi cela rime-t-il de régler un problème de droit de la famille après un an ? Ou un litige entre voisins après cinq ans ? La justice a un objectif de pacification des relations sociales mais avec de tels délais, elle ne joue à mon sens pas ce rôle pacificateur. Et, pour aller plus vite, pour négocier autrement, on en revient, notamment, aux modes alternatifs…