Taxi Mouscron
Des taxis au service des citoyens
23/01/24
C'est une expérience particulière de réaliser une interview sur le siège passager d'une voiture. Cela l'est encore plus lorsque cette voiture est un taxi qui parcourt les rues mouscronnoises pour récupérer un client à un arrêt de bus, en déposer un autre devant un magasin, ou en accompagner un troisième à la gare. Ce quotidien, c'est celui de Steve Hayart, le gérant de l'entreprise Taxi Mouscron, à la frontière française. À bord de ses quatre véhicules et avec ses huit employés, il aide au quotidien de nombreux habitants qui n'ont pas de voiture pour se déplacer. Ses clients, Steve les connaît (presque) tous. Il les appelle par leur prénom quand ils rentrent dans son véhicule. Il les tutoie et se souvient souvent de leur adresse ou de leurs destinations habituelles. "C'est ce que je préfère dans mon métier. Être au contact avec la clientèle, dépanner les gens, me sentir utile", explique d'emblée Steve Hayart. Il n'était pourtant pas acquis que Steve se retrouve un jour à la tête d'une société de taxis. Même si son père avait sa propre entreprise dans le secteur, il n'a pas toujours voulu marcher dans les pas de ce dernier. "C'est un univers que je connais depuis ma plus tendre enfance, mais cela ne me passionnait pas initialement", se souvient-il. Et pour cause, Steve souhaitait être informaticien. Mais les aléas de la vie en ont décidé autrement. "Un jour, j'ai tout arrêté pour faire ce métier. De base, la société appartenait à mes frères sans que je ne sois dans l'affaire. Puis, ils m'ont demandé de venir travailler avec eux. C'est comme ça que je les ai rejoints. Aujourd'hui, ça fait 17 ans que je pratique ce job. J'ai fini par reprendre la boîte en juillet 2023 car mes frères n'avaient plus envie de poursuivre dans le secteur".
Des déplacements très courts
C'est que les journées - et les nuits - d'un chauffeur de taxi peuvent être particulièrement longues. Steve roule ainsi entre 200 et 300 kilomètres par jour en s'occupant d'environ cent clients. Un résultat assez impressionnant quand on sait que la plupart des courses effectuées ne sont que de quelques kilomètres. Même si des demandes plus importantes, pour se rendre aux aéroports notamment, arrivent parfois sur la table de l'entreprise. "Notre clientèle est vraiment diverse. Cela peut aller de la femme de ménage à l'homme d'affaires. C'est très varié. On travaille beaucoup dans l'urgence avec des gens qui nous appellent en dernière minute. Sans nous, beaucoup de personnes ne se déplaceraient simplement pas". Il existe pourtant d'autres services à Mouscron pour aider la population à circuler. Mais ces aides n'acceptent pas les sollicitations tardives. Ce qui fait toute la différence.
Parmi ces gens pressés qu'il a pris un jour dans son taxi : un ancien Premier ministre, passablement énervé ce jour-là... Mais voilà que le téléphone sonne et sort Steve de ses pensées. Après avoir déposé Robert dans son supermarché, il faudra récupérer la cliente suivante à un arrêt de bus pour la ramener, elle et ses courses, à son domicile. L'occasion pour lui de revenir sur ce qui a permis à cette entreprise familiale de perdurer durant toutes ces années. Et cela tient en deux idées : l'expérience et le service client. "Le service que l'on donne au quotidien, il n'y a pas grand monde qui le ferait. Mes clients, je les connais tous. Je prends mon temps avec eux. Je les attends à l’occasion quand ils réalisent leurs courses. C'est devenu une sorte de petite famille". Ce qui peut avoir des bons et de moins bons côtés. "Ils nous racontent leur vie sans qu'on le demande. On joue parfois le rôle d'un psychologue ou d'un assistant social, on tente de leur donner le meilleur conseil… Celui qui fait notre métier et qui n'aime pas le contact, ça ne sert à rien. On rentre vraiment dans l'intimité des gens. On connaît tout d'eux : leurs problèmes, leurs soucis de santé, leurs bonnes et moins bonnes facettes. On les voit véritablement dans tous leurs états".
Quand il ne répond pas à une interview, c'est Steve qui coordonne les conducteurs de ses autres véhicules pour décider qui va chercher quel client. C'est que chaque kilomètre compte. Tant du point de vue du passager, qui souhaite être pris en charge rapidement, que de celui de la société qui désire rouler le moins possible à vide. "Ce n'est pas toujours évident car la ville de Mouscron est bien étendue. Cela peut être un véritable casse-tête. Heureusement, je connais la ville comme ma poche. Même s'il y a encore certaines rues, dans les nouveaux quartiers, que je ne connais pas. Mais, de tête, je connais pas mal de rues". Et voilà qu'il est déjà l'heure de récupérer Sophie. Une fois ses courses mises dans le coffre, il est temps de la redéposer chez elle. Le sujet de la conversation ? Un bac de bières qui a disparu. "Ça m'énerve, c'est 27€ dans le cul", raconte-t-elle au cours du trajet qui aura duré moins d'une minute. "C'est comme je l'expliquais, de l'aide à la personne, et ce pour tous les cas de figure", note une nouvelle fois Steve Hayart.
Du personnel difficile à fidéliser
Au quotidien, les taxis peuvent rouler 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Des horaires complexes qui expliquent en partie la difficulté de Taxi Mouscron à garder son personnel sur le long terme. "Certains aiment vraiment ce qu'ils font. Mais beaucoup partent après quelques mois. Certains car les plannings ne correspondent plus à leur vie de famille. Un père seul aura par exemple du mal à assumer ses enfants et son métier en même temps. D'après mon expérience, un salarié qui n'a pas la passion ne reste pas plus de six ou sept mois. Quand les gens demandent d'arrêter, je ne veux pas les bloquer. Mais ce n'est pas évident de garder du personnel dans le secteur. Le métier est très séduisant sur le papier mais l'est beaucoup moins en pratique". Et quand un membre du personnel quitte le navire, il est parfois très difficile de le remplacer. En plus de la pénurie sur le marché, l'entreprise doit réclamer au candidat un certificat de bonne vie et mœurs vierge ainsi qu'un certificat de capacité.
Une des solutions pour lutter contre cette difficulté de recrutement serait d'avoir recours aux flexi-jobs. C'est en tout cas l'avis du Groupement national des entreprises de taxis, qui déplore que les taxis ne fassent pas partie des nouveaux secteurs concernés par l'élargissement de cette mesure, contrairement à celui des autocars. "Le flexi-job reste un deuxième travail pour le salarié", nuance le dirigeant. "Cela risque d'être compliqué d'allier nos horaires, qui peuvent atteindre dix heures par jour, avec un autre travail. Personnellement, j'aimerais une flexibilité plus grande avec mes employés pour répondre plus facilement aux besoins de mes clients". Même si, et Steve Hayart en est fier, ses collaborateurs font déjà un gros travail. "Nos chauffeurs font preuve d'une solidarité et d'une adaptabilité remarquables, se remplaçant mutuellement en cas d'imprévus. Je peux compter presque systématiquement sur tous les membres de notre équipe pour faire face ensemble aux diverses situations, ce qui témoigne de leur engagement et de leur professionnalisme".
Au niveau des tarifs, comptez entre huit et dix euros pour un trajet moyen. "Les tarifs sont réglementés par la ville. On en reçoit un quand on fait une démarche afin d'obtenir une licence. On est obligé de l'afficher dans nos véhicules et on ne peut pas le changer. Si on désire tout de même le modifier, on peut demander à la ville de l'augmenter ou de le diminuer. Personnellement, je ne l'ai majoré qu'une seule fois au moment de l'inflation du carburant. Je n'ai pas eu le choix car elle était beaucoup trop importante. Et je ne parle pas de tous les frais d'entretien qui ont aussi augmenté".
Des emplacements réservés occupés
Être chauffeur de taxi à Bruxelles ou à Mouscron, ce n'est pas pareil. Comme le rappelle Steve Hayart, la ville hennuyère est un "grand village". Étendu, certes, mais qui n'a rien à voir avec une ville comme Liège ou Bruxelles. Ce qui n'empêche pas la circulation d'être compliquée à Mouscron, d'autant plus que la ville s'est lancée dans plusieurs travaux. Notamment près de la gare, où se trouve un des deux emplacements destinés à la société (l'autre étant situé Grand-Place, également en travaux il y a quelques années). Lors de notre rencontre, un de ces deux lieux de stationnement était occupé par un véhicule privé. L'autre, lui, était quasiment inaccessible à cause d'une voiture mal garée à proximité. "On doit régulièrement faire enlever des voitures. On n'a pas le choix, sinon les gens ne nous voient pas et ce sont des clients perdus. On n'a pas de publicité disant aux gens qu'ils peuvent nous appeler. Cette visibilité, c'est notre publicité au quotidien. À côté de ça, on essaye de faire parler de nous dans les petits journaux gratuits – quand ils existent encore - ou sur internet. C'est d'ailleurs dommage que cette presse gratuite disparaisse car c'était un excellent moyen de toucher un public isolé qui a du mal à se déplacer".
Une électrification compliquée
La question de l'électrification de ses véhicules a évidemment été intégrée par Steve Hayart. Et alors que l'on se dirige dans les prochaines années vers le tout électrique, ce système ne le convainc, pas pour des raisons pratiques. "Cela va être compliqué. Déjà, il n'y a pas de bornes de recharge ici. On pourrait certes en installer dans nos entrepôts. Mais, pendant que les voitures rechargent, elles ne sont pas sur la route. Ce qui nous fait perdre de l'argent et de la visibilité. Même si la recharge ne dure qu'une demi-heure, car il y a des moments où tout le monde doit être sur le pont, encore plus s'il y a beaucoup de circulation".
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