La Moutarderie est un des derniers producteurs belges de moutarde. Depuis sa création en 1953, la société familiale a su se diversifier et innover pour répondre aux enjeux liés à son époque.
Clément Dormal
Maria et Franz. Elvira et Philippe. Raphaël, Rachel et Laurent. Sept prénoms, une seule entreprise : la Moutarderie, située à Raeren, à moins de cinq kilomètres de l'Allemagne. L'histoire de cette société familiale commence en 1953 avec Maria et Franz Schumacher. Comme son nom l'indique, la boîte se spécialise dans la moutarde, vendue essentiellement dans la région frontalière (Pays-Bas, Allemagne, Belgique). Ce condiment présente l'avantage d’une production peu coûteuse. Il ne nécessite par ailleurs pas beaucoup d'espace. Deux éléments qui poussent le couple à se lancer dans l'aventure.
Très vite, les affaires fonctionnent et le petit atelier (un garage et une annexe) s'agrandit. De nouveaux produits viennent également élargir la gamme : de la mayonnaise et diverses sauces, mais aussi des plats préparés comme des vol-au-vent en conserve. "C'est à ce moment-là que nos parents ont repris la société en 1983. Ils ont boosté ce segment des sauces froides. Le temps a fait son travail et les sauces chaudes se sont développées dans les années 90.
L’établissement a ensuite continué à grandir jusqu'à ce qu'on mette notre pied dedans. Nous, on a développé la production de vinaigrettes et de recettes bio. Quand on a commencé en 2012, la boîte n'en avait aucune. On les a lancées en 2015 et, aujourd'hui, le bio représente 40 % de notre activité", raconte Raphaël Renson, qui a donc repris la Moutarderie avec deux de ses trois frères et sœurs. Ce côté familial, "une véritable fierté qui est l'ADN de l'entreprise", Raphaël tente de le transmettre à tous les niveaux. Que ce soit auprès de son personnel, des fournisseurs ou des clients. "On essaye de trouver des clients et des fournisseurs qui ont le même langage que nous. On a aussi des liens très étroits avec nos opérateurs et un circuit de communication très court. Dernièrement, on a par exemple mis sur pied un événement pendant lequel nos ouvriers pouvaient venir avec cinq proches. Cela leur permettait de mieux comprendre comment fonctionne la société où ils passent un tiers de leur temps…", détaille le dirigeant. À l'heure actuelle, la fabrication de moutarde ne représente plus que 4 % de l'entreprise. Il a d'ailleurs été question d'arrêter de la produire définitivement à cause de marges minimes et d'une baisse du chiffre d'affaires par rapport au reste de l'activité. La tradition familiale aura finalement pesé lourd dans la balance pour la sauver. Le produit peut aussi compter sur un second avantage de poids : sa polyvalence. "C'est un élément hyper stratégique, sachant qu'on l'utilise nous-mêmes dans nos recettes, qu'on parle de mayonnaises, de sauces ou de vinaigrettes.
Cela nous permet de ne pas être dépendant d'autres fournisseurs. Et puis, en Belgique, il ne reste plus beaucoup de moutarderies. On doit encore être cinq ou dix, dont seulement deux/trois en Wallonie". On pourrait croire que tous les producteurs de sauces belges, et ils sont nombreux, opteraient aussi pour la réalisation de leur propre moutarde. Mais ce n'est pas le cas. Outre les ingrédients (graines de moutarde, eau, sel, vinaigre, épices), il faut un équipement spécifique notamment composé d'un broyeur pour casser la graine de moutarde et d'un moulin pour arriver à un produit fini. "Ce n'est pas aussi facile à faire qu'on le pense", résume Raphaël Renson.
Le retour des consignes
Quant aux matières premières, la Moutarderie essaye de jouer un maximum la carte du local. Même si ce n'est pas possible totalement. Ne serait-ce que pour se procurer de l'huile de colza, un élément essentiel pour de nombreuses recettes. "On en utilise plusieurs centaines de tonnes par an. Mais on n'a pas, aujourd'hui en Belgique, la capacité de s'approvisionner à 100% localement", explique Raphaël Renson. Les trois frères et sœurs travaillent cependant sur une nouvelle gamme qui serait entièrement locale. "On a par exemple une tartinade mangue curry. C'est impossible de la produire localement.
Donc, si on veut valoriser cet aspect-là, on doit imaginer une nouvelle gamme bien spécifique qui n'existe pas encore".
Cet intérêt pour le bio et l'écologie est arrivé avec la dernière génération à la tête de l'entreprise. Engagée sur la voie du développement durable, la Moutarderie se fixe alors des objectifs en termes d’émissions de CO2, de ressources locales, de circuits courts... Un processus qui a déjà commencé avec la création d'une fresque sur le climat pendant les heures de travail, la volonté d'obtenir la certification B Corp (exigences sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence) d'ici 2025, mais surtout la mise en place d'un système de consignes pour certains de ses bocaux issus de la marque "Maria et Franz", prénoms des grands-parents des dirigeants actuels, adeptes des contenants réutilisables à leur époque.
Le projet a germé à la suite d'une demande d'un client allemand pour de tels récipients.
"Aujourd'hui, on achète des bocaux dans des verreries en dehors de la Belgique car il n'y a pas de producteur chez nous. Ce n'est donc pas top pour le tissu économique belge de faire l’acquisition de verre neuf. Pour le moment, on se procure les bocaux, on les reçoit sur des palettes, on les remplit… Puis on n'en a plus rien à faire puisque c'est le consommateur qui, théoriquement, va mettre son bocal dans la bulle à verre. Ce qui est déjà très bien. Cette filière recyclage est plutôt bonne mais elle reste assez émettrice en CO2", commente Raphaël Renson.
Il donne l'exemple d'une étude de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), en France, selon laquelle la réutilisation des bouteilles de vin permettrait d'éviter jusqu'à 80 % des émissions de CO2 liées au verre.
Après avoir fourni ce client, la Moutarderie a donc décidé de lancer une gamme de produits consignés sur le marché belge. Et elle n'est pas isolée dans ce projet. Elle s'est en effet associée avec d'autres entrepreneurs de la région (pâtes à tartiner, confitures, olives, maïs…) pour créer une seule marque qui recourt à des récipients consignés. En pratique, les clients sont invités à rapporter leurs bocaux dans les magasins, majoritairement bio, qui commercialisent les aliments de la marque "Maria et Franz". Les bocaux vides ainsi récoltés sont ensuite récupérés au moment de la livraison de nouvelles marchandises. Ils sont finalement déposés à Herstal, dans la société de lavage Bring Back, pour être nettoyés avant d'être réutilisés ultérieurement. "L'aspect consigne est très identifiable pour le consommateur. C'était important de développer toute cette logistique car si on devait récupérer les bocaux nous-mêmes chez les clients, cela aurait été un véritable non-sens d'un point de vue écologique", évalue le dirigeant. Pour avoir un impact encore plus important, la Moutarderie travaille ses recettes pour minimiser, puis neutraliser son empreinte carbone.
La Moutarderie propose de nombreuses recettes.
Une transmission bien préparée
Qui dit troisième génération à la tête de l'entreprise dit aussi transmission. Et à écouter Raphaël Renson, celle-ci s'est plutôt bien passée.
"Le processus a duré très longtemps. Mais l'acte en lui-même a été très rapide donc je suis satisfait. Cela a été effectué au bon moment. On entend parfois certaines sociétés où c'est vraiment très lent, où les parents ont du mal à lâcher prise… Parce que la transmission n'est pas seulement le fait de racheter des parts, même si c'est un événement important. C'est aussi la transmission du savoir-faire, obtenir la confiance des parents et de la légitimité vis-à-vis du personnel… Aujourd'hui, on n’a aucun problème à être vus comme les nouveaux patrons", contextualise-t-il. Preuve que cette opération se prépare bien à l'avance, il a fallu compter dix années entre le jour où Raphaël a rejoint la société et celui où il l'a reprise. Il y a occupé plusieurs postes afin d’appréhender les spécificités de la Moutarderie et faire ses preuves avant d'envisager de l'acquérir avec ses frères et sœurs. Le processus réel de valorisation et de discussion avec des réviseurs a, lui, duré approximativement quatre ans. "Le côté financier est le plus stressant. On ne nous a évidemment pas offert la Moutarderie. On était dans un environnement économique instable, avec le Covid notamment. Et c'était angoissant vu qu'on est confrontés à des emprunts. À l'inverse, j'ai été agréablement surpris par la facilité avec laquelle on a monté le plan financier", note celui qui a repris le flambeau en 2021. "Nos parents étaient heureusement très ouverts et fair-play. Mais nous aussi. Il faut trouver le juste milieu. C'est un bien qui vaut quelque chose et qui est une sécurité dans le temps pour eux. Et s'en défaire, c'est lâcher cette sécurité". Le gérant pointe également l'importance de bien s'entourer pour que le processus se passe le plus naturellement possible. Pour cela, il a pu compter sur les conseils de son comptable et d'une administratrice externe. "Si on avait seulement été en famille, cela aurait certainement duré plus longtemps. Le fait de bien s'entourer permet parfois de simplifier la communication", affirme-t-il.
Des marques bien distinctes
Les 400 produits vendus par la Moutarderie se déclinent désormais en six marques.
Ils sont majoritairement disponibles en Belgique (60 %), en France (20 %) et en Allemagne (10 %). D'autres marchés plus limités se trouvent au Maroc ou au Danemark par exemple. Ce qui convient à la société, qui ne souhaite pas forcément s’étendre davantage. "Dans l'optique des circuits courts et du développement durable, je pense qu'on sera quand même contraint de rester sur un marché relativement local", estime Raphaël Renson. Sa situation géographique lui permet cependant de jouer sur les spécificités des différents marchés. Là où les tartinades sont utilisées sur du pain en Allemagne, les Belges les consomment plutôt à l'apéro.
Pour se démarquer de la concurrence, la Moutarderie compte sur un packaging alléchant, une identité forte et belge, ainsi qu'une gamme large. Les tartinades font partie des produits qui marchent le mieux. Tout comme les sauces et les vinaigrettes. "On a un bel équilibre entre toutes nos catégories.
Après, on a des produits phares comme la tartinade mangue-curry, la vinaigrette ciboulette ou la mayonnaise aux truffes".
"La vache qui regarde passer les trains" se compose de tartinades, de sauces, de vinaigrettes… La plupart des produits sont bio, végétariens, et sans conservateurs. Derrière cette marque se cache un projet de respect de l’environnement qui se veut aussi attentif à l’Homme et à la société. Tous les produits sont fabriqués par des sociétés familiales de petite taille désireuses de perpétuer leur savoir-faire de génération en génération.
"Maria et Franz", du nom des fondateurs de l'entreprise, est la gamme végétarienne et zéro déchet qui tente de relancer le système de consigne en Belgique.
"La Délicieuse" est spécialisée dans les tartinades bio, qui peuvent très bien être utilisées en dips pour l'apéro, et les sauces. Les emballages sont écoconçus et les fournisseurs locaux favorisés.
"The Veggie Family" propose, comme son nom l'indique, des tartinades, plats préparés et crackers bio et végétaliens. Les plats offrent une variété de recettes inspirées des cuisines du monde entier alors que les crackers sont utilisés comme collations saines.
"Jefke The Belgian Chef". Mayonnaises, sauces, moutardes et vinaigrettes… Les produits de la collection Jefke perpétuent la longue tradition des sauces belges prêtes à accompagner chaque repas.
"Filou" plonge le consommateur dans l'univers des sauces et de la… moutarde.
Retrival est une société coopérative à finalité sociale, active depuis plus de 20 ans dans les services liés à l’environnement, notamment le tri des déchets, la récupération et le réemploi. Elle est implantée à Couillet sur le vaste site dédié au tri, au recyclage et au réemploi du bassin carolo. Rencontre avec Damien Verraver, directeur de Retrival.
Dans la province de Namur, une entreprise donne une nouvelle jeunesse à une multitude de choses de prime abord vouées à la poubelle. Son nom ? La Ressourcerie Namuroise. Sa mission ? Valoriser des objets encore utiles, voire même en créer de nouveaux.