Rudi Vervoort

Ministre-président de la Région bruxelloise
30/09/19

Né en 1958 de père néerlandophone et de mère francophone, Rudi Vervoort est un vrai "zinneke". Il s'engage au Parti socialiste lors de ses études de droit mais sa carrière politique ne démarre vraiment qu'en 1998, quand il devient bourgmestre d'Evere et dans la foulée député régional.

En 2011, il est élu président de la fédération bruxelloise du PS et devient vice-président du parti. En mai 2013, un an avant les élections, Charles Picqué quitte son poste de ministre-président, qu'il a occupé pendant dix-neuf ans. Rudi Vervoort assure une succession périlleuse mais il relève le défi.

Bruxelles a besoin de PME, de mobilité et de qualité de vie

L'identité bruxelloise gagne du terrain, parce que les réalités des villes sont de plus en plus différentes de celles des campagnes. Le ministre-président en place depuis déjà plus de six ans veut relever les défis urbains en misant sur la continuité, la concertation, la patience et le réalisme.

Thierry Evens

La ville est un écosystème qui a besoin de petites entreprises.
  • - Pour votre deuxième législature comme ministre-président, les Verts ont remplacé le CDH et le CD&V dans la majorité. C'est un gros changement ?

    - Oui et non. Si vous lisez les déclarations de politique générale de 2014 et de 2019, vous verrez une continuité. Avec Céline Fremault (CDH) et Pascal Smet (SP.A) dans le précédent gouvernement, nous avions déjà entamé notre conversion vers une ville plus saine, avec des zones de basses émissions, des pistes cyclables… L'arrivée d'Écolo-Groen ne marque donc pas une rupture, mais une inflexion plus prononcée, dans le sens de la volonté exprimée par les électeurs bruxellois.

  • - Avant les élections, vous aviez souhaité une majorité la plus à gauche possible. C'est fait ?

    - La plus progressiste ! Et c'est le cas. Le PTB s'est autoexclu et il porte d'ailleurs dans son projet politique des éléments totalement irréalistes. Dès lors, s'allier avec Écolo et Défi était ce qui convenait le mieux, au PS comme à ses deux partenaires. C'était le plus évident vu le résultat des élections.

  • - Le PS a perdu 5 %, mais est resté le premier parti. C'était satisfaisant ?

    - Mon objectif était de rester en tête et c'est le cas. Cela dit, je ne peux pas être satisfait d'un recul. Ce que j'observe, c'est que tous les partis dits traditionnels ont perdu des plumes. Chacun d'entre eux doit sans doute repenser le discours qu'il porte d'ici 2024. Au PS, ce sera le chantier de celles et ceux qui conduiront le parti et la fédération bruxelloise dans les années qui viennent.

  • - Est-il correct de dire que votre gouvernement met l'accent sur le développement économique ?

    - Bien sûr. C'est une préoccupation majeure, depuis toujours, du Parti socialiste. Nous voulons soutenir la croissance, avec la double préoccupation que cette croissance soit durable et que les richesses produites soient équitablement réparties. C'est ce triple objectif que partagent et poursuivent les trois partis de la coalition. Et nous voulons travailler avec les forces vives bruxelloises, notamment les patrons et les syndicats. C'est une constante chez moi. Dès 2013, quand j'ai succédé à Charles Picqué pour la fin de la législature, j'ai organisé un sommet social pour définir une stratégie 20-25. Nous avons une prospective et une ligne rouge que nous allons prolonger jusqu'en 2030. La continuité en politique, ça a du bon !

  • - Avec une priorité indépendants et PME ?

    - Évidemment. Bruxelles est le poumon économique du pays mais ses habitants n'en bénéficient pas suffisamment. C'est par les petites entreprises que nous pouvons corriger ça car elles fournissent, elles, des emplois prioritairement aux Bruxellois. D'ailleurs, quand nous parlons d'encourager la transition vers une économie durable, c'est avec la conviction que l'activité créée va bénéficier à de multiples PME qui vont se spécialiser dans ce domaine.

  • - Vous pensez aux investissements dans le logement ?

    - Oui, mais pas que… La digitalisation et l'intelligence artificielle ouvrent des métiers aux entrepreneurs. Et la ville elle-même – c'est un phénomène universel – est un écosystème qui demande de la proximité, des circuits courts ; qui crée des besoins auxquels les petites entreprises sont les mieux armées pour répondre.

  • - Le chômage diminue depuis plusieurs années à Bruxelles…

    - … et ça va continuer !

  • - Du coup, des pénuries de main-d'œuvre apparaissent !

    - Il est clair que nous sommes face à de nouveaux défis. Tous les acteurs – Actiris, Bruxelles Formation, etc. – sont mobilisés pour y faire face. Nous avons, je l'ai dit, une vision prospective jusqu'à 2030. Nous allons, avec les patrons, orienter nos programmes pour répondre aux besoins.

  • - Créer de l'activité économique en ville pose le problème de la mobilité…

    - Il est posé depuis longtemps ! Hors allocations familiales, la mobilité représente 30 % de notre budget. Nous allons encore investir dans un plan bus, pour élargir l'offre de la Stib et améliorer le confort. Nous allons compléter le réseau du métro. Nous faisons beaucoup d'efforts pour encourager le transfert modal et pour les Bruxellois, les résultats sont là ! Ils sont de plus en plus nombreux à abandonner la voiture. L'usage du vélo a doublé en cinq ans. Par contre, tout le travail reste à faire pour les navetteurs. Avec 10 % de véhicules rentrants en moins, le trafic serait déjà bien désengorgé.

    Je ne crois plus au RER

  • - Le RER est la solution ?

    - Je ne me fais pas d'illusions. L'offre se développe, oui, mais la volonté n'y est pas, en particulier en Flandre, pour réaliser les investissements nécessaires et notamment les parkings de dissuasion. Le RER ne sera pas terminé, ni à court, ni à moyen terme. Quant au long terme, certains se posent à juste titre des questions sur ce que sera son déficit d'exploitation. Est-ce que ce sera encore la bonne solution dans quelques années ? Les besoins vont évoluer. Il y aura peut-être d'autres solutions, plus écologiques, de voitures propres et partagées.

  • - Vous croyez davantage à la taxe kilométrique ?

    - Pour le Bureau du plan, c'est la solution idéale et radicale. Le monde économique, l'industrie automobile sont du même avis. Alors est-ce que je suis idiot de les croire ? Ou est-ce que ce sont ceux qui n'en veulent pas qui ont une vue idéologique à très court terme ?

  • - Peut-on l'instaurer sans pénaliser les Bruxellois forcés de se déplacer en voiture pour leur travail ?

    - Sans aucun problème. La reconnaissance des plaques par des caméras intelligentes permet une infinité de possibilités. Vous pouvez prévoir la gratuité pour certaines personnes, ou selon les endroits, ou selon les heures. C'est beaucoup plus efficace pour gérer les flux de circulation qu'une redevance ou une vignette. Un médecin ou un infirmier pourrait ne pas payer, celui qui circule la nuit non plus. Par contre, dans le centre aux heures de pointe, le tarif serait au plus haut. Cela devrait stimuler le covoiturage. C'est possible pour beaucoup plus de personnes qu'on ne l'imagine.

  • - La déclaration de politique wallonne ne prévoit pas de taxe kilométrique. C'est une déception ?

    - Nous avons prévu une concertation avec les Régions. Nous pouvons amener le cheval à la rivière mais s'il ne veut pas boire, il ne boira pas. Et si M. Nollet (NDLR : coprésident Écolo), qui à l'inverse de moi a des certitudes, nous démontre que ce n'est pas la voie à suivre, nous ne nous acharnerons pas. Mais si c'est efficace, nous n'allons pas nous en priver. Au final, c'est la qualité de vie des Bruxellois qui est en cause et j'ai été élu aussi pour défendre les intérêts de la population qui vit ici.

  • - Vous prévoyez de gros investissements en transports et dans le logement. Vous avez le budget pour tout cela ?

    - L'OCDE (NDLR : organisation des pays développés) vient encore de pointer du doigt la politique budgétaire trop stricte de la Commission européenne. Elle est en train de tuer peu à peu notre économie. Elle agit comme le médecin de Molière : grâce à lui le patient est guéri. Mort, certes, mais guéri ! À un moment où les taux d'intérêt sont au plus bas, nous devons pouvoir faire des investissements publics porteurs de développement. Oui, prolonger le métro, ça coûte très cher. Mais si vous vous rapprochez de l'aéroport par exemple, ça peut avoir un impact positif extraordinaire.

  • - C'est aussi le cas pour le logement ?

    - Bien sûr. Si vous créez de l'activité pour isoler les bâtiments, vous réduisez à la fois la pollution et la facture énergie des particuliers. C'est un cercle vertueux qui mérite de sortir d'une trajectoire budgétaire arbitraire. Pourquoi l'Europe impose-t-elle de ne pas dépasser 3 % de déficit et pas 4 % ? Aucune étude sérieuse ne peut l'expliquer.

  • - Vous êtes donc prêt à ne pas respecter les règles européennes ?

    - Les précédents gouvernements ont déjà fait ce choix, y compris le fédéral avec son pacte d'investissements et la Flandre qui programme des travaux colossaux notamment à Anvers.

  • -Les allocations familiales, transférées aux Régions, sont une bombe budgétaire à retardement pour Bruxelles ?

    - Non. Les projections indiquent une tension pendant trois ou quatre ans, mais le financement sera suffisant.

    Les sans-abri, la face sombre de la société

  • - Vous êtes garant de l'image de Bruxelles. Le commerce en est un élément fort ?

    - Bien sûr. D'abord, j'ai le sentiment que, malgré les centres commerciaux et l'arrivée de grandes chaînes internationales, il n'y a jamais eu autant de magasins de proximité à l'intention des Bruxellois eux-mêmes. C'est bien qu'ils n'aient plus besoin de leur voiture pour faire leurs achats. L'autre aspect est le commerce à l'intention des touristes. Il est également très vivant et génère une plus-value importante. Je pense au Pentagone, à Louise ou à la rue Neuve… On a annoncé plusieurs fois la mort de la rue Neuve et elle fait l'objet aujourd'hui d'investissements importants. J'imagine que les investisseurs savent ce qu'ils font.

  • - Le piétonnier du centre, créé à la hussarde par la Ville, finira par être positif ?

    - J'en suis convaincu. Il suffit de suivre les mouvements spéculatifs autour de l'hypercentre pour se rendre compte que ce sera "the place to be".

  • - Neo se réalisera ?

    - C'est notre volonté. Ce qui empoisonne le dossier, ce sont les tensions avec la Flandre et le concurrent UpLace. Ils multiplient les recours devant une chambre flamande du Conseil d'État qui fait preuve – c'est un secret de Polichinelle – d'une créativité sans limite pour nous mettre des bâtons dans les roues.

  • - Neo va nuire gravement au commerce existant…

    - Son véritable concurrent, c'est UpLace. Eux cherchent à capter la même chalandise. Je considère que le plateau du Heysel est un lieu emblématique, avec un réserve foncière extraordinaire, qui peut et doit être mieux valorisé. Le centre commercial n'est qu'un élément à côté d'une offre culturelle, récréative, événementielle et la création de logements.

  • - Êtes-vous préoccupé par la propreté du centre-ville et de certains quartiers, la multiplication des SDF ?

    - Notre société a une face sombre. Certaines personnes peuvent se trouver exclues, sombrer corps et bien en peu de temps, même mentalement. Le sans-abrisme est souvent lié à des problèmes psychologiques. La réponse n'est donc pas simple. Il faut des prises en charge de longue durée. L'époque où l'on enfermait les gens pour vagabondage est révolue. La situation est aggravée par les migrants puisque le fédéral s'évertue à ne pas prendre cette question en charge. Theo Francken (NDLR : ex-secrétaire d'État N-VA à la Migration) se nourrissait du problème et pas de la solution. Il a déversé dans les rues des personnes pour la plupart inexpulsables. C'est terrible sur le plan humain et humanitaire. Nous ne sommes pas passifs mais c'est très compliqué.

    Évitons le retour aux urnes

  • - Bruxelles est une Région multiculturelle. La gestion paritaire entre francophones et néerlandophones est dépassée par les faits…

    - Vous avez raison : c'est une ville cosmopolite où la langue véhiculaire est le français, suivi de l'anglais. C'est aussi la capitale du pays et le respect de principes linguistiques a été le prix à payer pour la paix communautaire. Je pense qu'un jour s'imposera une réflexion sur l'organisation institutionnelle, la représentation garantie des Néerlandophones et ce genre de choses. Il y aura un nouveau modèle à construire, plus conforme à ce que veut la majorité des Bruxellois.

  • - Que veulent-ils ? Une Région spécifique ?

    - Exactement. L'identité bruxelloise est une réalité de plus en plus palpable. Nous ne sommes ni wallons, ni flamands. C'est lié à l'émergence d'un sentiment citadin. En milieu urbain, la relation avec le monde change. Il est d'ailleurs clair que Bruxelles ne vote pas comme les autres Régions.

  • - La Fédération Wallonie-Bruxelles peut donc disparaître ?

    - Je n'y suis pas favorable. Nous pouvons avoir des projets communs à défendre si la réalité urbaine de notre Région est prise en compte.

  • - La crise politique fédérale inquiète. Le PS est condamné à s'entendre avec la N-VA ?

    - J'adhère à la ligne de mon parti : nous ne sommes pas disposés à renforcer la majorité suédoise sortante, battue aux élections et qui termine en lambeaux. Notre premier choix, c'est d'éviter la N-VA puisque c'est mathématiquement possible. Si ça ne l'est pas politiquement, je ne sais pas ce qu'il peut se passer. En tout cas, nous n'irons pas au pouvoir sans le S.PA.

  • - Il faut absolument éviter un retour aux urnes ?

    - Ça, certainement ! En Flandre, le pire serait possible. Cela a été peu relevé après les élections mais le parti qui a pris la plus grosse claque, c'est la N-VA. Il a tenu un discours anxiogène en permanence, il a instrumentalisé les peurs du citoyen et il a ainsi offert un boulevard à un Vlaams Belang qui a réussi sa mutation générationnelle. L'électeur a préféré l'original à la copie, comme toujours. Faire tomber le gouvernement sur le pacte des migrations de Marrakech, c'était un très mauvais calcul. Je ne comprends pas les éditorialistes francophones qui restent admiratifs devant le sens tactique de Bart De Wever.

  • - À propos, vous avez compris le projet de la N-VA pour Bruxelles ?

    - Ils n'en ont pas. Ils ne savent pas quoi faire. D'ailleurs, je vous fais remarquer que ni la N-VA ni le Belang n'ont progressé aux élections dans la Région. C'est rassurant. Parce qu'en Flandre, s'il faut retourner voter et que le Belang est le premier parti…

  • - Il y aurait un risque pour le pays ?

    - Oui. À force de jouer avec les allumettes de la peur et du mépris des francophones "profiteurs", à force de ressasser les obsessions communautaires comme d'obliger les maraîchers à parler flamand sur les marchés, certains politiques flamands peuvent amener à une scission du pays dans laquelle tout le monde serait perdant. En matière de pension, c'est en Flandre que les dépenses vont augmenter le plus vite et ils sont de plus en plus en pénurie de main-d'œuvre. Comment vont-ils faire s'ils se referment sur eux-mêmes ?

Le discours anxiogène de la N-VA profite au Vlaams Belang.

CONTEXTE

Région de Bruxelles-capitale

Un gouvernement "évident"

La coalition PS-Écolo-Défi s'est vite imposée après les élections du 26 mai. Avec 18,7 %, les socialistes restaient maîtres du jeu. Défi perdait un peu, à 11,7 %, et Écolo était, avec les extrémistes du PTB, le seul parti gagnant à 16,2 % (+ 7,3 %). Le CDH (6,4 %) s'est retiré dans l'opposition. Les Verts sont donc entrés au gouvernement, Groen étant le premier parti flamand !

La position de Rudi Vervoort comme ministre-président n'a pas été contestée. L'homme n'est pas "flamboyant" mais c'est un chef d'équipe efficace et respecté.

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