Le nombre d'espaces de cotravail a fortement augmenté à Bruxelles et en Wallonie en 2018. Ceux-ci entrent désormais dans les habitudes. Les indépendants sont les premiers utilisateurs.
Jean-Christophe de Wasseige
L'année 2018 a été très prolifique sur le plan des espaces de coworking, ces locaux adaptés aux nouvelles façons de travailler, NWOW en langage branché ("new ways of working"). Accessibles jusqu'à parfois 24 heures sur 24, ils accueillent des entrepreneurs de toutes sortes, offrent des bureaux partagés et proposent des services comme des activités de réseautage ou des formations.
À Bruxelles, quinze nouvelles structures de ce type ont ouvert leurs portes l'an passé, selon l'agence immobilière de bureaux Cushman&Wakefield. C'est trois fois plus que les années précédentes ! La Flandre et la Wallonie ne sont pas en reste. Et l'évolution ne se limite pas aux grandes villes. Même des communes moyennes ou rurales sont touchées par la vague. Reste à voir si toutes ces initiatives trouveront leur rentabilité...
135 endroits en Belgique
Il y aurait aujourd'hui environ 135 espaces de coworking dans le pays, selon la Belgian Workspace Association (BWA), une fédération qui regroupe des acteurs de coworking mais aussi de centres d'affaires. Ces derniers sont plus anciens et plus traditionnels. Les bureaux y sont privatifs, contrairement à ceux consacrés au coworking.
"Le coworking est une tendance de fond et pourrait représenter 30 % des bureaux en 2030 au niveau mondial", estime Édouard Cambier (BWA).
"Hormis quelques pionniers, le coworking a vraiment commencé à se développer en Belgique à partir de 2010, raconte Édouard Cambier, président de la BWA et directeur de Seed Factory, un espace de 2.000 m² situé à Auderghem. Depuis lors, la croissance est exponentielle. Elle atteint maintenant les 20 % par an. Au point que l'offre a surpassé la demande. Il semble y avoir désormais davantage d'espaces que de start-up pour les occuper ! Le marché va donc devoir s'adapter. Mais cela ne change rien à la tendance de fond. Sur le plan international, les études prédisent que ces espaces de travail flexibles représenteront 30 % des parcs de bureaux en 2030."
Un modèle wallon spécifique
La Wallonie aussi a pris le train en marche. Dès 2012, un réseau a été mis sur pied sous l'impulsion de la Région. Son nom : CoWallonia. Les autorités ont ainsi sélectionné les meilleurs projets et leur ont accordé une prime à l'aménagement : entre 100.000 et 150.000 euros par projet. Dans un premier temps, huit locations, gérées par des privés, ont été reconnues. En 2018, pas moins de treize se sont rajoutées, cette fois dans les zones rurales et semi-rurales. Un peu plus de 500 personnes fréquentent de manière régulière ces 21 sites.
Ce réseau wallon présente une particularité. "Pour en faire partie, les opérateurs doivent s'engager à proposer des formations (quinze par an, NDLR) et des activités de rencontre (deux par an, NDLR), précise la coordinatrice, Lisa Lombardi. En effet, nous ne voulons pas nous limiter à une simple offre immobilière : des bureaux et des salles de réunion. Notre but, c'est de susciter des collaborations entre les personnes qui fréquentent ces espaces. De les aider à se développer en tant qu'acteurs économiques. D'où notre formule : “work, learn and connect” ; travailler, apprendre et rencontrer."
Les indépendants majoritaires
Le premier principe d'un espace de coworking, c'est sa flexibilité. On peut y passer une heure, une matinée, une journée, une semaine... Les formules d'abonnement varient. En général, pour un temps plein, les prix vont de 100 euros par mois HTVA en zone rurale à 250 euros par mois HTVA en zone urbaine. Voire plus pour les adresses de luxe dans les beaux quartiers de Bruxelles. Sinon, il est aussi possible de louer une salle de réunion, un bureau privatif ou un espace événementiel. D'autres tarifs s'appliquent alors. Dans quasi tous les endroits, une ou deux journées sont offertes à titre d'essai. Il est à noter que des "chèques coworking" existent du côté wallon.
Cette nouvelle façon de travailler séduit tout particulièrement les indépendants. Au réseau CoWallonia, ils représentent ainsi 53 % du public. À leurs côtés, on trouve des gens qui sont en train de créer leur start-up (9 %), des chefs d'entreprise (7 %) et des indépendants à titre complémentaire (4 %). En tout, cela fait donc 73 % de travailleurs relevant des classes moyennes. Le solde est constitué de salariés (18 %), de demandeurs d'emploi (7 %) et d'étudiants (2 %). Toutefois, tous ces "coworkers" se rejoignent sur un point. La motivation première de chacun à fréquenter ces espaces est la même : ne pas rester seul !
Des espaces de coworking, il y en a pour tous les goûts. Quelques sociétés en ont fait leur spécialité, en multipliant les implantations. C'est le cas de l'anglo-saxon Regus (35 emplacements en Belgique), de l'anversois Bar d'Office (13) ou du français Multiburo (6). Le puissant américain WeWork, présenté comme leader mondial, vient de débarquer à Bruxelles avec un espace de 6.500 m² et deux projets en préparation. En général, il s'agit là d'offres immobilières : il y a bien des réceptions et quelques services mais peu ou pas d'animations.
Pour cela, il faut se tourner vers des acteurs qui prévoient expressément un "community manager" faisant office de coach, d'animateur, de concierge. Comme le pionnier, Betacowork, près de l'ULB. Comme LeanSquare à Liège. Certains de ces opérateurs se sont dupliqués ailleurs, parfois avec le soutien d'investisseurs. C'est le cas, par exemple, de Silversquare (racheté par Befimmo) ou de Co-Station (qui compte BNP Paribas Fortis et Proximus à son capital). Il y en a qui se sont spécialisés. Le Phare du Kanaal à Bruxelles est ainsi un café-restaurant. The Library, dans la capitale, joue la carte du luxe. Seed Factory à Auderghem accueille les pros de la communication et des médias...
Enfin, des multinationales s'y mettent elles aussi, en transformant les rez-de-chaussée de leurs buildings en espaces ouverts à leurs employés, à leurs fournisseurs voire au grand public. Exemple : les Engie Towers à Bruxelles et Anvers. Le but est de "se créer une communauté". Plus prosaïquement, il est de rajeunir leur image et de mieux rentabiliser les mètres carrés.
"C'est un peu une abbaye de l'ère digitale"
Travailler dans un espace de coworking, ça donne quoi ? On y croise qui ? Visite d'un établissement tout récent en Wallonie : The Cog à Gembloux.
En périphérie de la Cité des Couteliers, à la lisière des champs, se déploie une ancienne usine de fabrication de tupperwares. Bien que datant de 1948, le bâtiment paraît tout neuf sous sa peinture rouge Gamay. En effet, il a été vidé, divisé en lots, réhabilité. C'est là que se loge The Cog, pour "Coworking Gembloux". L'initiative en revient à Sophie Racquez, ingénieure commerciale et de gestion, fondatrice d'une société de conseil en marketing/innovation (The Idea Monopoly) et spécialiste en entrepreneuriat. "L'idée d'ouvrir un tel établissement provient en fait de mon activité en tant que formatrice. J'étais en contact avec de multiples starters et je cherchais un lieu où pouvoir les accueillir de façon régulière. La mode du coworking est alors arrivée. C'est exactement le genre de formule qui convenait : à la fois lieu de travail, d'échange et de créativité."
Sa structure de 400 m² s'organise autour d'un long couloir au rez-de-chaussée, qui dessert une multitude de pièces. Car c'est le propre de tout site de coworking : multiplier les espaces et varier les décors. Au Cog, une première porte donne sur une salle de conférences permettant d'accueillir 40 personnes assises ou 80 debout. À même hauteur, se trouve la cuisine. Neuve et totalement équipée ! C'est là que Guillaume, consultant en informatique, fait une pause en sirotant un café. Avec d'autres collègues indépendants, il œuvre à un CRM, un logiciel de relations clients, pour une entreprise. "Nous sommes cinq sur ce projet et nous venons de lieux et d'horizons différents. Certains d'entre nous travaillent à domicile. Un espace comme celui-ci nous arrange bien. Nous pouvons ainsi nous retrouver deux ou trois fois par semaine pour nous coordonner. C'est flexible."
Un espace par fonctionnalités
En termes de flexibilité justement, sept types d'abonnement sont proposés. La formule de base consiste en cinq jours de travail par mois pour 80 euros HTVA. On obtient alors une clé pour rentrer. L'horaire est de 07:30 à 18:00. C'est la période durant laquelle les animateurs sont présents : Sophie Racquez et son assistant, David Valls Y Machinant. Dans la salle à manger attenante, Vincent, photographe, pianote sur son portable. "Je suis juste de passage. Je connais bien Sophie et j'apprécie l'ambiance de la maison. Pour moi, le coworking joue un peu le même rôle de nos jours qu'une abbaye au Moyen Âge." Soit un lieu phare qui accueille une série de personnes, possède des savoirs, suscite des vocations...
En s'enfonçant dans le corridor, des cloisons vitrées révèlent bientôt un petit lieu de rendez-vous agrémenté de plantes, d'un faux gazon au sol et de chaises en osier : la "véranda". C'est là que Sophie et David organisent des entretiens avec les starters qui souhaitent un coaching. Ce jour-là, c'est le tour d'Éric (prénom d'emprunt). Il cherche à monter une école d'art. "J'ai souscrit à quatre séances, détaille ce dernier. Cela m'aide à structurer mon projet. Ici, je me sens en confiance. Un sentiment que je n'aurais pas dans d'autres structures, comme les incubateurs gérés par les banques, par exemple !"
En face, s'ouvre une pièce destinée au coworking proprement dit : huit postes de travail alignés de part et d'autre de deux longues tables. Leur occupation varie selon les moments de la journée. Actuellement, l'établissement compte six abonnés, ce qui est peu. "The Cog est encore en phase de démarrage", se justifie la fondatrice. Des projets sont en route qui devraient drainer et fidéliser du monde, comme un club d'inventeurs qui sera lancé le 25 mai.
Aussi des bureaux privatifs
Plus loin, apparaissent des bureaux fermés. Ceux-ci peuvent être loués au mois. C'est l'option qu'a choisie une jeune entreprise, Rebelle Productions. Constituée de cinq personnes, elle développe des "serious games", jeux utilisés dans le cadre de formations ou de sensibilisations. "Le coworking nous a d'emblée séduits, témoigne François, l'un des membres. Pas tellement pour la flexibilité car, contrairement à d'autres, nous sommes ici tous les jours. Mais plus pour l'aspect pratique : les locaux sont prêts à l'emploi, bien équipés, adaptés à la taille de notre PME. C'est beaucoup plus simple de venir ici plutôt que de chercher à louer de “vrais” bureaux ou d'aménager une partie de maison."
Le dernier secteur du bâtiment réserve quelques surprises. Une salle a été aménagée pour les formations et les séances de brainstorming. Une bibliothèque rassemble deux cents livres traitant de l'entrepreneuriat au sens large. Une zone téléphonique a été créée avec une authentique cabine de 1913. Un salon permet de se détendre sur des canapés vintage. Tous ces meubles ont été chinés par la propriétaire elle-même, férue de découvertes. Enfin, un caisson d'isolation de 4 m² autorise même l'enregistrement de podcasts (messages audio) depuis un smartphone ou un laptop. Là, c'est clair : on est loin du "bureau de papa"...
Dans un bâtiment rénové à l'initiative du Bureau économique de la province (BEP), l'espace Coworking E420 a pour vocation d'attirer et maintenir les talents locaux sur le territoire de l'Entre-Sambre-et-Meuse.
Inauguré tout récemment, Coworking E420 est le cinquième espace de travail partagé de la province de Namur en milieu rural, après Coworking Fernelmont, Jem'Connecte à Jemeppe-sur-Sambre, Beauraing-Coworking et Co'Din à Dinant.
"Lorsque le BEP a lancé la dynamique territoriale Essaimage en 2015, explique Gérard Cox (président BEP expansion économique), et que le plan stratégique, établi de manière participative avec les forces vives locales, a identifié le besoin de développer l'innovation en milieu rural, en permettant aux habitants de créer leur activité au cœur même de leur région, ce bâtiment propriété du BEP, situé dans le parc d'activité économique de Mariembourg, s'est présenté comme une opportunité d'y développer le QG d'Essaimage et plus particulièrement de son animatrice territoriale, Valérie Dudart."
Le réaménagement des locaux a permis de mettre à disposition des occupants un bureau et un espace "cogitarium", le tout sur une surface de 64 m². Cependant, l'endroit est flexible en termes d'occupation.
Gageons que ce site deviendra le catalyseur et la caisse de résonance de la nouvelle dynamique économique et sociale pour l'Entre-Sambre-et Meuse.
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