Paul Magnette

Tête de liste à l'Europe, le bourgmestre carolo n'y siégera pas. Il est voué à (re)prendre la présidence du PS.
06/03/19

Universitaire brillant, spécialiste des sciences politiques et de l'Europe, Paul Magnette est appelé au Parti socialiste par Elio Di Rupo en 2007. Douze ans plus tard, il a déjà tout vécu. Il est bourgmestre de Charleroi depuis 2012. Il a été ministre fédéral (Énergie et Climat, puis Entreprises publiques) de 2007 à 2013, ministre-président wallon de 2014 à 2017. Il a même été président du PS pendant un an et demi avant les élections de 2014. Il pourrait reprendre cette fonction : à 47 ans, il est le favori pour succéder à Elio Di Rupo, dont le mandat se terminera après les élections du 26 mai.

La politique du gouvernement fédéral a été inefficace.

La priorité du PS est économique

Pas de politique sociale sans croissance et sans création d'emplois : le presque président du PS défend des réductions de charges sur le travail ciblées, notamment pour réduire le temps de travail des aînés. Il aspire à la même protection sociale pour les indépendants et les salariés.

Thierry Evens

  • - Vous ne retenez rien de positif de l'action du gouvernement fédéral depuis 2014 ?

    - C'est difficile. Le bilan n'est pas bon, en tout cas pour les PME. Les allègements fiscaux et parafiscaux ont surtout bénéficié aux grandes entreprises...

  • - C'était le gouvernement de la FEB (Fédération des entreprises de Belgique) ?

    - Bien davantage que celui de l'UCM en tout cas ! La réforme de l'impôt des sociétés, par exemple, ne fait presque rien gagner aux PME alors que les grandes sociétés ont gardé la plupart de leurs niches fiscales et en profitent à fond. Pour les indépendants, la mesure la plus significative est la suppression du délai de carence en cas de maladie de huit jours ou plus. Les quatorze jours non indemnisés, c'est fini. Cette amélioration est passée par le Parlement sur la base d'une proposition socialiste.

  • - L'emploi a augmenté...

    - Oui, mais à quel prix ! Selon la Banque nationale, 60 à 70.000 emplois sur les 200 et quelques mille créés sont dus aux réductions de charges sur les entreprises, qui pèsent vingt milliards d'euros. Faites la division : cela fait environ 300.000 euros par emploi, le coût de huit infirmières ou de huit enseignants. Réduire les charges, c'est très bien mais il faut un engagement clair de l'autre côté. Sinon, le déficit public se creuse : il est déjà annoncé à 7,5 milliards d'euros cette année.

  • - Le gouvernement n'a pas été efficace ?

    - C'est clair. Nous avons vécu des années d'embellie économique et la Belgique en a peu profité. En création d'emplois, nous sommes à la traîne. Quant au pouvoir d'achat, l'augmentation pour les plus bas revenus n'est qu'apparente. La hausse des taxes et accises, ainsi que le saut d'index, ont lourdement pesé sur le budget des ménages. Une étude de la KU Leuven a montré que les 30 % de Belges aux revenus les plus élevés ont gagné, alors que les 30 % aux revenus les plus faibles ont perdu. Et ça, c'est mauvais pour l'économie et pour les indépendants et PME. Donnez du pouvoir d'achat aux plus riches, ils épargnent, voyagent ou achètent des produits d'importation. Donnez du pouvoir d'achat aux plus pauvres, l'argent revient aussitôt dans les circuits locaux : légumes frais, coiffeur, un restaurant à l'occasion...

  • - Vous étiez ministre-président wallon jusqu'à l'été 2017. Le nouveau gouvernement dit avoir changé de cap...

    - Deux choses me choquent. D'abord, la méthode. J'appliquais un modèle mosan de concertation avec l'UWE (Union wallonne des entreprises), l'UCM, les syndicats. Aucune mesure n'était appliquée sans un dialogue approfondi et le consensus des partenaires sociaux. La nouvelle équipe décide à la hussarde et fragilise des secteurs vulnérables, à commencer par le non-marchand. En second lieu, la Wallonie est en train de s'endetter à une vitesse jamais atteinte ! Réforme fiscale, photovoltaïque, primes à la rénovation... Et l'aide aux étudiants en kot sans plafond de revenus : le fils du notaire d'Arlon pourra en profiter mais pas le fils de l'ouvrier de La Louvière. C'est du gaspillage d'argent public. Il n'y a aucun investissement stratégique dans les écoles, les maisons de repos, la mobilité, les crèches...

    Réduction du temps de travail, objectif à terme

  • - Le développement économique sera le thème de campagne numéro un du PS ?

    - Bien sûr. Pour financer des politiques sociales, il faut de la croissance et des emplois. C'est nous qui avons voulu donner aux Régions la compétence économique pour relancer la Wallonie. Le contrat d'avenir et le plan Marshall, c'est nous. Les résultats sont spectaculaires. Toutes les entreprises liées aux pôles de compétitivité ont un taux de croissance deux ou trois fois supérieur à la moyenne. Depuis 2008, la richesse produite dans la Région en un an a augmenté de 90 milliards d'euros. Notre taux de croissance est supérieur à celui de la France, de l'Allemagne et de la moyenne de la zone euro de 2000 à 2015. Le chômage baisse sans discontinuer tous les mois depuis 2014. J'ai la faiblesse de penser que nous, socialistes, y sommes pour quelque chose...

  • - Pour créer des emplois, faut-il poursuivre la réduction des charges sur le travail ?

    - Sans doute, mais c'est de l'argent jeté si les réductions sont linéaires et sans contrepartie. C'est ce que le gouvernement sortant a fait et le résultat est mauvais. L'amélioration de la rentabilité a surtout permis de distribuer davantage de dividendes, pendant que les salaires et le pouvoir d'achat stagnaient.

  • - Vous voulez une réduction du temps de travail généralisée ?

    - Non. Il y a une tendance lourde à la réduction du temps de travail. En un siècle, on est passé de 60 heures à 38 heures. Mais cela s'est fait à la belge, un pas après l'autre et en concertation. C'est la bonne façon de faire. Il n'est pas question d'imposer les 32 heures à tout le monde, du jour au lendemain. Les 32 heures sont un objectif de moyen voire de long terme, à atteindre avec des modalités adaptées au secteur public, au secteur privé, à l'industrie, aux PME, etc.

  • - À quelles modalités pensez-vous pour les PME ?

    - Chaque fois que je rencontre un employeur, j'observe qu'il est préoccupé par la question du vieillissement du personnel. À 55 ans ou un peu plus tard, des gens qui ont commencé à travailler à 18 ans sont fatigués. Or, ils coûtent cher vu l'évolution des barèmes. Si vous diminuez leur temps de travail à quatre jours – nous l'avons fait pour les fonctions pénibles à 60 ans à la Ville de Charleroi –, vous réduisez l'absentéisme et vous stimulez la productivité. Le coût salarial diminue pour l'employeur, qui peut envisager d'embaucher un jeune. Si, par une réduction des charges, vous préservez le salaire net de la personne, c'est du win-win, comme on dit en bon wallon. Qui plus est, quand vous donnez du temps aux gens sans réduire leurs revenus, vous contribuez à la croissance de la société des loisirs et des soins aux personnes.

  • - Faut-il réformer l'impôt des personnes physiques ? On paie trop vite trop d'impôts en Belgique ?

    - C'est une question à discuter. Nous avons deux balises. La première est de ne pas réduire les recettes fiscales globales. Ce qui implique – c'est la deuxième condition – que la réforme améliore la progressivité de l'impôt, donc l'équité.

    La pension à 67 ans, c'est absurde

  • - La réforme des pensions n'est pas achevée. Vous voulez revenir à la limite des 65 ans ?

    - Bien sûr. Passer à 67 ans, c'est purement idéologique. Le Canada a fait machine arrière. Je n'ai jamais rencontré un employeur qui trouve que c'est une bonne idée de garder son personnel jusqu'à 67 ans. Chez nous, l'âge effectif de départ à la retraite est autour de 60 ans. Alors demander à ceux qui vont au bout de travailler encore deux ans de plus, c'est très compliqué. Pour les gens qui ont des horaires coupés, qui travaillent debout, qui encaissent physiquement... pour des infirmiers, des enseignants ou des employés de call centers, c'est vraiment difficile d'aller jusqu'à 65 ans. Alors 67, c'est absurde !

  • - Vous êtes favorable à augmenter les pensions des indépendants en les rendant proportionnelles aux cotisations versées, comme celles des salariés ?

    - Tout à fait favorable. Pour nous, la distinction entre salariés et indépendants n'a plus de raison d'être. Les deux statuts doivent être équivalents. La vraie différence, c'est entre les gros revenus et les bas revenus. Qu'un indépendant sur six soit sous le seuil de pauvreté, ou que 80 % continuent à travailler quand ils sont malades : ça, c'est préoccupant. Nous voulons des pensions justes et décentes et une vraie individualisation des droits. Beaucoup d'indépendants travaillent en couple et le conjoint, souvent la femme, reste discriminé par les règles actuelles.

  • - Relever les pensions implique de déplafonner les cotisations sociales ?

    - Oui. Il est illogique qu'une personne qui gagne trois ou quatre fois plus que son voisin ne paie pas un euro de plus pour la protection sociale. Seuls 3 % des indépendants bénéficient du plafonnement. Donc 97 % seraient gagnants. Cela permettrait d'abaisser la cotisation minimale. Parce que si on paie trop vite trop d'impôts, on paie aussi trop vite trop de cotisations sociales.

  • - L'environnement sera très présent dans la campagne électorale. Sur ce thème, qu'est-ce que le PS a de plus qu'Écolo ?

    - Nous pensons que la transition climatique ne peut pas réussir par un simple encouragement à changer son mode de vie. Tout le monde n'en a pas l'envie ou la possibilité. Nous pensons aussi que chaque mesure pour l'environnement doit intégrer une dimension sociale, sous peine de créer de nouvelles fractures. On ne peut pas augmenter les prix des carburants sans penser aux personnes qui n'ont pas d'autre choix que la voiture pour se déplacer.

La transition écologique peut se faire sans taxes supplémentaires.
  • - La transition écologique est possible sans taxes supplémentaires ?

    - C'est tout à fait faisable. Quand j'étais ministre du Climat en 2008, j'ai interdit les ampoules à incandescence. Catastrophe ? Pas du tout. J'ai donné un délai aux industriels pour s'adapter et ils ont produit des ampoules un peu plus chères à l'achat, c'est vrai, mais plus durables et qui consomment moins. Même chose pour les voitures et les camions. On a imposé des normes européennes d'émissions aux constructeurs et ils ont fait l'effort nécessaire en recherche et développement pour y répondre. Si vous ne voulez plus d'emballages plastique dans les magasins, n'imposez pas d'écotaxes. Donnez cinq ans à l'industrie pour trouver d'autres formes de conditionnement et elle y arrivera.

  • - Si le PS est contournable au soir du 26 mai, vous craignez de rester dans l'opposition ?

    - Quand on est contournable, on a toujours peur d'être contourné. Nous nous battons pour convaincre les citoyens que nous avons une vision économique, sociale et environnementale qui est juste. Le PS est un parti responsable depuis 135 ans. Nous avons exercé les responsabilités et nous avons prouvé que nous en sommes capables.

  • - Vous dites ça pour le PTB ?

    - Pour tous ceux qui sont plus forts à lancer des slogans qu'à retrousser leurs manches et à travailler.

    Réveillons l'Europe !

  • - Avec les "gilets jaunes" et les manifestations des jeunes apparaissent des mouvements citoyens hors structures. C'est inquiétant ou encourageant ?

    - C'est révélateur de failles dans notre démocratie. Si le système fonctionne bien, les malaises trouvent à s'exprimer. Quand des mouvements sont dans la rue, c'est qu'ils n'ont pas trouvé la porte d'entrée et cela doit nous amener à un examen de conscience. Notre système est-il assez ouvert ? Certainement pas. Je suis favorable au référendum d'initiative citoyenne. En Italie, il a permis de décoincer certains problèmes. Organisez en Belgique un référendum à propos de l'impôt sur la fortune. Je pense qu'il aurait un large soutien dans la société et cela lèverait un blocage qui dure depuis des décennies.

  • - Vous êtes candidat tête de liste à l'Europe. L'état de l'Union vous inquiète ?

    - Les choses vont mal. L'Europe a mal réagi à plusieurs reprises. Ainsi, la crise financière de 2008 a été réglée de façon très brutale. Les normes d'austérité ont eu des conséquences très dures pour les citoyens et ont paralysé les investissements. Je ne suis donc pas inquiet, mais impatient. La Banque centrale européenne a mis 2.500 milliards d'euros sur la table pour sauver les banques ; qu'elle mette 1.000 milliards pour le climat. Il sera possible de moderniser les bâtiments, d'encourager une mobilité douce, de stimuler la production d'énergie verte et de favoriser une agriculture durable.

  • - L'Europe est trop libérale ?

    - Et conservatrice. Elle est dominée par les grandes puissances de l'argent, les multinationales avec leurs armées de lobbyistes et d'avocats. Pourquoi ne pas s'attaquer sérieusement à la grande fraude fiscale, qui prive les États de mille milliards d'euros chaque année ? Comment justifier que Bayer-Monsanto obtienne cinq ans de délai avant de supprimer le glyphosate ? Des bibliothèques entières d'études ont démontré son impact désastreux sur la santé publique.

  • - Vous resterez bourgmestre de Charleroi quoi qu'il arrive. Pourquoi ?

    - Je viens d'être élu. J'ai encore beaucoup de choses à faire pour la ville. Je veux continuer mon travail mais j'ai souhaité prendre part à la campagne électorale parce que j'ai un message à apporter.

  • - Bourgmestre, c'est compatible avec une charge de président de parti ?

    - Je le pense. Les présidents de parti sont toujours des élus. C'est très important qu'ils soient bien immergés dans la société. En tant que bourgmestre, je peux vous assurer que je suis bien au courant des préoccupations des citoyens !

Contexte

PS

Une priorité : revenir au pouvoir

Après cinq ans d'opposition au fédéral et presque deux ans en Wallonie, le Parti socialiste brûle de reprendre les rênes. Il s'affiche comme le seul parti de gauche sérieux et responsable, capable de modifier le cours des choses et de corriger les dérives de la mainmise libérale et flamande. Le PS conjugue son image traditionnelle de protecteur des faibles avec l'affirmation d'une capacité de gestion visionnaire. L'éco-socialisme a supplanté la "lutte des classes", expression qui a failli disparaître du programme du parti en 2017.

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