Que faire lorsqu'on est commerçant, artisan, avocat ou chef de PME, qu'on a engrangé quelques bonnes années et qu'on dispose d'un capital ?
Jean-Christophe de Wasseige
Bruno Menu (CBC) : "Définir une stratégie de placements pour un indépendant signifie avant tout partir de la réalité de son activité."
Dans leur vie professionnelle, les indépendants, titulaires de profession libérale ou chefs de PME doivent bien souvent composer avec de l'incertitude, voire avec des risques. Alors, que doivent-ils faire lorsqu'il s'agit de placer leur argent ? Ont-ils à adopter une stratégie spécifique ? La réponse est oui. Inutile, en effet, de rajouter du risque aux risques...
"La première question à se poser est la suivante, considère Bruno Menu, directeur clients professionnels et professions libérales chez CBC Banque. Le surplus dégagé est-il nécessaire au développement de l'activité ? Si c'est le cas, il est plus sage de le garder dans une réserve." Cela se fait principalement en utilisant des instruments de court terme comme le compte épargne. L'argent doit en effet être mobilisable.
Si ce surplus n'est pas nécessaire, on peut alors envisager des placements selon une suite déterminée. "Il s'agit d'abord d'investir pour se constituer une meilleure pension, poursuit Bruno Menu. Plusieurs instruments en ce domaine bénéficient d'avantages fiscaux. Autant en profiter en priorité. Puis, on peut envisager un achat immobilier. Nous constatons d'ailleurs que la brique séduit beaucoup d'indépendants. Son principal attrait vient de sa stabilité."
Et s'il y a un solde ? "Après avoir considéré la réserve professionnelle, la pension et l'immobilier, on peut se tourner vers les produits d'investissement. Ceux que tout le monde connaît : actions, obligations, sicav, fonds commun de placement, etc. Il est aussi possible de passer par des formules de banque privée ou de gestion d'actifs, si on dispose d'un bon patrimoine mobilier."
Voici la revue en détail de ces différentes étapes.
La réserve
Pour parquer ses excédents de liquidités, le compte épargne est la solution basique. Le capital est garanti ; une protection de l'État à concurrence de 100.000 euros est prévue si la banque fait faillite ; l'argent peut être utilisé à tout moment. Le hic, c'est qu'il ne rapporte rien... C'est le cas grosso modo depuis le krach de 2008. Et depuis que la Banque centrale européenne (BCE) a ramené ses taux directeurs au ras du plancher et s'est mise à racheter des titres de dette. Même si cette politique est en passe de se terminer, ses effets demeurent.
Résultat : les principales banques n'offrent qu'un taux d'intérêt de 0,11 % sur les carnets d'épargne. Soit un taux de base de 0,01 % et une prime de fidélité de 0,10 %. Le meilleur taux global est de 0,65 %. Quelques établissements poussent bien jusqu'à du 0,90 % ou du 1,20 %, mais c'est à des conditions bien précises. Bref, l'épargnant ne gagne pas. Il perd même. En effet, ces rendements sont sous l'inflation, qui fut de 2,05 % en 2018 et de 2,13 % en 2017. Pourtant, on compte toujours quelque 270 milliards d'euros placés sous ce régime...
Les comptes à terme, de un mois à dix ans, ne sont pas mieux lotis. Le meilleur du marché à un horizon de cinq ans offre du 1,26 %, selon le site guide-epargne.be (taux net, après le précompte mobilier de 30 %). Pas brillant. La dernière solution est d'opter pour un organisme de placement collectif (OPC), du moins si on peut s'en dégager facilement.
Se constituer une pension convenable est un incontournable pour les indépendants et les chefs d'entreprise. Leurs pensions légales, du premier pilier, sont en effet faibles (malgré un rattrapage). Pour la compléter, contracter une pension libre complémentaire pour indépendants (PLCI) est recommandé. Ses multiples avantages fiscaux en font l'instrument le plus intéressant du deuxième pilier, celui des pensions liées à l'activité. Toutefois, les primes sont plafonnées à 8,17 % des revenus professionnels annuels avec un maximum de 3.256,87 euros pour 2019.
Pour aller plus loin, il faut envisager d'autres solutions. Primo : la PLCI sociale. Il s'agit de booster sa PLCI avec des cotisations un brin plus élevées qui, en échange, donnent droit à des couvertures sociales. Par exemple une incapacité de travail. Une PLCI sociale est déductible jusqu'à 9,40 % du revenu de référence, avec un maximum de 3.747,19 euros en 2019.
Secundo : l'engagement individuel de pension (EIP) et la convention de pension travailleurs indépendants (CPTI). Ces deux formules, toujours du deuxième pilier, jouissent aussi d'avantages fiscaux. L'EIP vaut pour les chefs d'entreprise. Nouvelle, la CPTI vaut pour les personnes physiques. Mais, ici encore, il y a des limites. Une règle veut en effet que les premier et deuxième piliers ensemble ne dépassent pas 80 % des revenus annuels bruts lors du départ à la retraite.
Pour la contourner, il faut utiliser les instruments du troisième pilier, celui des pensions individuelles. Il s'agit d'abord de l'épargne-pension. Le versement maximum en 2019 est de 980 euros déductibles à 30 % ou de 1.230 euros déductibles à 25 %. Il y a ensuite l'épargne à long terme. Le versement maximum dépend des revenus avec un plafond en 2019 à 2.350 euros. Déductible à 30 %.
La brique a toujours été populaire en Belgique. En particulier ces dernières années. Le nombre de transactions a battu tous les records en 2016 et 2017. C'est dû à la fois aux acheteurs-occupants et aux investisseurs. Ces derniers ont représenté jusqu'à 65 % de la demande sur le marché du neuf ! L'explication tient en trois mots : effet de levier. Avec un capital de départ, il a été possible d'emprunter à bon compte et ainsi d'acheter un bien pour le louer. Les taux ultra bas ont, ici, joué positivement. Cela devrait rester le cas cette année.
Si l'acquisition se fait pour soi-même, l'opération est toujours gagnante. Si elle se fait dans une optique de rendement, il convient de réfléchir au type de bien à acheter (maison, appartement, kot, garage...), de s'assurer que la location sera facile, de prendre en compte les frais (précompte, travaux d'entretien, assurance propriétaire...). À noter que les courtiers et promoteurs ont développé des offres spéciales pour les investisseurs.
L'immobilier procure deux types de rentrées : d'une part, les loyers et, d'autre part, la plus-value du bien à la revente. Les loyers bénéficient de l'indexation. Le prix des biens, lui, a évolué à un rythme de 2,5 % à 3 % par an ces derniers temps. C'est moins que lors de l'euphorie des années 2000-2008 mais c'est suffisant pour couvrir l'inflation.
D'après les agences, le secteur reste donc une valeur sûre. "Tous les voyants sont au vert pour investir dans l'immobilier, assure Eric Verlinden, le CEO du groupe Trevi, actif dans le courtage, le neuf ou la gestion locative. Le marché est à l'équilibre entre offre et demande. L'intérêt pour la location est soutenu dans les grandes villes. La carence locative est faible..."
Se lancer seul sur les marchés est possible avec de bonnes connaissances et du flair. Les règles de base sont : placer à long terme et diversifier. Pour faciliter les choses et réduire les risques, les banques ont proposé depuis belle lurette des organismes de placement collectif (OPC) : des sicav (le souscripteur est actionnaire avec droit de vote) ou des fonds communs de placement (le fonctionnement est plus souple pour des placements un peu plus risqués).
Ces véhicules investissent à leur tour dans des actions, des obligations, des liquidités, des titres immobiliers ou dans une combinaison de ces différents actifs. Il y en a pour tous les profils : défensifs, offensifs, neutres. À côté du rendement proposé, il faut tenir compte des frais d'entrée, de la commission de gestion, de l'indemnité éventuelle pour sortie anticipée... Et, bien sûr, du précompte mobilier. Un rendement entre 2 % et 7 % peut être espéré.
Les actions ont connu une année 2018 chahutée, après quasi dix années de hausse. Les obligations, elles, rapportent très peu. L'emprunt belge à dix ans tourne autour de 0,75 %, 0,80 % (janvier). La cause est, toujours, la politique ultra accommodante de la Banque centrale européenne (BCE). Entre les deux, il faut jongler. "Le contexte actuel n'est pas plus difficile qu'avant, estime toutefois Corentin Minne, cofondateur de Pareto, une société s'occupant de planification financière. Simplement, il défavorise l'investisseur prudent. Tous les instruments garantissant un rendement sûr ne rapportent quasi rien. Celui-ci est donc obligé de voir son épargne se faire grappiller par l'inflation ou alors de prendre des risques. Pour les profils offensifs, par contre, rien n'a vraiment changé."
Quand on dispose d'un capital significatif, il est tentant de s'adresser à un professionnel : une banque privée ou un gestionnaire d'actifs. On distingue plusieurs types d'offres. Il y a le "personal banking", accessible à partir d'un patrimoine de 75.000 à 100.000 euros. Puis, le "private banking", à partir de 250.000 à 1 million d'euros. Et enfin, le "wealth management" pour les fortunes de 2,5 millions d'euros et plus.
Une fois accepté, le service est sur mesure. "Le banquier privé définit d'abord avec le client son profil d'investisseur, raconte Étienne de Callataÿ, fondateur du gestionnaire d'actifs Orcadia. C'est d'ailleurs une obligation légale pour tous les opérateurs en placement. Il relève ensuite sa situation familiale : par exemple, y a-t-il une succession à prévoir ? Il note son horizon de placement, prend en compte ses desiderata, prévient des frais et coûts. Ensuite, il procède à la gestion proprement dite du patrimoine."
Il s'agit de le structurer, de le protéger et de le faire fructifier. Pour cela, il y a trois cas de figure. Soit la gestion est laissée à la liberté du client ; soit elle passe par des conseils réguliers (c'est la gestion conseil) ; soit elle est prise en charge par le banquier privé après signature d'un mandat (c'est la gestion discrétionnaire). Au fil du temps, d'autres conseils se sont rajoutés. Comme le financement de projets, la transmission d'entreprise, la planification de la pension, etc. De la haute couture donc.
Investir dans une start-up : audacieux mais motivant
Pour ceux qui ont l'entrepreneuriat chevillé au corps, des formes d'investissements directs dans de jeunes entreprises existent. L'intérêt est, entre autres, de servir l'économie réelle.
Le crowdfunding
Chez nous, le financement participatif décolle vraiment depuis deux ans. Le principe ? Une plateforme internet publie des projets à financer portés par des start-up ou des PME confirmées. Les investisseurs choisissent ou non de participer à ces levées de fonds. Ils peuvent acheter des actions (equity crowdfunding) ou participer à des prêts coordonnés (crowdlending). Cette dernière voie est la plus populaire chez nous, avec 70 % des sommes levées.
L'investissement en capital peut bénéficier du "tax shelter PME" (voir cadre). Le prêt peut, lui, être exonéré de précompte mobilier si la start-up a moins de quatre ans. Mais c'est théorique : très peu de start-up contractent un prêt car elles n'ont pas encore de rentrées. Inadapté.
Le crowdlending/crowdfunding est simple et rapide. En général, les investisseurs se limitent à de petits montants : entre 150 et 3.000 euros par personne et par campagne. Est-ce risqué ? Oui, mais le processus est encadré. Les plateformes belges doivent être agréées par le régulateur belge des marchés financiers, la FSMA. Elles pratiquent aussi une sélection drastique des projets de façon à soumettre les plus sécurisants aux candidats investisseurs.
"Pour assurer cette évaluation, nous disposons de nos propres analystes, explique Frédéric Levy Morelle, le CEO de Look&Fin, la première plateforme belge (26 millions d'euros levés en 2018). Une fois le dossier accepté, nous établissons une note de risque en fonction de cinq critères. Cette note nous sert à fixer avec le candidat le taux d'intérêt qui sera proposé aux investisseurs. Cela va de 2,9 % à 10 % (brut). Nous avons aussi un produit avec capital garanti. Dans ce cas, le taux est de 3 % à 4 %."
Les Business Angels
Une autre manière d'investir dans de jeunes pousses est de devenir un Business Angel. C'est plus aisé pour tout dirigeant de PME depuis que ces "anges" travaillent en réseau. En Wallonie et à Bruxelles, le groupe de référence s'appelle Be Angels et compte 240 membres.
"Être un Business Angel signifie bien davantage que de placer son argent, précise Claire Munck, la CEO de Be Angels. L'investisseur doit aussi accepter de donner de son temps, de partager son expérience, d'ouvrir son carnet d'adresses. L'aspect humain est fondamental. Entre un Business Angel et des néo-entrepreneurs, il y a toujours une rencontre et des affinités qui se créent."
Les start-up font l'objet d'une sélection organisée en étapes. Le réseau Be Angels reçoit 350 demandes de financement par an. Vingt seulement réussissent à décrocher des fonds. L'examen est donc sévère. Les Angels achètent des parts de ces start-up pour une durée déterminée : trois, cinq, sept ans... C'est à la sortie qu'ils se rémunèrent pour l'essentiel. En revendant les actions et en encaissant une plus-value. Du moins, si les néo-entrepreneurs ont réussi...
Be Angels a développé des formations afin d'aider les chefs de PME tentés par l'expérience. De même, quatre formules d'investissement ont été définies afin de coller à un maximum de profils. Les prises de participation peuvent ainsi se faire : en solo, en groupe, sous l'égide d'un Angel confirmé ou encore au sein d'un fonds pour scale-up (entreprises en croissance).
Le tax shelter PME
Ce système fiscal favorable remonte à 2015 et a été complété en 2018. Il y a d'abord l'option "start-up" lorsqu'une aide en capital est apportée à des sociétés de moins de quatre ans. Une réduction d'impôt est octroyée à hauteur de 45 % de la somme s'il s'agit d'une micro-entreprise ou de 30 % s'il s'agit d'une PME. Plus récent, le tax shelter "scale-up" concerne, lui, les apports en capitaux faits dans des sociétés en croissance. L'avantage fiscal est de 25 %. Dans les deux cas, le montant maximal est de 100.000 euros par an, non cumulable.
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