La voiture de société, tant aimée, tant critiquée

  • 850.000
    voitures immatriculées par des entreprises
  • 7 %
    de "voitures salaires" dans le parc automobile
  • 14 %
    du trafic en kilomètres parcourus

Le dossier sera sur la table du prochain gouvernement fédéral. Payer un salarié en mettant une voiture à sa disposition est, disons, bizarre. Mais c'est entré dans les mœurs. Changer le système est compliqué.

Thierry Evens & Christophe Broucke

Les voitures de société ont toujours existé. Les indépendants qui doivent se déplacer pour exercer leur activité ont naturellement compté leurs frais automobiles dans leurs frais professionnels. La déductibilité peut être limitée dans certains cas à 75 % pour tenir compte de l'usage privé.

Dans les entreprises, il arrive évidemment que les salariés aient à se déplacer (livreurs, commerciaux...). Le plus simple est qu'ils utilisent un véhicule de l'entreprise ou le leur, en comptant des frais kilométriques (0,3573 euro par kilomètre). Il est apparu dans certains cas qu'il était plus simple et plus avantageux pour tout le monde que l'employeur mette une voiture à disposition et que l'employé verse au fisc, en échange de l'utilisation pour ses déplacements privés, un "avantage de toute nature" (ATN).

Ce système a été progressivement détaché de l'usage professionnel. Des cadres et certains employés, même sédentaires, ont reçu une voiture dans leur "package salarial". Pourquoi cette sorte de détournement ? Parce que les charges sur le travail sont extrêmement lourdes en Belgique. Pour récompenser et fidéliser le personnel, les chefs d'entreprise sont sans cesse à la recherche de moyens qui réduisent l'écart entre le coût pour le patron et ce qui se retrouve dans la poche du salarié.

Quand les décisions politiques, d'alourdir sans cesse la fiscalité, sont déraisonnables, la réalité se venge. Les "voitures salaires" sont une réaction à un coût du travail excessif, au même titre que les chèques-repas, les chèques-cadeaux, les écochèques, les ordinateurs et abonnements internet, les plans de pension, les assurances hospitalisation, les primes d'innovation, les primes sur bénéfice, etc.

Pour et contre

Les "voitures salaires" sont aujourd'hui particulièrement contestées. Comme les autres rémunérations alternatives, elles réduisent le financement de la sécurité sociale. Mais elles ont la spécificité d'aggraver (dit-on) les problèmes aigus de mobilité. Et surtout, les déplacements en mode "une auto pour une personne" ne cadrent plus avec la notion de développement durable et la nécessité de réduire les émissions de CO2.

Supprimer la "voiture salaire" ne peut cependant pas se faire d'un trait de plume. Des centaines de milliers de salariés bénéficient d'un avantage financier considérable auquel ils tiennent naturellement. Les employeurs exigent, si le système est restreint, de pouvoir continuer à accorder un avantage équivalent au même coût.

De plus, le dispositif mis en place en Belgique favorise le renouvellement et le bon entretien du parc automobile. C'est créateur d'activité et les voitures qui circulent sont en moyenne plus sûres et... moins polluantes qu'elles ne le seraient si chacun devait régler lui-même ses factures.

Le débat n'est pas simple. Le gouvernement sortant a innové avec l'allocation de mobilité et le "cash for car", mal calibré et qui a eu très peu de succès. Le paysage n'a pas été bouleversé et le prochain gouvernement retrouvera donc le dossier sur la table.

Un impact faible sur les bouchons

Selon la Febiac (Fédération de l'automobile), la Belgique compte 5,7 millions de voitures en circulation, dont 850.000 sont immatriculées au nom d'une entreprise. Parmi celles-ci, 600.000 sont en leasing et 400.000 peuvent être utilisées par un salarié pour ses déplacements privés.

Une proportion beaucoup plus élevée de voitures de société parmi les immatriculations est souvent citée, allant jusqu'à un tiers, voire davantage. On arrive à de tels pourcentages en incluant dans les statistiques les véhicules utilitaires. De plus, le renouvellement des voitures de société est rapide, tous les trois ans environ. Quand le conducteur est le propriétaire à titre personnel, son comportement est beaucoup plus conservateur.

La réalité est que 7 % seulement du parc automobile peuvent être considérés comme des "voitures salaires". Selon les estimations, elles rouleraient environ deux fois plus que les autres. En kilomètres parcourus, elles représentent donc environ 14 % de la circulation.

Une enquête a montré que 20 % des salariés seulement ont une autre solution que la voiture pour leurs trajets entre domicile et lieu de travail. S'ils changent tous de comportement, 20 % de 14 % du trafic disparaît, soit 2,8 %.

Cela correspond à deux ans d'augmentation du parc automobile. Ce n'est donc pas la solution magique à l'engorgement routier. Pour diminuer le volume de trafic aux heures de pointe, d'autres évolutions sont indispensables : le télétravail quand c'est possible ou les espaces de coworking, en attendant une hypothétique desserte acceptable des bureaux et ateliers par les transports en commun.

Un avantage win-win

Il est très délicat de calculer l'avantage procuré par une "voiture salaire", car beaucoup de paramètres varient. Seat a fait une estimation sur base d'une voiture de 22.290 euros à l'achat, qui parcourt 15.000 kilomètres par an, avec une carte carburant. C'est un prix d'achat et une distance parcourue en dessous de la moyenne. Le calcul est donc plutôt minimaliste.

Le coût d'utilisation du véhicule (prix d'achat amorti sur cinq ans, un seul entretien, taxe, assurance et carburant) est de 6.970 euros sur une année. La contribution à charge de l'employé est de 1.308 euros. L'avantage est donc de 5.662 euros ou 471 euros par mois.

Sur base par exemple d'un salaire brut de 2.000 euros par mois (salaire net autour de 1.730 euros), un employeur qui voudrait donner une augmentation de 471 euros net devrait payer environ 1.100 euros par mois, soit plus de 15.000 euros sur l'année en tenant compte du pécule de vacances et de la prime de fin d'année. À comparer avec les 6.970 euros, déductibles, du coût de la voiture de société, il n'y a pas photo.

Guide pratique pour l'employeur

Les responsables politiques ont proposé des solutions pour tenter de réduire le parc des véhicules de société en Belgique, sans pour autant détricoter ce qui existe. La formule classique n'a pas été modifiée dans son principe, mais la taxation de l'avantage accordé au salarié a été alourdie. L'allocation de mobilité, aussi appelée "cash for car", a été instaurée par le gouvernement Michel.

Depuis le 1er janvier 2018, l'employeur peut mettre en place au sein de son entreprise une allocation de mobilité. Ce système permet au travailleur qui dispose effectivement depuis au moins douze mois d'un véhicule de société, pour effectuer des déplacements entre domicile et lieu de travail ou des déplacements strictement privés, de demander à son employeur d'échanger ce véhicule contre une prime soumise à un traitement fiscal et parafiscal avantageux.

À l'initiative des partenaires sociaux, un autre projet est également sur la table pour 2019 : le budget mobilité. Ce budget pourrait être utilisé librement par le travailleur dans un ou plusieurs des piliers suivants : (pilier 1) un véhicule de société plus respectueux de l'environnement, (pilier 2) des solutions de mobilité durable (exemples : train, transport partagé, vélo, logement plus proche...), (pilier 3) le solde non utilisé sous forme d'une prime annuelle. Ce système requerrait également le double consentement de l'employeur et du travailleur.

Une comparaison des solutions de mobilité

Plus "parlant" qu'un long texte, voici un tableau comparatif de la voiture de société et des nouvelles mesures "mobilité"...

 

Voiture de société Allocation de mobilité Budget mobilité (en projet)
Montant annuel brut de l'avantage Valeur réelle de la voiture mise à disposition pour les besoins privés, en ce compris les avantages accessoires (carte carburant, entretien...) 20 % de 6/7 de la valeur catalogue du véhicule restitué ; ce pourcentage est porté à 24 % si l'employeur prenait en charge les frais de carburant Coût patronal global du véhicule restitué, en ce compris la cotisation patronale de solidarité forfaitaire, la TVA, les frais supplémentaires...
Mécanisme d'indexation - Une indexation annuelle de la valeur catalogue est prévue Pas d'indexation, sauf disposition contractuelle contraire
Cotisation ONSS travailleur - -

Pilier 1 : -

Pilier 2 : -

Pilier 3 : 38,07 %

Cotisation ONSS employeur Cotisation de solidarité forfaitaire CO2 Cotisation de solidarité forfaitaire CO2 sur base du taux CO2 et du carburant du véhicule restitué

Pilier 1 : cotisation de solidarité forfaitaire CO2 sur base du taux CO2 et du carburant du nouveau véhicule

Pilier 2 : -

Pilier 3 : -

Taxation dans le chef du travailleur Taxation sur base d'une valeur forfaitaire de l'avantage en fonction de la valeur catalogue, du taux d'émission de CO2, du carburant et de l'âge du véhicule Taxation sur base d'une valeur forfaitaire de l'avantage fixée à 4 % de la valeur catalogue du véhicule restitué

Pilier 1 : taxation sur base d'une valeur forfaitaire de l'avantage en fonction de la valeur catalogue, du taux d'émission de CO2, du carburant et de l'âge du véhicule

Pilier 2 : -

Pilier 3 : -

 

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