Zakia Khattabi

Coprésidente d'Écolo
16/01/19

Bruxelloise, 43 ans et déjà quatre années à la coprésidence d'Écolo

Née à Saint-Josse et habitant aujourd'hui à Ixelles, Zakia Khattabi détient une licence en travail social de l'ULB. Elle a commencé sa carrière dans l'administration (centre pour l'égalité des chances, politique scientifique) et se serait bien vue haut fonctionnaire. Mais son engagement politique l'a amenée au Parlement bruxellois en 2009. Elle siège aussi à la Communauté française et au Sénat. En 2014, elle est élue à la Chambre. Elle quitte son mandat en mars 2015 suite à son élection à la coprésidence du parti, avec Patrick Dupriez. Depuis le 9 novembre 2018, elle est en tandem avec Jean-Marc Nollet.

La cohésion sociale est moins bonne qu'il y a cinq ans.

Les indépendants et les PME sont nos alliés objectifs

La transition écologique et solidaire est la ligne d'un parti vert qui ne se situe pas sur un axe gauche-droite. Sa coprésidente défend une économie durable et de proximité, incarnée par les plus petites entreprises.

Thierry Evens

  • - Quelle appréciation portez-vous sur le travail du gouvernement fédéral depuis 2014 ?

    - Nous avons applaudi et soutenu certaines initiatives, comme la suppression des cotisations sociales sur le premier emploi, mais le bilan global n'est pas bon. Il n'y avait pas de projet cohérent, pas d'ambition autre que de rester au pouvoir. Résultat : la société est aujourd'hui plus divisée que jamais. L'extrême droite rassemble plus de 5.000 marcheurs à Bruxelles. Les "gilets jaunes" sont apparus. Le gouvernement Michel n'a pas créé tous les problèmes, mais il les a accentués. Le "vivre ensemble" s'est dégradé.

  • - Nous avons néanmoins eu cinq ans de paix communautaire...

    - Même pas. Du point de vue institutionnel, oui. Mais dans plusieurs dossiers, la réalité francophone n'a pas été prise en compte. Je pense à l'octroi des numéros Inami pour les médecins, à la hausse de la rémunération obligatoire des chefs d'entreprise dans la réforme de l'impôt des sociétés, aux travaux du RER, etc.

  • - J'imagine que vous êtes aussi déçue par la politique d'environnement...

    - Vous avez vu le vote négatif, avec la Tchéquie, sur les deux directives européennes en faveur de la transition énergétique ? Hallucinant ! Je ne comprends pas cette inertie. Je dis toujours en boutade que même quelqu'un qui ne se soucie pas de la viabilité de l'humanité devrait se rallier à l'écologie, parce que la transition est pourvoyeuse d'emplois. Il y a un enjeu économique, une dynamique à créer.

  • - Ce vote négatif est dû à la Flandre...

    - C'est ce qu'il se dit. Ce que je reproche au gouvernement fédéral dans ce dossier, c'est de ne pas assumer. Lors de la manifestation pour le climat, Mme Marghem (NDLR : ministre de l'Énergie à l'époque) et M. Michel disent qu'ils ont entendu le signal. Et au moment où ils le disent, ils savent qu'ils vont voter contre les directives. Des mensonges pareils nourrissent la défiance des citoyens à l'égard du politique. La réalité, c'est qu'en matière d'environnement, nous étions naguère en tête du peloton européen. Là, avec la Tchéquie, nous sommes lâchés.

  • - Le pacte des migrations valait une crise gouvernementale ?

    - D'autres outrances de M. Francken (qui était secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, NDLR) auraient mérité une crise bien plus tôt. Le pacte est un prétexte. Il a été négocié pendant deux ans sans que la N-VA n'y trouve rien à redire. Aux élections communales du 14 octobre dernier, le parti perd des voix au profit du Vlaams Belang, 7 % à Anvers. En même temps, le MR recule aussi, parce qu'il perd les libéraux des Lumières, ceux pour qui les enjeux de solidarité et les libertés individuelles sont importants. Ils font leurs calculs et courent l'un et l'autre après l'électorat perdu.

  • - Le MR et la N-VA ont joué ensemble ?

    - Je ne sais pas si c'était concerté. Je constate que la N-VA a durci sa ligne et que le MR, cette fois-ci, a décidé de dire non. Et donc, le gouvernement est tombé, non pas sur des enjeux de solidarité mais sur des enjeux électoraux, parce que le 26 mai approche.

  • - L'attitude du MR n'a-t-elle pas permis à la Belgique d'être, comme l'a dit Charles Michel, "du bon côté de l'Histoire" ?

    - Oui. Mais être du bon côté de l'Histoire, c'est aussi ne pas enfermer les enfants. C'est aussi refuser que Theo Francken limite à 60 personnes par jour l'accueil à l'Office des étrangers et que des familles attendent devant la porte quand il gèle. J'attends davantage d'un Premier ministre que de belles paroles à la tribune de l'ONU.

    Alibaba, c'est l'indice d'un échec

  • - La priorité d'Écolo dans la campagne électorale sera l'environnement ?

    - Ce sera la transition écologique et solidaire. Certains ont dit que le mouvement des "gilets jaunes", parce qu'il conteste les accises sur le diesel, est mauvais pour nous. C'est tout le contraire ! C'est une aubaine parce que cela permet de lever les malentendus. Augmenter le prix des carburants pour boucler le budget de l'État, c'est juste aller racler le fond des poches des citoyens. Le projet écologiste est global et systémique et la fiscalité environnementale n'en est qu'un élément. Augmenter les accises et, en même temps, fermer les petites gares et les points poste, ça ne va pas. De même, créer des zones de basses émissions à Bruxelles mais laisser la Flandre élargir le ring est incohérent. Nous n'avons pas besoin de mesures environnementales éparses, mais d'une vraie politique écologiste.

  • - Y compris pour l'économie ?

    - Absolument ! Et là, les indépendants et les PME sont nos alliés objectifs. Nous ne voulons pas du tout d'un désert économique. Nous voulons une économie durable avec des emplois de qualité dans des entreprises ancrées sur notre territoire. Quand je vois qu'on se réjouit de l'implantation d'Alibaba à Liège !

  • - Il fallait refuser l'investissement ?

    - Si nous avions développé une économie résiliente et riche en emplois, nous aurions pu refuser. Vu la situation, c'était difficile. Nous devons au moins imposer des critères fiscaux, sociaux et environnementaux.

  • - Les écologistes de la récession ont-ils leur place dans votre parti ?

    - C'est une tendance qui existe, mais ce n'est pas le projet que nous portons. Nous prônons la post-croissance. Même le FMI (NDRL : Fonds monétaire international) ne croit plus à la croissance soutenue et à la théorie du ruissellement. Les inégalités se creusent. La solution, c'est de construire ensemble une prospérité partagée sans croissance. Cela ne veut pas dire tondre des moutons dans le Larzac en fumant un joint. C'est développer un modèle économique basé sur les indépendants, les PME, la proximité, la qualité des emplois. Cela suppose de protéger les petites entreprises contre les abus des grandes.

  • - Donc d'alléger leurs charges ?

    - Bien sûr. La stratégie économique à suivre est de réorienter les aides économiques vers les TPE/PME. Je ne dis pas que rien n'a été fait, mais il est nécessaire de mieux les soutenir, y compris face aux obligations administratives.

Bruxelles peut être une ville modèle en Europe pour la transition écologique et sociale.
  • - La Région bruxelloise a pris des initiatives pour développer l'éco-conception, les circuits courts. C'est la voie à suivre ?

    - Complètement. Nous sommes dans l'opposition mais j'applaudis quand Didier Gosuin (NDLR : ministre de l'Économie, Défi) ose la prospective, ose donner des moyens à de nouvelles formes d'activité. Depuis les élections communales d'octobre, nous sommes dans 14 majorités sur 19 à Bruxelles. Je rêve d'une participation Écolo au gouvernement régional en 2019. Si nous actionnons les mêmes leviers à chaque niveau de pouvoir, nous pouvons induire un changement radical et faire de notre Région un exemple de transition écologique et solidaire à l'échelle européenne.

  • - Nous devons réduire les émissions de CO2, mais nous sommes à la limite de manquer d'électricité. Comment s'en sortir ?

    - Pour la pénurie, je ne charge pas le gouvernement Michel de tous les maux, mais Mme Marghem a fait fort ! Nous voulons sortir du nucléaire mais tant que les centrales sont là, elles devraient assurer la production nécessaire. Quant à la transition énergétique, c'est vrai qu'on n'est nulle part. Est-ce qu'il faut refédéraliser la compétence ? Peut-être. Mais si les hommes et femmes politiques étaient conscients des enjeux, la responsabilité morcelée n'empêcherait pas d'avancer. La transition est importante pour les citoyens comme pour les entreprises. J'entends la FEB (NDLR : organisation représentative des grandes entreprises) se plaindre bien davantage des coûts salariaux que de la facture énergétique, alors qu'elle peut peser lourd sur les résultats.

  • - La transition va coûter très cher !

    - L'inaction coûte plus cher. Vu l'état des centrales nucléaires, sans solution de rechange, nous devrons acheter massivement de l'électricité et nous le payerons.

  • - Les montants de pension des indépendants restent très bas. Voulez-vous une proportionnalité comme pour les salariés ?

    - Nous voulons aligner la protection sociale des indépendants sur celle des salariés, notamment pour les indemnités de maladie ou le congé de paternité. Cela vaut aussi pour les pensions car, oui, les indépendants sont parmi les retraités les plus mal lotis.

  • - Il faut donc poursuivre la réforme entamée et introduire la pension à points ?

    - Le travail fait par le gouvernement était purement budgétaire : diminuer la charge des retraites pour l'État. D'ailleurs, le débat sur la pénibilité des métiers a été laissé de côté. Une vraie réforme doit prendre en compte les besoins nouveaux et les évolutions sociales. Est-ce que la pension à points est le bon moyen ? Je ne dis pas non a priori mais la formule qui était sur la table manquait de clarté et était trop méritocratique. Ce n'est pas le bon modèle.

    Écolo n'est pas un parti centriste

  • - Le programme Écolo est plus facile à mettre en œuvre avec le PS ou avec le MR ?

    - Je vais être très cynique. Il est plus facile à mettre en œuvre avec celui qui a le plus envie d'être au pouvoir.

  • - Parce qu'il va concéder davantage ?

    - Absolument. Ce n'est pas une formule. C'est ce que nous avons fait dans les communes. Nous avons choisi le partenaire qui nous permet d'aller le plus loin dans la transition. Et nous avons des alliances avec le PS comme avec le MR.

  • - Avec le CDH, Défi et Écolo, le centre de l'échiquier politique n'est-il pas trop émietté ?

    - Écolo n'est pas au centre. Nous sommes un parti différent, le seul à avoir dépassé le productivisme et à prôner la post-croissance. Quand la ministre Fremault (NDLR : Environnement à Bruxelles, CDH) se félicite à juste titre du remplacement des pailles en plastique par des pailles en carton, elle donne rendez-vous au McDo...

  • - Les "gilets jaunes" expriment leur défiance vis-à-vis de la politique. La démocratie parlementaire est essoufflée ?

    - Oui, c'est clair. Les gens ne sont pas satisfaits. Ils ont reçu trop de promesses et n'y croient plus. À charge pour nous d'agir afin de redonner confiance dans la parole politique. Je crois aussi qu'il faut adapter la démocratie représentative aux réalités des réseaux sociaux.

  • - Mais vous avez quitté Facebook !

    - Une minorité très active les pollue, mais ces réseaux apportent beaucoup de positif. Grâce à eux, je peux être solidaire d'un combat féministe de l'autre côté du monde par exemple. Il faut se protéger de leurs aspects nocifs et développer le positif.

    Bruxelles aux Bruxellois

  • - Vous avez exprimé votre souhait de diriger la Région bruxelloise...

    - Ce n'est pas tout à fait ça ! Après les élections communales, j'ai discuté avec Véronique Lamquin, du journal Le Soir. Elle m'a dit : "Vu les résultats, vous seriez premier parti à Bruxelles en 2019 et vous pourriez donc être la première femme ministre-présidente." J'ai répondu que je prendrais mes responsabilités si la question se posait. Mais je suis tête de liste à la Chambre et Alain Maron à la Région. Mon objectif est de faire entrer Écolo dans la majorité à Bruxelles, pas de faire de Zakia Khattabi la ministre-présidente. J'ai beaucoup plus d'humilité que cela.

  • - Vous vous présentez à la Chambre pour siéger à la Chambre ?

    - A priori, oui. Cela me permet de mener une liste bilingue, reflet de mon projet pour Bruxelles. Il y a beaucoup de choses à faire pour la Région au départ du fédéral.

  • - Quelle est votre priorité ?

    - Nous devons affirmer le fait régional bruxellois en sortant du modèle d'organisation bicommunautaire. Il collait à la réalité il y a trente ans. Aujourd'hui, la ville est cosmopolite et c'est devenu incompréhensible que, dans le même immeuble, deux familles relèvent par exemple de politiques de formation différentes. Le bassin d'emploi est le même pour tous.

    Il n'est pas normal que si la N-VA fait 6 % des voix, elle puisse bloquer les institutions. Aux élections communales, Écolo et Groen ont déposé des listes communes. À Etterbeek, nous avons progressé fortement avec une tête de liste néerlandophone. Ce n'est pas insulter l'Histoire que de vouloir faire évoluer les institutions pour qu'elles reflètent la réalité.

Contexte

Écolo

Le parti écologiste est le seul à se trouver dans l'opposition tant au fédéral que dans les Régions wallonne et bruxelloise. S'il réitère en mai 2019 ses résultats d'octobre dernier, cela devrait changer ! Les Verts étaient premiers à Bruxelles avec près de 20 % des voix. En Wallonie, ils dépassaient les 15 % dans les provinces. En Flandre, le parti frère Groen est également sorti grand vainqueur des élections locales.

Avec l'urgence climatique dans l'actualité, les Verts peuvent être optimistes, mais la campagne électorale sera très longue.

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