Pierre-Yves Jeholet

Vice-premier ministre wallon en charge de l'Économie, de l'Industrie, de la Recherche, de l'Innovation, du Numérique, de l'Emploi et de la Formation
11/06/18

Le chromosome de la politique vient de son grand-père, bourgmestre de Xhendelesse, hameau champêtre aujourd'hui fusionné à Herve. Pierre-Yves Jeholet (49 ans) est licencié en communication. Il est rédacteur en chef de Radio Ciel quand Didier Reynders le prend comme assistant parlementaire (1995). En 2003, il entre au parlement fédéral. Député wallon depuis 2009, il est chef de groupe MR quand la majorité bascule l'été dernier. Il parle franc et les électeurs apprécient. Aux communales de 2012, sa liste remporte 52,4 % des suffrages à Herve !

La Wallonie doit amener les jeunes à l'emploi.
Tous !

Un ministre en charge qui veut le plein emploi en 2025, alors que 200.000 Wallons sont au chômage, c'est gonflé ! Pierre-Yves Jeholet persiste et signe. Les indépendants et les entreprises embauchent. Le défi est donc de former les jeunes et de les motiver.

Thierry Evens

Je plaide pour la régionalisation de l'enseignement, au moins technique et professionnel.
  • "Je plaide pour la régionalisation de l'enseignement, au moins technique et professionnel."

    - Il faut regarder la réalité en face. C'est vrai que pour la première fois depuis 1990, nous sommes sous la barre des 200.000 demandeurs d'emploi. Mais le taux d'emploi et le PIB par habitant (la richesse produite) sont trop faibles. La pauvreté et la précarité sont préoccupantes. Les recettes socialistes appliquées pendant des années et des années n'ont pas fonctionné.

  • - La solution, c'est "jobs, jobs, jobs" ?

    - Bien entendu. L'emploi, c'est l'inclusion sociale et le moyen le plus efficace de lutter contre la précarité. Le taux de chômage en Wallonie reste le double de celui de la Flandre. C'est beaucoup trop !

  • - Vous fixez comme objectif le plein emploi en 2025. Cela semble irréaliste...

    - Il n'y a de fatalité que pour celui qui renonce ! Est-ce irréaliste de réduire de 1 % par an le taux de chômage ? Je ne le crois pas. Nous devons saisir l'opportunité d'une conjoncture internationale plus favorable et du bon climat créé par les mesures prises au fédéral. Je sens de la confiance chez les entrepreneurs, une envie de grandir et d'embaucher. Dans le commerce, la construction, l'horeca et bien d'autres secteurs, les indépendants et les PME cherchent des collaborateurs. Il faut qu'ils les trouvent.

  • - Il faut que les candidats aient les compétences voulues...

    - C'est évident. Beaucoup trop de jeunes sortent de l'école sans formation, sans diplôme, en décrochage. Améliorer notre enseignement est une nécessité, mais ça va prendre quelques années. Les opérateurs de formation doivent répondre aux besoins les plus urgents. Je veux aussi privilégier l'apprentissage en entreprise, sous toutes les formes possibles, de l'alternance au plan formation insertion (PFI). Le Forem doit faire le maximum pour encourager les PFI, avec des procédures souples et rapides et sans contrôles tatillons. J'ai aussi été séduit par une initiative comme Be Code à Charleroi : former aux technologies numériques des gens au départ sans diplôme, c'est extrêmement porteur.

  • - Vous évoquez l'alternance. C'est une filière qui reste sous-utilisée en Wallonie...

    - Nous sommes handicapés par la complexité institutionnelle. Je plaide pour la régionalisation de l'enseignement, en tout cas technique et professionnel, parce que ce sont les Régions qui sont en contact avec les indépendants et les PME. Dans l'immédiat, je veux dire aux entreprises et aux fédérations sectorielles que l'IFAPME fonctionne bien et a besoin de places de stage. Il y a des jeunes qui se retrouvent en alternance sans aller en entreprise. Ça ne va pas. Il faut bosser dans la vie !

  • - Le chômage n'est pas un droit absolu ?

    - C'est un droit pour les personnes qui ont travaillé et qui sont victimes d'une faillite, d'une délocalisation ou de tout problème qui les prive de leur emploi. Mais puisqu'il y a des jobs à prendre, les jeunes, il faut qu'ils se bougent. Celui qui ne veut pas aller à l'école et qui ne veut pas non plus aller en entreprise, on en fait quoi ?

  • - Bonne question : on en fait quoi ?

    - La culture de l'excuse, moi, je n'en veux pas. Nous devons sensibiliser, orienter, motiver. Nous avons des besoins énormes dans les métiers techniques et technologiques, dans les services aux personnes aussi. Et nous avons tous les opérateurs nécessaires pour donner des formations socio-professionnelles. Nous en avons même trop ! Des jeunes sont ballottés d'une structure à l'autre sans fil conducteur. Il faut un dossier unique qui retrace le parcours de la personne et lui fournisse un accompagnement individualisé.

  • - Vous ne voulez laisser personne de côté ?

    - Ah non ! C'est vrai que nous avons aujourd'hui, peut-être, 80.000 personnes inemployables. Je ne les laisserai pas au bord du chemin. Même si c'est difficile parce que quand les parents et le milieu familial ont démissionné, qui va remettre le jeune sur les rails ? L'enseignant ? L'entrepreneur ? Ce n'est pas leur rôle. Nous avons un problème de société en Wallonie : on a trop laissé faire.

  • - Vous avez proposé d'abaisser l'obligation scolaire de 18 à 16 ans. C'est un moyen pour responsabiliser les jeunes ?

    - Je voudrais une réflexion sur l'âge d'entrée à l'école. Ce sont souvent les familles les plus précarisées qui n'envoient par les petits en maternelle. À six ans, ils risquent déjà d'être décrochés. Quant aux plus âgés, je constate que l'âge moyen d'entrée en alternance à l'IFAPME, c'est 17 ans et demi. C'est trop tard. En Suisse, en Allemagne et même chez nous, en communauté germanophone, on ne va pas en alternance quand on a échoué dans le général. Allonger le tronc commun est inutile pour atteindre l'objectif : que chacun sorte de l'école avec des connaissances de base en français, maths et sciences. On n'y est pas. Je connais des boulangers qui ne gardent pas des stagiaires parce qu'ils ne savent pas faire une règle de trois.

Pour Pierre-Yves Jeholet, les possibilités d'embauche existent pour les demandeurs d'emploi qui acceptent de se former.
© Houet M/Belpress.com

 

Guichet unique, dossier unique pour les PME

  • - Vous avez été très critique envers le Forem. Trop critique ?

    - J'ai dit ce que j'avais à dire. Je ne vais pas ressasser tous les jours ce qui ne va pas. Je veux que le Forem fasse son métier, notamment proposer aux demandeurs d'emploi les formations nécessaires à leur réinsertion. Avec des indicateurs de performance. Former pour former, c'est terminé. Il faut répondre aux besoins des entreprises.

  • - Le Forem évolue comme vous le voulez ?

    - C'est parfois poussif, mais je sens une bonne volonté en interne. Beaucoup étaient conscients qu'il fallait secouer le cocotier. Le Forem reçoit énormément d'argent public. S'il ne remplit pas sa mission, il faudra réorienter ces moyens vers les fédérations sectorielles. Je mets la pression parce que je refuse de gaspiller l'argent de la collectivité. Je mets la pression aussi dans l'intérêt des entrepreneurs. Pour toutes les aides à l'emploi et à la formation, les délais de réponse et de paiement doivent être raccourcis et respectés. Est-ce que les pouvoirs publics ne demandent pas aux entrepreneurs de respecter les délais ?

  • - En ce qui concerne les aides économiques, votre priorité, c'est un guichet unique ?

    - Plus l'entreprise est petite, plus elle a besoin de simplicité et de souplesse. Je veux donc que la Sowalfin, qui ne fait aujourd'hui que du financement, puisse répondre à toutes les demandes des entreprises. Je ne parle pas d'une permanence téléphonique mais d'une vraie plateforme d'information et d'orientation vers les différents opérateurs. Et je veux aller plus loin en créant à l'administration un dossier unique pour chaque entreprise, consultable en permanence. Le chef de PME qui demande une prime, un permis, une subvention à l'embauche, une aide à l'Awex... doit pouvoir savoir à tout moment où en est son dossier.

  • - L'administration peut répondre à ce défi ?

    - Nous allons embaucher un responsable informatique transversal, d'abord pour rendre les programmes compatibles. On a un retard que je ne comprends pas. Tous les jours, j'ai des chariots de dossiers papier qui arrivent dans mon bureau. C'est anachronique. Si le numérique est un enjeu majeur pour les citoyens et pour les entreprises, il l'est aussi pour l'administration.

  • - Allez-vous demander une défiscalisation des aides aux entreprises ?

    - Je le demande pour les 500 euros de prime que je souhaite donner aux chômeurs qui se forment à un métier en pénurie. Étendre l'immunisation fiscale aux aides régionales existantes ferait un sacré trou dans le budget fédéral. C'est un débat intéressant, mais qui ne se réglera pas avant les élections de 2019.

  • - La Wallonie doit revoir son dispositif d'accès à la profession. Dans quel sens ?

    - Je ne veux pas du dispositif conservateur de Bruxelles, ni de la totale libéralisation à la flamande. J'ai pris contact avec les fédérations pour bâtir un système à la carte, coordonné par l'UCM. Je crois qu'il faut maintenir certains accès, par exemple dans la construction, en supprimer d'autres et envisager un stade intermédiaire de certification, un label "savoir-faire wallon" qui mette en valeur les professionnels reconnus.

PS-PTB-Écolo, un vrai cauchemar...

  • - Dans une interview à La Libre Belgique en 2002, vous avez dit être de droite. Vous l'êtes toujours ?

    - Oui, je maintiens. Certainement. Je suis pour la responsabilité politique, la rigueur financière. Je le prouve avec ma réforme des APE (aides à l'emploi pour les asbl et les pouvoirs locaux, NDLR). Je remets de l'ordre et je réclame les indus. À l'approche des élections, ça demande du courage mais je ne veux pas détourner de l'argent qui pourrait servir au secteur marchand. Je sais qu'aujourd'hui, tout le monde est du côté des entreprises. Le dire, c'est facile ; prendre des mesures, c'est plus difficile. J'adhère totalement à l'action du gouvernement wallon et du gouvernement fédéral, qui est très proche du programme du Mouvement réformateur. Si vous le cataloguez de droite ou de centre-droit, j'assume.

  • - Ce n'est pas difficile d'être de droite dans une région plutôt de gauche ?

    - J'ai des convictions et je les exprime. La Wallonie doit réduire son train de vie et il n'y a pas trente-six solutions : il faut lutter contre les abus, le sous-régionalisme, le clientélisme, les dépenses inutiles. Moi, je ne veux pas subventionner un festival de musique, même si c'est Solidaris qui l'organise. Notre région souffre de l'influence de la FGTB. Le syndicat socialiste a beaucoup trop à dire depuis beaucoup trop longtemps.

La FGTB a beaucoup trop à dire depuis beaucoup trop longtemps.
  • - Vous ne pensez pas que les mentalités évoluent ?

    - Oui, heureusement. Le climat social est très correct dans la plupart des entreprises parce que les travailleurs prennent leurs distances avec ce syndicat. La FGTB, emmenée par son secrétaire général Thierry Bodson, consacre moins d'énergie à les défendre qu'à se mêler de politique. Trois semaines après l'installation du gouvernement, monsieur Bodson dénonçait dans les médias les méfaits d'un gouvernement de droite. Allez ! Il est socialiste, il siège au bureau du PS depuis des années, il a bien plus de responsabilité dans la situation de la Wallonie que moi et mes amis du MR. Je ne comprends pas que monsieur Bodson ne demande pas une place sur une liste du PTB ou du PS.

  • - Ce n'est plus un interlocuteur valable ?

    - Si. Je n'exclus personne. Et d'ailleurs, autour de la table de la concertation sociale régionale, ça se passe bien. Je participe à chaque réunion et le ton est tout différent de celui utilisé face aux médias. La concertation fonctionne. Je me suis fâché une seule fois, quand un syndicaliste a menacé de bloquer les aéroports. Quelle bêtise !

  • - Vous serez candidat aux élections communales à Herve, en octobre ?

    - Je pousserai la liste. Je me suis mis en dernière place parce que j'ai un mandat ministériel au moins jusqu'en mai. Si j'ai le plus de voix et que je suis appelé à devenir bourgmestre, je serai "empêché".

  • - Vous serez aussi candidat aux élections législatives de mai 2019 ?

    - Oui, pour défendre mon bilan et celui du gouvernement. Nous n'avons qu'un an et demi pour donner une autre dynamique à la Wallonie. Nous ne perdons pas une seule journée. Il faut éviter une coalition PS-PTB-Écolo qui serait une catastrophe pour nos entreprises.

  • - Au vu des sondages, y a-t-il une autre perspective que MR-PS ?

    - Attendez les résultats. Moi, j'espère que le CDH pourra valoriser son bilan avec nous. Bien des réformes, aux TEC par exemple, auraient été impossibles avec les socialistes. Le défi, c'est que le MR soit le premier parti. Si c'est le PS, c'est la porte ouverte au PTB.

  • - Le mieux, ce serait de reconduire les majorités actuelles ?

    - Au fédéral depuis 2014 et à la Région depuis un an, nous travaillons pour les indépendants et les entreprises. On peut regretter ceci ou cela, mais les réformes sont importantes et portent des fruits. Le mécanisme de solidarité interrégional va s'effacer dans les années qui viennent. C'est une raison impérieuse pour encourager la Wallonie qui travaille, pour remercier les Wallons et les Wallonnes qui bougent, qui osent, qui investissent. Le climat économique est meilleur, des emplois se créent : poussons sur l'accélérateur parce que la roue peut tourner rapidement. Le MR au fédéral, le MR dans les Régions et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, c'est indispensable.

CONTEXTE

Le MR au gouvernement

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