Benoît Lutgen

Président du CDH (Centre démocrate humaniste)
07/03/18

Bastognard et fier de l'être, Benoît Lutgen (48 ans) est le fils d'un ancien ministre PSC, Guy. Il était le très jeune secrétaire politique du parti lors de sa mutation en CDH (2002). Ministre wallon à partir de 2004, il a succédé à Joëlle Milquet à la présidence du CDH en 2011. Il a été réélu en 2014 avec 90,5 % des voix. C'est l'homme du 19 juin 2017, jour où il a retiré la prise des gouvernements régionaux et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Chaque ministre, chaque commune
doit PENSER PME

Le PS se dit le "parti des indépendants". Le MR se fâche : chasse gardée ! Écolo se réclame des vraies valeurs des indépendants. Et le CDH ? Allons pousser la porte du président du parti et lui poser quelques questions...

Thierry Evens

La politique fédérale, ce n'est pas “misère, misère, misère”. Il y a de bonnes choses. Mais ce n'est pas “jobs, jobs, jobs” non plus !
  • - Chaque formation politique dit être le parti des indépendants. Le vrai, c'est le CDH ?

    - Nous avons toujours défendu les indépendants, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Un simple exemple : quand il s'est agi de donner les mêmes allocations familiales à chaque enfant, certains y étaient opposés. Mais je ne veux pas rentrer dans la polémique ou faire de la surenchère : chaque indépendant est assez grand pour voir les propositions et la vision des uns et des autres.

  • - Le centrisme humaniste convient bien à l'initiative privée ?

    - C'est clair. Notre philosophie, c'est que chaque personne puisse s'épanouir ; que chacun ne soit pas simplement un consommateur, mais réalise son projet. C'est pour ça que nous voulons inculquer l'envie d'entreprendre et de s'engager dès le plus jeune âge. Mais cet épanouissement personnel ne peut se faire qu'au sein d'une société sereine, apaisée. Les patrons contre les travailleurs, les indépendants contre les salariés, c'est fini. Au long d'une carrière, on passe d'ailleurs souvent d'un statut à l'autre et c'est très bien.

  • - Dans les Régions, votre parti n'a ni l'économie, ni l'emploi. Vous n'êtes pas vraiment en première ligne...

    - Nous occupons des postes très importants pour les indépendants et les PME. Avec l'environnement et les travaux publics, 60 ou 70 % du plan d'investissement wallon est dans les mains de ministres CDH. À la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous sommes en charge de 70 % des compétences. Par rapport à notre poids électoral, c'est plus que bien. Pour moi, chaque ministre doit être attentif aux indépendants et aux entreprises. Voyez ce qui se passe avec l'Afsca (NDLR : Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire. NB : interview réalisée avant le scandale Veviba). Elle a été créée après la crise de la dioxine en 1999 pour protéger le consommateur, mais aussi pour protéger le gouvernement. C'est devenu un État dans l'État qui fait des dégâts par un manque hallucinant de bon sens. La saga de l'interdiction de la tarte au riz a fait rire de nous dans le monde entier. Il faut une culture d'accompagnement et pas une répression variable selon les endroits et les agents. Trop d'indépendants en sont victimes.

  • - Comment jugez-vous la politique du gouvernement Michel depuis 2014 ?

    - Il y a des choses positives. Nous ne sommes pas dans une opposition stupide, à dire qu'avant, tout était merveilleux et que maintenant c'est l'horreur...

  • - Ce n'est pas "misère, misère, misère", comme l'a dit le président du PS Elio Di Rupo ?

    - Non, mais ce n'est pas "jobs, jobs, jobs" non plus, comme le dit le Premier ministre. La conjoncture belge, européenne et mondiale est meilleure, c'est vrai, et cela se sent. Il faudrait profiter de cette embellie pour opérer des réformes et là, je constate que les messages envoyés sont parfois ambigus ou paradoxaux. Prenez la réforme de l'impôt des sociétés. Le taux passe à 20 % pour les PME : très bien, bravo, c'était dans notre programme. Mais vu les modalités d'accompagnement et en particulier l'obligation pour le gérant de se rémunérer à hauteur de 45.000 euros, le gouvernement reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre.

  • - La suppression des cotisations patronales de base, à vie, sur le premier emploi, s'éteint fin 2020. Vous pourriez prolonger une telle mesure ?

    - Oui, bien sûr. Je vous l'ai dit, le gouvernement fédéral fait de bonnes choses. L'alignement des pensions des indépendants sur les minima des salariés par exemple, c'est très positif, même s'il reste du chemin à faire...

  • - En adoptant la pension à points ?

    - Ça, c'est autre chose ! Le système envisagé est un peu kafkaïen et tout n'est pas bon. La non-comptabilisation des années de formation est le contraire d'un soutien à la formation. C'est délirant.

  • - Pensez-vous que les statuts indépendant et salarié vont fusionner ?

    - Ils se rapprochent. Dans l'immédiat, nous avons des propositions pour faciliter le passage de l'un à l'autre. Les demandeurs d'emploi qui veulent créer leur propre activité devraient pouvoir conserver pendant quelques mois, de façon dégressive, leurs allocations de chômage. Pour les salariés, nous préconisons un crédit-temps, à mi-temps ou à temps plein, pour pouvoir tester une activité d'indépendant. Cela permettrait à chacun de se lancer avec une aide financière et de pouvoir retrouver son emploi si son projet échoue.

Un nouvel élan wallon

  • - En Wallonie, le MR a remplacé le PS aux côtés du CDH en juillet. Bilan positif ?

    - Je ne vais pas vous dire le contraire ! Nous avons pu faire aboutir des dossiers bloqués par l'ancienne majorité, comme la suppression de la télé-redevance et la réduction des droits d'enregistrement pour l'accès à la propriété. Le nombre de mandats d'administrateurs aux TEC va passer de 85 à 16. La réforme des allocations familiales est bouclée. L'assurance autonomie avance...

  • - La question de son financement reste posée...

    - Bien sûr, il faudra des moyens. Mais il serait irresponsable de ne pas faire ce que la Flandre fait depuis des années : permettre aux personnes âgées, dans la mesure du possible et de leur souhait, de rester chez elles. Cette assurance va aussi créer de l'activité pour de nombreux indépendants impliqués dans l'aide à domicile. Elle va stimuler l'économie endogène et apporter un bonus d'humanité.

  • - À quand le service minimum aux TEC ?

    - Tout le gouvernement a la volonté politique de le mettre en œuvre. Ce n'était pas le cas avant. Il reste à trouver une formule intelligente, en concertation avec les syndicats, mais c'est possible. On ne demande pas la lune, juste que les élèves puissent aller à l'école, les malades chez le médecin et les clients dans les magasins.

  • - Qu'attendez-vous encore en priorité du nouveau gouvernement wallon ?

    - Concernant les indépendants et les PME, nous devons davantage mettre à leur disposition les outils économiques et de financement comme la Sowalfin, la Sogepa, la SRI, les invests... Ce sont de bons outils, qui doivent être mieux connus et mieux utilisés. Un bon projet ne peut pas échouer ou ne pas démarrer faute de capital.

CONTEXTE

CDH

Les choix risqués du président Lutgen

Avec 15,2 % en Wallonie et 10,3 % à Bruxelles, le CDH a confirmé en 2014 une lente érosion de son électorat. Il garde cependant un rôle pivot dans la politique du pays. Benoît Lutgen a posé en 2014 deux choix déterminants : former une majorité avec le PS dans les Régions et à la Fédération Wallonie-Bruxelles, puis refuser d'entrer au gouvernement fédéral avec le MR.

Lié à la gauche ? Faux. Le 19 juin 2017, le bouillant président a mis fin de façon spectaculaire à son alliance avec les socialistes. Sans impact positif dans les sondages...

Malaise bruxellois

  • - Vous êtes déçu de ne pas avoir pu changer la majorité à Bruxelles comme en Wallonie ?

    - Je n'avais pas mesuré le lien quasi fusionnel entre Défi et le PS. Monsieur Maingain n'a jamais voulu venir s'asseoir et discuter sans le PS. Soit. J'aurais préféré qu'il me le dise le 19 juin à 15 heures plutôt que d'attendre deux mois et demi.

  • - Du coup, la Région bruxelloise semble malade...

    - Elle a pourtant un potentiel énorme et des projets politiques avancent. Mais le changement passera par une nouvelle organisation de la Région et des dix-neuf communes. Par exemple, la mobilité est catastrophique et cela nuit à l'économie et à la santé. La réponse ne peut être que globale. Il ne peut pas y avoir vingt ministres de la Mobilité, un pour la Région et un par commune ! Il y a trop de mandataires à Bruxelles.

  • - N'est-ce pas dû à l'équilibre linguistique imposé ?

    - Les Flamands ont bon dos. Ils justifient la création d'asbl hors contrôle démocratique, dont on voit les dérives. Ou ils empêchent une vision globale de la sécurité, qui serait tellement nécessaire. Moi, j'en veux surtout aux Flamands de Flandre de refuser toute réflexion sur la communauté urbaine, pourtant prévue dans la sixième réforme de l'État. La réalité sociologique et économique de Bruxelles ne s'arrête pas aux dix-neuf communes. Je ne comprends pas cette politique de la chaise vide.

  • - La majorité n'a pas changé non plus à la Fédération Wallonie-Bruxelles...

    - Mais des choses ont bougé. Alda Greoli a pu objectiver les subsides culturels. Sans le 19 juin, ça n'aurait pas été possible. Et le pacte d'excellence avance. C'est essentiel de donner aux jeunes de meilleurs savoirs de base et de les initier dès le plus jeune âge à l'esprit d'entreprendre. C'est tout aussi essentiel de valoriser les compétences techniques. La réforme envisagée de la formation qualifiante doit en faire un enseignement d'excellence. Apprendre un métier manuel doit être une fierté.

  • - Est-ce vraiment possible de revaloriser le qualifiant ?

    - Oui. J'ai la chance d'avoir à Bastogne une école technique où l'ancien directeur, Philippe Robert, a créé un état d'esprit incroyable. Je vous assure que ses 500 élèves sont fiers d'eux, trouveront tous un boulot et beaucoup deviendront indépendants. C'est une école réputée, ouverte sur le monde et sur les PME locales. Le pacte d'excellence doit permettre de multiplier ces bonnes pratiques.

  • - L'allongement d'un an du tronc commun ne va pas décourager les élèves portés vers les métiers techniques ?

    - Je suis favorable au tronc commun, mais jusqu'à la deuxième ou à la troisième année ? Personnellement, je garde un point d'interrogation. Je ferai confiance aux pédagogues mais la question n'est pas définitivement tranchée.

Les leviers communaux sont très importants

  • - Les élections communales auront lieu le 14 octobre. L'enjeu est important pour le CDH...

    - Il est surtout important pour les indépendants et les PME. Les communes ont des moyens colossaux pour soutenir l'activité locale. Leurs investissements représentent 25 à 30 milliards d'euros par an. Cette manne doit profiter aux entreprises du cru autant que possible, et c'est largement possible. L'autre grand levier est la dynamisation des cœurs de ville...

  • - En maintenant des commerces dans les centres ?

    - Bien entendu. C'est de l'emploi, de l'activité économique, mais aussi du lien social et humain. Quand le centre-ville périclite, toute la ville entre en déliquescence. Sécurité, propreté et accessibilité sont prioritaires et dépendent en grande partie de l'autorité locale. Je rappelle que les agents constatateurs ont des compétences élargies en matière de stationnement et d'incivilités. Encore faut-il en engager... Je plaide aussi pour donner aux communes un droit de préemption pour racheter le bâti à l'abandon, le rénover et le mettre à disposition, notamment des commerçants, pour un loyer raisonnable. Ça existe en France et cela permet de maîtriser les prix de l'immobilier et de ramener en ville des ménages qui choisissent d'abandonner leur voiture et leur maison quatre façades.

  • - Le gouvernement wallon a décrété un stop aux centres commerciaux périphériques, à partir de 2019...

    - C'est une bonne chose, mais qui ne règle pas tout. L'e-commerce est un concurrent invisible et redoutable, face auquel les communes ne sont pas désarmées. Elles peuvent soutenir les efforts de formation des commerçants à la digitalisation. Elles peuvent aussi prendre des initiatives comme les courses sans caddy et sans sac : vous faites votre shopping dans le centre-ville et vos achats vous sont livrés le soir ou le lendemain chez vous.

  • - Vous aviez lancé l'idée de créer une nouvelle ville. C'est abandonné ?

    - Non, un jury international vient de sélectionner onze dossiers de rénovation urbaine pour matérialiser l'habitat de demain. Évidemment, partir de ce qui existe est compliqué. Il faudrait pouvoir pousser les murs. C'est pourquoi je crois toujours au projet de nouvelle ville. Cela s'est fait à toutes les époques de l'histoire, pourquoi pas à la nôtre ? Le dernier exemple en Wallonie, Louvain-la-Neuve, est une vraie réussite.

    Pourquoi ne pas fonder une ville en Wallonie ? La création de Louvain-la-Neuve est une réussite.
    © Michel Houet/Belpress.com

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